| CONJONCTION, subst. fém. I.− Action de se conjuguer, de se joindre. A.− Action de s'unir en vue de produire un effet précis. 1. [À propos de pers.] Union : 1. Entre les époux, la conjonction est complète. On les met dans le même lit; ils échangent leur sang, mêlent leurs santés et tout, sauf l'argent. Ils n'ont qu'une table de nuit, ils ont deux fortunes.
E. et J. de Goncourt, Journal,1862, p. 1086. − En partic. Union charnelle. Le but essentiel de ceux qui s'aiment est de créer et de connaître ensemble, par la conjonction physique et charnelle, l'élan vers la mort, vers la dépersonnalisation intense (Thibaudet, Réflexions sur la litt.,1936, p. 67).Ma venue au monde liée à la naissance puis à la conjonction d'un homme et d'une femme (G. Bataille, L'Expérience intérieure,1943, p. 109). − P. anal. Les deux aiguilles unies à minuit enfantaient dans leur conjonction formidable l'heure des désordres et des crimes (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 1, 1848, p. 120). 2. [À propos de choses concr.] Spéc., ASTRON. et ASTROL. Rencontre de deux ou plusieurs planètes en une ligne droite par rapport à un point de la terre. Les Chaldéens auraient pensé que le monde finissait tantôt par l'eau, tantôt par le feu suivant deux « grandes années » ou conjonctions diverses des planètes (Leroux, De l'Humanité,t. 2, 1840, p. 700).Une conjonction maligne des planètes hostiles vient de se dessiner sur le plan des astres. Elle signifie et elle annonce sécheresse, famine et peste à tout venant (Camus, L'État de siège,1948, p. 207). 3. [À propos de choses abstr.] Conjonction des efforts. Le monde et moi. (...) une conjonction qui se faisait mal, un accord qu'ils suaient sang et eau pour établir! (Guéhenno, Journal d'une« Révolution », 1938, p. 167).Le style d'un peintre est dans cette conjonction de la nature et de l'histoire (Camus, L'Homme révolté,1951, p. 318): 2. ... ce qui me frappe au milieu des polémiques, des menaces et des éclats de la violence, c'est la bonne volonté de tous. Tous, à quelques tricheurs près, de la droite à la gauche, estiment que leur vérité est propre à faire le bonheur des hommes. Et pourtant, la conjonction de ces bonnes volontés aboutit à ce monde infernal où des hommes sont encore tués, menacés déportés, où la guerre se prépare...
Camus, Actuelles I,1944-48, p. 147. ♦ Loc. En conjonction avec. En accord, conjointement avec. Je prescrivis au général Leclerc de passer à l'offensive (...), en conjonction avec les opérations alliées (De Gaulle, Mémoires de guerre,1956, p. 61). − Absol. Rapports variés de conjonction et d'opposition (Gaultier, Le Bovarysme,1902, p. 71).L'infini implique à la fois la conjonction et la neutralité (Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 62). B.− [À propos d'événements] Rencontre fortuite, coïncidence. Conjonction de fatalité (Hugo, Correspondance,1855, p. 212).On voyagerait ainsi (...) pendant des centaines de siècles, que jamais on ne ferait les mêmes rencontres ni ne retrouverait les mêmes conjonctions de choses (Gobineau, Nouvelles asiatiques,La Vie de voyage, 1876, p. 333).Sentir dans les propos tout le poids de la coïncidence, de la conjonction d'événements (Valéry, Variété IV,1938, p. 120): 3. La civilisation telle que je l'entends ici − la primauté morale conférée au culte du spirituel et au sentiment de l'universel − m'apparaît, dans le développement de l'homme, comme un accident heureux; elle y est éclose, il y a trois mille ans, par une conjonction de circonstances dont l'historien a si bien senti le caractère contingent qu'il l'a nommée le « miracle » grec; ...
Benda, La Trahison des clercs,1927, p. 237. II.− Ce qui sert à joindre. A.− GRAMM. Mot invariable qui a pour fonction de joindre deux mots, des groupes de mots. Sa phrase pleine, claire, longue pourtant et perpétuellement enchaînée de l'une à l'autre par des conjonctions, n'avait pas encore tout à fait secoué le joug du latinisme (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 547).Adipeuses périodes mal liées entre elles par le fil des conjonctions (Huysmans, À rebours,1884, p. 38): 4. Si Robespierre l'eût emporté? − Si Grouchy fut arrivé à temps sur le terrain de Waterloo? − Si Napoléon avait eu la marine de Louis XVI et quelque Suffren... » Si... toujours si. Cette petite conjonction si est pleine de sens. En elle réside peut-être le secret de la plus intime liaison de notre vie avec l'histoire. Elle communique à l'étude du passé l'anxiété et les ressorts d'attente qui nous définissent le présent.
Valéry, Variété IV,1938, p. 135. − Conjonction de coordination. Mot qui joint des mots, des groupes de mots, des propositions et des phrases de même nature et de même fonction. Conjonction de coordination copulative (qui unit), adversative (qui oppose). Ils sont Pollux, Patrocle, Nisus, Eudamidas, Ephestion, Pechméja. Ils ne vivent qu'à la condition d'être adossés à un autre; leur nom est une suite, et ne s'écrit que précédé de la conjonction « et » (Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 785).La loi de la pensée théorique est la conjonction : et... et...; la loi de l'action est la disjonction : ou bien... ou bien... (Ricœur, Philos. de la volonté,1949, p. 158). − Conjonction de subordination. Mot invariable qui introduit une proposition subordonnée en la mettant en dépendance syntaxique par rapport à la proposition dite principale. B.− RHÉT. Répétition du même mot invariable reliant les différentes parties d'une période pour produire un effet d'insistance. Rem. On rencontre ds la plupart des dict. gén. du xixeet du xxes. l'adj. conjonctionnel. Relatif à la conjonction. Prononc. et Orth. : [kɔ
̃
ʒ
ɔ
̃ksjɔ
̃]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1160 conjoncïon « réunion » (Benoit de Sainte-Maure, Troie, éd. L. Constans, 29861); b) ca 1200 « union charnelle » (Chevalier au Cygne, éd. Hippeau, 112); 2. ca 1270 astrol. astron. (Introductoire d'astronomie, Richel. 1353, fo66eds Gdf., s.v. conjonctional). B. xives. gramm. (Fonds Saint-Germain, ms. 1460 ds Thurot, p. 51). Empr. au lat. class. conjunctio aux sens A 1 et A 2; au b. lat. conjunctio au sens B. Fréq. abs. littér. : 252. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 498, b) 119; xxes. : a) 204, b) 459. Bbg. Matoré (G.). Proust linguiste. In : [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, p. 285. |