| CHRÉTIEN, IENNE, adj. et subst. I.− Adjectif A.− [En parlant d'une pers.] Qui professe la religion issue du Christ. Le monde chrétien, Église chrétienne, le(s) peuple(s) chrétien(s), une âme chrétienne. Anton. athée, gentil, infidèle, païen : 1. Ici l'orateur chrétien fut interrompu. Un bruit inusité se perpétuoit en un coin de l'église : c'étoit l'endroit où se trouvoit Annette.
Balzac, Annette et le criminel,1824, p. 161. − HIST. Le Roi Très Chrétien, Sa Majesté Très Chrétienne. Le roi de France : 2. Mais pour notre ami [Giraudoux] il ne s'agit plus de ménager le roi très chrétien, ni les jésuites, ni le bénin M. de Malesherbes : le beau nuage diapré autour de ses audaces ne le protège contre personne.
Mauriac, Journal 3,1940, p. 243. SYNT. Pays chrétien, prêtre(s) chrétien(s), famille(s), vierge(s) chrétienne(s); anachorète chrétien (Lamartine, Cours fam. de litt., 40eentretien, 1859, p. 243), clergé chrétien (Guizot, Hist. gén. de la civilisation en Europe, 1828, p. 2). Rem. On relève ds la docum. le néol. chrétienneté, subst. fém. Le monde chrétien, la chrétienté* (au sens A) (cf. Renan, Hist. du peuple d'Israël, t. 3, 1891, p. 430). B.− [En parlant d'entités plus ou moins abstr.] 1. Qui est propre, relatif à cette religion. La foi, la morale, la religion chrétienne : 3. On multiplie, à la base du mariage chrétien, les offenses à la raison et à la nature, ce qui est d'ailleurs l'esprit même du christianisme : quia absurdum.
Montherlant, Le Démon du bien,1937, p. 1234. SYNT. Charité, doctrine chrétienne; l'ascétisme chrétien (cf. abstinence ex. 7), le symbolisme chrétien (Bloy, La Femme pauvre, 1897, p. 91), un sarcophage chrétien (A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1881, p. 372). ♦ Ère chrétienne. Ère commençant à la naissance de Jésus-Christ, et dans laquelle on compte les années à partir de cette date : 4. La révolte de Spartacus à la fin du monde antique, quelques dizaines d'années avant l'ère chrétienne, est à cet égard [du point de vue de principe d'équivalence, vie contre vie] exemplaire.
Camus, L'Homme révolté,1951, p. 139. 2. Qui est conforme à la doctrine enseignée par Jésus-Christ, à la morale qu'il a instituée. Mener une vie chrétienne, une mort chrétienne, des sentiments chrétiens : 5. ... et las d'antienne,
De prêche et de sermon, fils de famille ancienne,
N'as-tu pas quelque part deux vieux parents dévots,
Qui t'ont fait dans un gîte obscur aux bleus vitraux
Une enfance assombrie, austèrement chrétienne?
J. Lorrain, Les Griseries,Le Voyageur, 1887, p. 47. 3. Qui porte l'empreinte de cette doctrine, de cette morale, qui s'en inspire. Culture, démocratie chrétienne; humanisme chrétien. Extrait Weitling, Bruno Bauer (idée du communisme chrétien) (Michelet, Journal,1854, p. 238): 6. Vouloir fonder une philosophie chrétienne sur l'évangile seul serait impossible, puisque, même lorsqu'il ne cite pas l'Ancien Testament, il le suppose.
Gilson, L'Esprit de la philos. médiév.,t. 2, 1932, p. 193. Rem. On rencontre ds la docum. un néol. composé de christiano-(formation sav. d'apr. le lat. christianus) et de l'adj. classique. Ces valeurs que la civilisation christiano-classique a produites (Sorel, Réflexions sur la violence, 1908, p. 362). − En partic. a) [Surtout avec la négation] Qui est conforme à la générosité d'un parfait chrétien. Vous n'exprimez pas là un sentiment chrétien (Rob.).Fam. Qui s'accorde avec l'honnêteté, la justice, la morale. S'enrichir par des moyens peu chrétiens (Lar. 19e-20e). ♦ Région. (Canada). Humain, loyal. C'est pas chrétien de faire pâtir une petite bête comme ça (Bél.1957). b) Acceptable, convenable. Savez-vous quelque chose d'un peu plus chrétien (Lar. 19e). ♦ Spéc., péj. [Pour qualifier une boisson (lait ou vin), p. allus. à l'eau du baptême] Additionné d'eau, mouillé (cf. baptiser B 2). Une douzaine de drôlesses déguisées en laitières vendent du lait trois fois chrétien (Privat d'Anglemont ds Larch.1880). − Emploi adv. ♦ Parler chrétien (au fig., vx et fam.). Parler de façon intelligible, claire : 7. Quant à ta tente, à ta tente, manufacturée, je l'ai bien regardée hier (...) eh bien! je parle chrétien, vraiment, je suis pas bien sûr qu'il y ait encore de la toile autour des trous...
E. de Goncourt, Les Frères Zemganno,1879, p. 103. ♦ Écrire chrétien. Écrire d'une manière chrétienne : 8. Écrire chrétien, en ce siècle, ce n'est pas prendre un brevet de pauvreté. C'est prendre un brevet de misère.
Péguy, L'Argent,1913, p. 1146. II.− Substantif A.− Emploi comme subst. masc. et fém. 1. Personne professant la religion issue de Jésus-Christ et appartenant aux Églises catholique, protestantes ou orthodoxe. Les premiers chrétiens, une jeune chrétienne; agir, mourir en bon chrétien : 9. Pour le Chrétien, il n'est pas question de s'évanouir dans l'ombre, mais de monter dans la lumière, de la Croix.
Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 119. − POL. Chrétiens progressistes. Chrétiens qui collaborent avec les partis de gauche pour mener leur action politique (cf. Lar. encyclop., Lar. 3). Chrétiens sociaux. Chrétiens se réclamant de la démocratie chrétienne : 10. Les chrétiens-sociaux sentaient le vent souffler en poupe de leur nacelle et s'enchantaient de l'importance de L'Aube, du grand tirage d'Ouest-France, du développement de Temps présent et de Témoignage chrétien.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 114. SYNT. Chrétien baptisé (cf. baptisé ex. 2), janséniste (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 351), luthérien (Vigny, Le Journal d'un poète, 1842, p. 1178), traditionnel (Camus, L'Homme révolté, 1951, p. 238); chrétien(s) des catacombes (Bloy, La Femme pauvre, 1897, p. 237). 2. P. ext., fam. Personne présentant des qualités humaines inspirées par l'éthique chrétienne : 11. Pour les prisonniers [les mineurs restés au fond de la mine], c'était la douzième journée qui commençait (...) sans pain, sans feu, dans ces ténèbres glaciales! Cette abominable idée mouillait les paupières, raidissait les bras à la besogne. Il semblait impossible que des chrétiens vécussent davantage, les coups lointains s'affaiblissaient depuis la veille...
Zola, Germinal,1885, p. 1554. a) [Considérée sous le rapp. de son caractère] C'est un rude chrétien, une terrible chrétienne (Lar. 19e, Lar. encyclop.). Un bon chrétien. Un homme accommodant (cf. Bél. 1957). b) [P. oppos. à animal] Manger du chrétien, de la chair de chrétien. Manger de la chair humaine. Il fait un temps à ne pas laisser un chrétien dehors. Il fait un temps très désagréable (cf. Rob., etc.). B.− Emploi subst. masc. [En parlant d'un inanimé] 1. [concret] a) Région. (Suisse, etc.), et fam. Marcher sur le/ son chrétien. Marcher pieds nus (cf. Pierreh. Suppl. 1926 et chrétienté C 1) : 12. Le vent a sucé mon manteau et la route si bien mordillé ma semelle que je marche sur le chrétien.
A. Arnoux, Abisag,1919, p. 267. b) HORTIC. Synon. de bon-chrétien* (rare) : 13. ... au potager avec les espaliers où prenaient, en septembre, d'étonnants embonpoints, les beurrés d'Amanlis, les doyennés du Comice, les duchesses d'Angoulême, les passe-crassanes, les chrétiens d'hiver...
P. Vialar, La Mort est un commencement,Le Clos des Trois Maisons, 1946, p. 205. 2. [abstr.] Avec valeur de neutre, rare. Ce qui est chrétien : 14. Dans le chrétien, dans le sacré elle [la France] a la garde de la foi; et peut-être encore plus de la charité...
Péguy, L'Argent,1913, p. 1262. Rem. On rencontre ds la docum. le subst. fém. chrétiennerie, péj. Quartier chrétien d'une ville (p. oppos. à juiverie « quartier juif »); chrétienté. Madame Gervaise (à Jeannette) (...) C'est une histoire unique et elle fut jouée deux fois. Une fois en juiverie, une fois en chrétiennerie (Péguy, Le Mystère des Saints Innocents, 1912, p. 128). Attesté seulement ds Guérin 1892 qui le qualifie de ,,néol. inusité``. Prononc. et Orth. : [kʀetjε
̃], fém. [-tjεn]. a) Prononc. de l'initiale par [k]. Cf. lettre C, prononc. de ch dans les mots d'orig. gr. b) Prononc. de t + i par [t]. − Lorsque t est précédé de s ou de x. Ainsi dans chrétien dont l'anc. graph. est chrestien. Cf. aussi dans question, mixtion, combustion, dynastie, châtier (anc. fr. chastier). − Dans les mots terminés en -tié(r) du type moitié, bonnetier, sauf balbutier et initier; t + i = [t] également dans centiare, éléphantiasis, galimatias, dans les formes portions et portiez du verbe porter (p. anal. avec les autres formes du verbe et pour éviter la confusion avec le subst. portion), dans entretien, qu'il entretienne, soutien, qu'il soutienne, retienne, dans étiage, affutiau. Pour ces listes de mots cf. Rouss.-Lacl. 1927, p. 161, Fouché Prononc. 1959, p. 300, Kamm. 1964, p. 173. Cf. encore Mart. Comment prononce 1913, p. 335 et 337, et Grammont Prononc. 1958, p. 83. c) Finale [-jε
̃]. À partir du xvies. la finale -ien se prononce [-jɑ
̃] dans la prononc. pop. : bian, chian, chrétian, comédian, tu vians, etc. Dans la lang. correcte [jε
̃] se maintient grâce à l'action des grammairiens, et p. anal. avec les cas où -ien final se trouve en liaison avec un mot commençant par une voyelle, et p. anal. avec le fém. -ienne [-jεn] (cf. Buben 1935, § 94). Fér. Crit. t. 1 1787 rappelle qu'on a écrit chrêtien pour figurer la disparition de l's, mais que l'on a abandonné cette graph. à cause du timbre fermé de l'e [e] : [kʀe-], l'ê accent circonflexe se prononçant avec le timbre ouvert (ex. : fête). Ds Ac. 1694 et 1718 encore : chrestien; ds Ac. 1740-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1. a) 842 adj. christian « qui professe la religion de Jésus-Christ » (Serments de Strasbourg, 1, 1 ds Henry Chrestomathie t. 1, p. 2); subst. ca 1050 cristïens (Vie de Saint-Alexis, éd. C. Storey, vers 340); b) 1174-87 subst. masc. fém. crestïen, crestïene « homme, femme » (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. W. Roach, 2978); 2. ca 881 adj. christiien « propre aux chrétiens » (Séquence de Sainte-Eulalie, 2, 14 ds Henry, op. cit., p. 3). Adaptation du lat. chrét. christianus, subst. « chrétien » (dès 64 sous Néron, Tacite ds TLL Onom., 414, 8, s.v. Christus) adj. (Tertullien, ibid., 413, 32), dér. irrégulier de Christus « Christ » (Tacite, ibid., 409, 54), empr. au gr. Χ
ρ
ι
σ
τ
ο
́
ς « oint; qui a reçu l'onction sainte; l'Oint du Seigneur, Jésus-Christ ». Fréq. abs. littér. : 10 025. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 20 282, b) 6 835; xxes. : a) 11 181, b) 14 941. Bbg. Cohen 1946, p. 41. |