| CHENILLE, subst. fém. A.− Larve de papillon, au corps allongé, formé d'anneaux et généralement velu (cf. asticot, ver). Chenille arpenteuse, processionnaire. Le vieux cognassier, tout barbu de nids de chenilles (Ramuz, Aimé Pache, peintre vaudois,1911, p. 61): 1. Mais ces fleurs vénéneuses nourrissaient la belle chenille tithymale, verte avec des taches sombres, et un papillon en devait naître, un sphinx aux ailes colorées des plus fines nuances.
P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 99. 2. ... une chenille qui se déplaçait dans le feuillage en faisant, par des rapprochements successifs de la tête et de l'arrière-train, des espèces de pas arqués.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Vue de la Terre promise, 1934, p. 120. − P. compar., vieilli. Laid comme une chenille : 3. Doué d'instincts de petite maîtresse, qui contrastaient singulièrement, d'ailleurs, avec sa laideur de chenille, il usait de savons parfumés à l'héliotrope le plus pur...
Courteline, Le Train de 8 h 47,1888, I, p. 11. − [En constr. d'appos. avec valeur d'adj.] :
4. Sa maigreur [d'un mendiant] est hideuse aux trous de sa guenille.
Et le seul point par où ce fantôme chenille
Touche aux hommes courbés le soir et le matin,
C'est, à l'aube, au couchant, sa prière en latin,
Dans l'ombre, d'une voix lente psalmodiée.
Hugo, La Légende des siècles,Le Jour des rois, t. 1, 1859, p. 221. ♦ En chenille. Cette fleur en chenille Qui met sa grappe blonde aux bras des châtaigniers (R. de Montesquiou, Les Hortensias bleus,1896, p. 79). − P. métaph. ♦ [P. réf. à la voracité de cet animal] L'affectation, cette chenille qui dévore les germes et les boutons les plus verts (Musset, Le Temps,1831, p. 138). ♦ [P. réf. à sa forme] La petite chenille jaune du tramway s'avance sur deux fils métalliques (Morand, New York,1930, p. 48): 5. Les branches étaient chargées chacune d'une longue chenille de neige cristalline; ...
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Verdun, 1938, p. 80. 6. Des paquets de patrouilles, des fourrageurs, des processions de petites chenilles noires à pantalons jaunes parcouraient les champs; des mouches vertes en uniforme de carabinier s'aggloméraient autour des fermes.
Giono, Bonheur fou,1957, p. 137. ♦ En partic. Personne négligeable ou méprisable : 7. − Confrère...
Il déploya les bras comme un oiseau étend ses ailes, et toisa la chenille qui s'était permis de le traiter avec tant de familiarité.
L. Cladel, Ompdrailles,1879, p. 298. 8. Dès son enfance la plus lointaine, cette chenille du purgatoire avait exigé rigoureusement qu'elle ne se plaignît jamais, prétendant qu'une enfant doit être la récompense et la « couronne » d'une mère.
Bloy, La Femme pauvre,1897, p. 30. Emploi adj., vx, région. Méchant : 9. ... le rossignol est prié un jour à la noce. Et il dit comme ça à l'anvot : « Prête-moi ton œil, mon camarade, je te le rendrai sans faute ». Et il va à la noce, fier comme un paon d'avoir deux yeux (...). Et il revient, et l'anvot lui réclame son œil. « Ton œil? Quel œil? Par mon père et ma mère, je ne sais pas ce que tu veux dire ». Il était rudement chenille, ce rossignol!
Genevoix, Raboliot,1925, p. 130. Rem. On rencontre ds la docum. le subst. masc. chenillon. Fille laide, avorton. Bougre de chenillon! (Zola, L'Assommoir, 1877, p. 679). B.− [P. anal. d'aspect] 1. Vieilli. Passementerie et, p. méton., ouvrage de passementerie ayant la forme et l'aspect velu d'une chenille. Larges chapeaux enjolivés de chenilles de toutes couleurs (Nerval, Le Marquis de Fayolle,1855, p. 191).Des causeuses brodées en chenille sur satin blanc (E. et J. de Goncourt, Journal,1862, p. 1040).Un tapis en chenilles de laine (Gide, Les Caves du Vatican,1914, p. 765).Une lourde résille de chenille rouge (Gyp, Souvenirs d'une petite fille,1927, p. 212). − P. méton., vx. Habillement négligé pour homme. Ces charmants déshabillés, appelés par le peuple chenilles (E. de Goncourt, La Maison d'un artiste,1881, p. 325): 10. ... nos élégans couraient le soir, en chenille, disputer à leurs valets-de-chambre des bonnes fortunes aux guinguettes ou aux théâtres des boulevarts.
Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 3, 1813, p. 20. 2. Vieilli. Crinière de casque à poils ras. L'énorme chenille rouge d'un casque de carabinier (Courteline, Femmes d'amis,1888, p. 80).Le casque d'argent avec chenille noire et plumet blanc (A. France, Pierre Nozière,1899, p. 99). 3. Bande sans fin articulée, isolant du sol les roues d'un véhicule, permettant ainsi à ce dernier de se déplacer sur tout terrain. Tracteur à chenilles. Un petit char Renault immobilisé en plein carrefour parce que sa chenille était cassée (Abellio, Heureux les pacifiques,1946, p. 301).Des pelles mécaniques montées sur chenilles (J. Stocker, Le Sel,1949, p. 25). Rem. 1. Les dict. et certains écrivains attestent, ces derniers entre guillemets, le synon. techn. caterpillar, empr. tel quel à l'anglo-amér. de même forme et de même sens « Bande métallique enroulant ensemble la roue avant et la roue arrière d'un tracteur puis d'un véhicule, pour lui permettre de « ramper » sur tous les terrains, et ainsi de franchir tout obstacle et ne pas s'enliser » (cf. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932, pp. 591-592; Gide, Journal, 1918, p. 646; Gourmont, Esthétique de la lang. fr., 1899, p. 178). 2. On rencontre ds la docum. a) chenillant, adj. Persévérant et importun. Il [Brunetière] fut si insistant, si chenillant, si cajoleur que mon père... aurait peut-être cédé (L. Daudet, Quand vivait mon père, 1940, p. 231). b) cheniller, verbe intrans. Avancer à la manière d'une chenille. Une bonne femme aveugle (...) chenillait le long du train, et elle tâtait les wagons pour se conduire (Montherlant, Les Bestiaires, 1926, p. 457). c) chenillement, subst. masc. Action d'avancer à la manière d'une chenille. Une longue traînée brunâtre, qui s'avance avec une lenteur ondulante, avec un chenillement incessant et tranquille, nous représente tout de suite une caravane (Loti, Au Maroc, 1889, p. 48). Prononc. et Orth. : [ʃ(ə)nij]. [ə] muet ds les dict. hist. de Fér. 1768 à DG; pour les dict. mod. ds Passy 1914, Dub., Pt Lar. 1968 et Lar. Lang. fr. [ə] facultatif ds Pt Rob. et Warn. 1968; à ce sujet cf. chemin. Fér. 1768, Fér. Crit. t. 1 1787, Gattel 1841, Nod. 1844, Fél. 1851 et Littré transcrivent [λ] mouillée à la finale. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1214 zool. (Angier ds M.-K. Pope, Ét. sur la lang., p. 92); 1690 fig. « personne méchante » (Fur.); p. anal. 2. 1680 « passementerie » (Rich.); 3. 1922 autom. (Lar. univ.). Du lat. canicula proprement « petite chienne » (en raison de la forme de la tête de la chenille) attesté en lat. class. aux sens de « chien de mer » et fig. de « femme acariâtre »; le sens 3 est peut-être un calque de l'angl. attesté dep. 1915 ds NED Suppl. Fréq. abs. littér. : 408. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 443, b) 722; xxes. : a) 508, b) 663. DÉR. 1. Chenillé, ée, adj.a) [Correspond à chenille A] Néol. Dont l'aspect évoque des chenilles. Des bois chenillés − dont le fil sinueux présente des entrelacs aux vives colorations entourant des plaques de teinte vive semées au hasard (J. Viaux, Le Meuble en France,1962, p. 5).b) [Correspond à chenille B 1] Vieilli. Garni de chenilles. Brillant costume (...) satin couleur de rose avec nœuds d'argent chenillés d'or (G. Sand, Consuelo,t. 3, 1842-43, p. 363).c) [Correspond à chenille B 3] Dont les roues sont munies de chenilles. Semi-chenillé. Dont les roues motrices sont munies de chenilles. Les véhicules semi-chenillés (auto-chenille) (Ch. Chapelain, Cours mod. de techn. automob.,1956, p. 24).− [ʃ(ə)nije]. − 1resattest. 1611 « qui rappelle la chenille » taffetas chenillé (Cotgr.); début xxes. ds Lar. Lang. fr.; 1956 véhicules semi-chenillés (Chapelain, loc. cit.); 1960 (Lar. encyclop.); de chenille, suff. -é*. 2. Chenill(i)ère,(Chenillère, Chenillière) subst. fém.Nid de chenilles. Des ramures prises dans des chenillières solides comme nids d'étoupe (Cendrars, L'Homme foudroyé,1945, p. 229).[ʃ(ə)nijε:ʀ]. Dernière transcr. ds Passy 1914. Pour [ə] muet cf. chenille. − 1resattest. début xviies. chenilliere (Resp. à l'Anti-Coton, p. 13 ds Gdf. Compl.) − 1642 (Oudin, ibid.); à nouv. en 1945 chenillière (Cendrars, loc. cit.); de chenille, suff. -(i)ère*. 3) Chenillette, subst. fém.Petit véhicule militaire chenillé (cf. auto-chenille). La « chenillette d'infanterie » française était un petit véhicule automobile sur chenilles, blindé et assez bas pour être peu visible (H. Tinard, L'Automob., 1951, p. 358). BBG. − Goug. Mots t. 2 1966, pp. 114-115. − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 53, 113. − Termes techn. fr. Paris, 1972, p. 23. |