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COMMENCER, verbe.
I.− Emploi trans. [Auxil. des formes composées : avoir; l'obj. désigne un entier décomposable en phases successives]
A.− [Le suj. désigne une pers. considérée comme agent de l'action de commencer]
1. [Le compl. d'obj. est un subst. ou un de ses équivalents] Accomplir la première phase d'une opération unique et continue, ou la première d'une série continue d'opérations distinctes.
a) [Le compl. d'obj. désigne une chose dont le traitement se développe dans le temps] Son père avoit commencé cet établissement [une ferme] 22 ans auparavant (Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie,t. 1, 1801, p. 293).Elle acheva tranquillement sa tasse de thé qu'elle avait commencée (Michelet, Sur les chemins de l'Europe,1874, p. 14).Elle s'assit au piano et commença une sonate (Theuriet, Le Mariage de Gérard,1875, p. 110).
Rem. Dans cet emploi, le subst. ou le verbe désignant l'action étant sous-entendus, certains syntagmes peuvent avoir deux sens; p. ex. commencer un livre signifie a) Commencer (à lire/la lecture d') un livre. Commencé Monte-Cristo : c'est fort amusant, sauf cependant les immenses dialogues qui remplissent les pages (E. Delacroix, Journal, 1852, p. 180). b) Commencer (à rédiger/la rédaction d') un livre. Essayé d'écrire, de commencer un roman (Green, Journal, 1944, p. 97).
En partic. [Le compl. désigne un obj. d'ét.] J'ai commencé aujourd'hui l'hébreu (Ampère, Correspondance,1824, p. 308).
Commencer un objet d'étude à qqn. L'initier à cette étude :
1. C'était le curé de son village qui lui avait commencé le latin, ses parents, par économie, ne l'ayant envoyé au collège que le plus tard possible. Flaubert, Madame Bovary,t. 1, 1857, p. 4.
P. méton., vieilli
Commencer qqn. Initier quelqu'un à un objet d'étude :
2. Elle [la comtesse de Valgrave] voulait bien que vous allassiez chez elle donner des leçons à son fils... Vous m'aviez dit que cela ne vous était pas désagréable de commencer un enfant si jeune... P. de Kock, Le Professeur Ficheclaque,1867, p. 109.
Commencer un cheval. Accomplir la première partie du dressage (Ac. 1835-1932).
P. anal., iron. Commencer une femme. L'initier à la vie conjugale :
3. Les femmes ont été la plupart du temps si mal commencées par leur mari, qu'elles n'ont pas le courage de recommencer tout de suite avec un autre... A. France, L'Île des pingouins,1908, p. 343.
b) [Le compl. d'obj. est un subst. d'action qui désigne une opération se développant dans le temps] J'achève à voix basse « les Secrets de la Princesse de Cadignan » dont nous avions commencé à haute voix la lecture (Gide, Journal,1906, p. 213):
4. ... la réorganisation des troupes syriennes et libanaises, que nous avons déjà commencée, va être activement poursuivie... De Gaulle, Mémoires de guerre,1954, p. 167.
c) [Le compl. d'obj. désigne un espace de temps sécable en moments distincts] Bien, mal commencer l'année. Il commence une fluxion de poitrine (E. de Guérin, Journal,1834, p. 25):
5. J'ouvre un nouveau cahier pour commencer cette nouvelle année, laissant l'autre à demi rempli. Gide, Journal,1942, p. 104.
2. [Le compl. d'obj. est un verbe à l'inf. précédé d'une prép.] Commencer à, de.Accomplir ou éprouver le début de l'action, d'un procès exprimés par le verbe. Ma mère a commencé à insulter mon père, qu'elle achève! (Giraudoux, Électre,1937, II, 8, p. 207).Les marchés sont vides et l'on commence à manquer de pain (Gide, Journal,1942, p. 155).L'auditoire enthousiaste, fervent, commença de céder au sommeil : il s'endormait de faiblesse (Mauriac, Le Bâillon dénoué,1945, p. 477).
Fam. [Pour marquer qu'on est à bout de patience et que le mécontentement est encore susceptible de croître si ce qui le provoque ne cesse pas] Tu commences à m'agacer, mon garçon! Je n'ai d'ordres à recevoir de personne, ici (H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 264).Le commissaire commençait à en avoir chaud aux oreilles (Simenon, Les Vacances de Maigret,1948, p. 119).
Rem. 1. La constr. commencer à/de + verbe est proportionnellement plus fréquente au xxequ'au xixes. (parallèlement la constr. commencer + subst. y est moins fréq.). Ds la docum. commencer à est 4 à 5 fois plus fréq. que commencer de. Il n'existe pas de distinctions abs. entre les 2 constr. On peut cependant observer qq. tendances. a) La constr. avec de est plus fréq. au xxes. qu'au xixes. b) Commencer de est plus fréq. dans la lang. soignée que dans la lang. usuelle ou fam. c) On emploie plus volontiers à devant les verbes indiquant que l'action aura un développement (commencer à devenir, à (s')inquiéter, à comprendre), p. oppos. aux verbes n'indiquant qu'une simple durée (commencer de lire, d'écrire [une lettre, un roman], de vivre) (cf. rem. s.v. ds Ac. 1835-1932). d) Afin d'éviter l'hiatus, l'usage soigné tend parfois à employer de lorsque commencer est à une forme qui se terminera par une voyelle, ou devant les verbes commençant par une voyelle. 2. Dans l'emploi fam. (supra H. Bazin et Simenon) on ne rencontre jamais de.
3. Littér. et p. ell. du verbe dire. [Le compl. d'obj. est un propos rapporté au discours dir.] Dire pour commencer, commencer par dire. Après avoir (...) bu et mangé, elle commence : − J'étais sur « la Bourgogne », tu sais, le jour où elle a fait naufrage (Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 980).
[En incise] :
6. Mais, madame, commença la receveuse qui venait de rouvrir son guichet, vous pourriez à l'arrivée vous entendre avec le contrôleur. Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 983.
4. Emploi abs.
a) [Le compl. d'obj. implicite est un verbe ou un subst. d'action ou un terme suggéré par le cont.] :
7. Cette lettre n'aura ni queue ni tête, ce qui est un grand avantage. Je la trouve cependant moins abrutie qu'en commençant je ne l'avais prévu. Valéry, Correspondance[avec Gide], 1899, p. 366.
Loc. adv. Pour commencer. En premier lieu, d'abord. Un monstre, il faudrait dire, un tonnerre de sort... pour commencer, il pèse cent quarante-quatre kilogs (Audiberti, Les Femmes du Bœuf,1948, p. 112).
En partic. [Le verbe implicite est un verbe signifiant « dire »] Tu as peur de parler la première? Très bien. Je vais commencer (Sartre, Huis clos,1944, 5, p. 141).
b) [Le verbe est précisé par un compl. circ. de moyen, de manière (prép. par) indiquant la première d'une série d'opérations] Faire la première d'une suite d'actions. Fâcheuses nouvelles d'Italie. Victor-Emmanuel a commencé par un échec; ses deux divisions ont dû repasser le Mincio (Amiel, Journal intime,1866, p. 346).L'esclave commence par réclamer justice et finit par vouloir la royauté (Camus, L'Homme révolté,1951, p. 41).
P. méton. [Le compl. prép. désigne la pers. affectée par cette première opération] J'ai fait ma correspondance en commençant par mon fils (Maine de Biran, Journal,1817, p. 16).
Loc. adv. À commencer par + nom de chose ou de pers.Si on veut (ou doit) commencer par :
8. Nul d'entre les Grands (...) n'est impeccable, à commencer par Homère qui somnole quelquefois... Verlaine, Œuvres complètes,t. 4, Les Poètes maudits, 1884, p. 7.
9. « Pour adoucir notre sort de brutes nous avons découvert et fabriqué de tout, à commencer par des maisons, puis des nourritures exquises, ... » Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, L'Inutile beauté, 1890, p. 1160.
Loc. pléonastique, fam., avec valeur d'insistance. Commencer par le commencement. Faire une suite d'actions dans leur ordre logique normalement attendu :
10. Il faisait sa tournée de facteur en commençant par le commencement et en suivant. C'était son métier, puisqu'il était facteur. Aymé, La Jument verte,1933, p. 155.
B.− [Le suj. désigne une chose susceptible d'action ou de développement, en vertu de sa nature propre ou de sa finalité]
1. [Le compl. d'obj. est un subst. ou un de ses équivalents] Accomplir la première phase d'une opération unique et continue, ou la première d'une série continue d'opérations distinctes. Un livre qui avait commencé sa réputation d'une manière très avantageuse (Constant, Le « Cahier rouge », 1830, p. 12).Quelques phrases d'excuse commencèrent son sermon (Stendhal, La Chartreuse de Parme,1839, p. 461).Les trois pages qui commencent ce chapitre (Michelet, Journal,1860, p. 553).L'automobile commençait la descente (Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire?1934, p. 510):
11. Les ouvrages, pleins du génie d'Hippocrate, c'est-à-dire de faits et de conséquences bien déduites de ces faits, ont commencé la science. Stendhal, Hist. de la peint. en Italie,t. 1, 1817, p. 245.
2. [Le compl. d'obj. est un verbe à l'inf. précédé d'une prép.] Commencer à, de.Accomplir ou éprouver le début de l'action, d'un procès exprimés par le verbe. Le ciel commençait de blanchir (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 174).Les pommes de la dernière récolte commencent à se faner sur les planches (Bernanos, Monsieur Ouine,1953, p. 1544).La morphine commençait à agir (E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 202).
Loc. impers. [Le suj. réel désigne un phénomène naturel] Il commençait à bruiner (E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945p. 90).
Fam. [Pour exprimer l'impatience (cf. supra I A 2)] Foin! Foin! Tu me l'as fait répéter dix mille fois. Ça commence à me sortir par les yeux (Audiberti, Le Mal court,1947, I, p. 150).
Rem. Le verbe peut être suivi d'une prop. part. (prép. en) ou d'un compl. circ. (prép. par) à valeur de compl. second. Commencer son règne par un massacre. Ce prince a commencé son règne en rétablissant le bon ordre dans ses États (Ac. 1835-1932). Il commença son allocution en ordonnant à la paroisse de bien marquer le passage du credo « Et Incarnatus est de Spiritu Sancto (...) » (Queffélec, Un Recteur de l'île de Sein, 1944, p. 171). On commence le film par la scène où Valmègue parvient au championnat du monde (Queneau, Loin de Rueil, 1944, p. 174). La conscience ne commence d'être qu'en déterminant un objet (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, 1945, p. 35). Très insatisfait si je n'ai pu commencer ma journée par la lecture très attendue d'une cinquantaine de vers de Virgile (Gide, Journal, 1946, p. 303).
II.− Emploi intrans.
A.− [Dans l'espace; le suj. désigne une chose étendue; auxil. des formes composées : avoir] Être situé au début, ou constituer le début.
1. [Le compl. circ. prép. ou l'adv. de lieu indiquent le point de l'espace où prend naissance l'ext.] Commencer à (un point), en (un lieu). Y avoir son début. Cette montagne, cette forêt commence en tel lieu, en tel pays, auprès de telle ville (Ac. 1835-1932). Les rues commencent au numéro un. La place où vient commencer la large avenue du Prado (Gide, Journal,1942, p. 118):
12. Près du casino, à l'endroit où finit la plage sur un coude brusque, commence abruptement en face du large le paysage familier des dunes rudement éventées, ... Gracq, Un Beau ténébreux,1945, p. 134.
2. [Le compl. circ. prép. ou l'adv. indiquent la chose située au point où prend naissance l'étendue] Commencer par, plus rarement avec (une chose). Avoir pour début (cette chose). Le colon commence par un cul-de-sac recourbé en crosse et séparé du reste par un étranglement (Cuvier, Leçons d'anat. comp.,t. 3, 1805, p. 504).
B.− [Dans le temps; emploi plus fréq. que A]
1. [Le suj. désigne une chose; quand la périphrase verbale exprime un point dans le temps et n'a qu'une valeur temporelle, l'auxil. des formes composées est avoir; quand la périphrase verbale exprime le résultat à un moment donné d'une phase ant., l'auxiliaire est être] Être à son début. Le troisième acte était commencé (Zola, Nana,1880, p. 1215).Comme la chasse avait commencé, sans cesse des coups de fusil partaient (P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 179):
13. Oui, la guerre était finie (...) ce soir c'était une vraie fête; la paix commençait, tout recommençait : ... S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 10.
[Le suj. désigne une opération qui se développe dans le temps; le compl. circ. ou l'adv. de temps indiquent le moment où cette opération prend son départ] Commencer à (tel moment), en (tel espace de temps). Y avoir son début à ce moment. Le spectacle a commencé à telle heure (Ac. 1835-1932). Un souper champêtre commençant à minuit (Senancour, Obermann,t. 2, 1840, p. 229).
[Le suj. désigne une opération composite aux phases successives; le compl. circ. indique ce qui se passe, ce qu'on perçoit etc. au moment où l'opération débute] Commencer par (une chose). Avoir pour début (cette chose). Le premier acte commence par une scène entre tels personnages (Ac.1835-1932).La maladie commence par des céphalées (Camus, La Peste,1947, p. 1377):
14. ... c'était (...) sur cette léthargie de la volonté [la peur], qu'il avait fait converger ses études, (...), indiquant les symptômes de sa marche, les troubles commençant avec l'anxiété, se continuant par l'angoisse, éclatant enfin dans la terreur... Huysmans, À rebours,1884, p. 253.
Loc. proverbiale. Charité bien ordonnée commence par soi-même. L'homme raisonnable commence par se mettre au service de ses propres besoins ou intérêts.
Rem. Cf. également Mmede Staël, De l'Allemagne, t. 4, 1810, p. 359 : La sévérité bien ordonnée commence par soi-même.
[Avec un attribut du suj. indiquant la manière d'être de celui-ci] La journée a commencé douce et belle (E. de Guérin, Journal,1835, p. 39).
2. Plus rare. [Le suj. désigne une pers., considérée dans son devenir, dans son développement temp.; auxiliaire des formes composées : avoir] Être au début de son développement. Cet enfant, je pense qu'il existe, qu'il commence, qu'il a une vie toute neuve à vivre (R. Martin du Gard, Les Thibault,Épilogue, 1940, p. 913).
[Avec un compl. circ. indiquant la nature de ce début] Commencer dans qqc. :
15. ... les saints les plus glorieux sont parfois ceux qui, tels saint Augustin, saint Boniface ou saint Jean Gualbert ont commencé dans la crapule. G. Duhamel, Journal de Salavin,1927, p. 84.
[Avec un attribut du suj. indiquant la manière d'être, etc., de celui-ci] Il avait commencé graveur, il finissait copiste (Guéhenno, Jean-Jacques,Grandeur et misère d'un esprit, 1952, p. 286).
Rem. 1. Avec à peine, le verbe exprime un commencement dans le commencement. Je commence à peine, et les commencements sont très durs (Bernanos, Un Mauvais rêve, 1948, p. 991). 2. On rencontre ds la docum. qq. ex. du part. passé adj. Nos vendanges sont commencées et assez bonnes (Lamartine, Correspondance, 1836, p. 230). Ma solitude irrévocable était si prochaine qu'elle me semblait déjà commencée et totale (Proust, La Fugitive, 1922, p. 652).
Prononc. et Orth. : [kɔmɑ ̃se], (je) commence [kɔmɑ ̃:s]. Enq. : /komãs/ (il) commence. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. xes. trans. [le suj. désigne une pers.] (Fragment de Jonas, 28 ds Foerster-Koschwitz, p. 58); 2. trans. ind. ca 1100 commencer à + inf. (Roland, éd. J. Bédier, 426); 1580 commencer de (Montaigne, Essais, livre 1, chap. 8); 1601 commencer par [qqn] (Montchrestien, Les Lacenes, p. 198 ds IGLF); 3. intrans. av. 1317 « [de qqc.] débuter » (Joinville, Œuvres, 57, 11, ibid.); 1470 commençans (Livre de la discipline d'amour divine, fo22a ds R. Et. rab., t. 9, p. 303). Empr. au lat. vulg.cominitiare, composé de cum et initiare qui, du sens part. de « initier » est passé en b. lat. à celui de « débuter ». Fréq. abs. littér. : 22 038. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 29 626, b) 31 198; xxes. : a) 28 561, b) 34 553. Bbg. Ascoli (C.I.). Saggiuoli diversi. Archivo glottologico italiano. 1890, t. 11, pp. 429-430. − Gottsch. Redens. 1930, p. 288, 342. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 34. − Jaberg (K.). Die Bezeichnungsgeschichte des Begriffes anfangen. R. Ling. rom. 1925, t. 1, pp. 118-145. − Kalepky (T.). Vom Infinitiv mit de und à nach commencer und in verwandten Fällen. Z. fr. Spr. Lit. 1911, t. 37, pp. 252-269.