| CHANCE, subst. fém. I.− JEUX (de hasard) A.− Vx. Coup de dé; point(s) que donne un dé en tombant. Donner la chance, livrer (la) chance. Amener sa chance (Ac.1878). − P. méton. Sorte de jeu de dés. Jouer à la chance (Ac. 1878). Les transitions du récit (...) paraissaient abandonnées au caprice de la parole comme une chance du jeu de dé (Nodier, Smarra,1821, p. 20). − P. métaph. Si du dé fatal la chance fut perfide (Delille, L'homme des champs,Premier chant, 1800, p. 54). B.− Théorie des chances. Calcul des probabilités appliqué aux jeux de hasard (cf. Comte, Cours de philos. positive, t. 4, 1839-42, p. 331). ♦ Calculer les chances : 1. Les jeux de bourse, l'agiotage sur les fonds publics pouvaient en effet me conduire à un retour de fortune. Il suffisait pour cela de bien calculer les chances et de prévoir les résultats des événements.
Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 401. C.− Jouer sa chance. Essayer de gagner au jeu de dés; p. ext. à n'importe quel jeu. − P. métaph. On ne peut dire qu'Édouard Drumont négligea de jouer sa chance, pour employer l'argot du sport (Bernanos, La Grande peur des Bien-Pensants,1931, p. 208): 2. Échoués, à quatre mille mètres d'altitude, sur un plateau aux parois verticales, son mécanicien et lui [Mermoz] cherchèrent pendant deux jours à s'évader. Ils étaient pris. Alors, ils jouèrent leur dernière chance, lancèrent l'avion vers le vide, ...
Saint-Exupéry, Terre des hommes,1939, p. 155. ♦ Expr. Mener jusqu'au bout ses chances : 3. ... j'avais en face de moi, fermé, désinvolte et tendu, le joueur de poker décidé à mener jusqu'au bout ses chances.
Gracq, Un Beau ténébreux,1945, p. 136. II.− Tour favorable ou défavorable, mais de soi imprévisible et livré au hasard, que peut prendre ou que prend effectivement une situation ou un événement; issue heureuse ou malheureuse d'une situation donnée. Synon. éventualité, hasard : 4. Ses camarades (...) ne comprenaient pas pourquoi, avant le combat, il paraissait espérer quelque chose, et ne devinaient point que d'Auverney, de toutes les chances de la guerre, ne désirait que la mort.
Hugo, Bug-Jargal,1826, p. 16. 5. ... les vicissitudes de ma jeunesse n'avaient pas été assez nombreuses et assez variées pour me fournir l'occasion d'embrasser sous tous les aspects toutes les chances d'une existence complète. Je regrettais de n'avoir éprouvé ni assez de malheurs, ni surtout assez de prospérités pour être sûr de ma résolution dans tous les événements de la vie.
Nodier, La Fée aux Miettes,1831, p. 151. A.− Au sing. 1. Puissance (cachée) qui est censée orienter à son gré le cours des événements dans un sens favorable ou défavorable. Synon. fortune : 6. ... j'ai vu, depuis vingt ans, le monde par son envers, dans ses caves, et j'ai reconnu qu'il y a dans la marche des choses une force que vous nommez la providence, que j'appelais le hasard, que mes compagnons appellent la chance.
Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes,1847, p. 642. − [Le caractère favorable ou défavorable est précisé par un adj. qualificatif] Bonne, mauvaise chance; souhaiter bonne chance à qqn. Quelle bonne chance vous amène? Seigneur Hérode, dit l'hôtelier (Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 183).C'est la mauvaise chance qui me poursuit encore; le Guignon, chanté par Mallarmé (Larbaud, A. O. Barnabooth,1913, p. 16). − Emploi exclam. Bonne chance! Mille amitiés, bonne chance, bon succès (Balzac, Correspondance,1832, p. 173). 2. [La chance est considérée comme une force favorable] Faveur accordée par le sort, condition d'une personne favorisée par le sort. a) [La chance est présentée comme une allégorie] − Cour. [P. réf. aux dés qui changent de face (cf. supra I) ou à la roue de la Fortune*, qui en tournant, présente en bas ce qui était d'abord en haut] La chance tourne (contre lui). La bonne chance l'abandonne. La chance a tourné, j'ai été pris (Barrès, Un Homme libre,1889, p. 226). − [P. allégorie et personnification (cf. la Fortune personnifiée)] Littér. La chance ne lui sourit pas (Dabit, L'Hôtel du Nord,1929, p. 55). ♦ [P. réf. à la représentation fam. de la Fortune-chance, qu'il faut savoir prendre au passage] Dans un geste terrible de cow-boy, (...) attraper la chance d'un seul coup (Cocteau, Poèmes,1916-23, p. 234). b) [La chance est considérée comme une faveur ou un ensemble de conditions favorables attachées à une pers.] Issue heureuse d'une situation, bonheur inespéré accordé par le sort. Synon. fam. veine.Je suis un homme plein de chance! (Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 2, 1870, p. 353).Qu'avez-vous fait au bon Dieu pour mériter pareille chance? (Estaunié, L'Empreinte,1896, p. 63).Je n'ai pas seulement de ligne de chance dans la main (Bernanos, La Joie,1929, p. 617). − P. antiphrase. Issue défavorable, malchance. Dans l'expr. fam. : voilà bien ma chance! (cf. Verne, Les Enfants du capitaine Grant, t. 1, 1868, p. 66). Voilà une fois de plus ma malchance habituelle. − Iron. Je ressemble à ma mère. « Si la chance des chances, c'est d'avoir pas de chance, qu'elle me disait, je suis servie! » (Bernanos, Journal d'un curé de campagne,1936, p. 1253). 3. Locutions a) Par chance. Par bonheur. b) Cour. Avoir de la chance, n'avoir pas de chance. Avoir la chance de + inf.Communément l'envieux se dit que l'autre a de la chance et que lui-même n'en a point (Alain, Propos,1935, p. 1288).Aurai-je la chance de vous trouver à Paris vers le milieu d'août? (Flaubert, Correspondance,1867, p. 118). c) C'est une chance que. Une chance qu'il a l'air bon papa (Colette, Claudine à l'école,1900, p. 220). d) Conter sa chance. Maheu (...) lui contait sa chance, une truite superbe pêchée et vendue trois francs (Zola, Germinal,1885, p. 1335). e) Porter chance (rare). Porter bonheur. f) Un coup de chance, un coup de génie, un de ces hasards prodigieux (G. Duhamel, Chronique des Pasquier, Les Maîtres, 1937, p. 203). g) Pop., fam., p. antiphrase. Une chance de cocu (Dabit, L'Hôtel du Nord,1929, p. 56).Une chance exceptionnelle. h) Fam. [En s'adressant à qqn] Au petit bonheur la chance. Si par un bonheur, qui à vrai dire, n'est que peu certain, le sort est favorable... Au petit bonheur la chance, on aviserait (Giono, Un de Baumugnes,1929, p. 91). B.− Au sing. ou au plur. Événement, éventualité, favorable ou défavorable, pouvant se produire. 1. [L'option est précisée par un élément de syntagme] a) [Cet élément est un adj. épithète] Adieu. Écrivez-nous toutes vos chances, bonnes ou mauvaises (Lamartine, Correspondance,1836, p. 225). b) [Cet élément est un adj. ou un compl. de nom, de coloration souvent péj.] Synon. mod. plus usuel risque : 7. ... il [Nicolas de Russie] peut être assassiné par quelqu'un de son armée (...) il court la chance des conspirations de casernes, des révoltes de régiments (...) des maladies brusques et obscures, des coups terribles...
Hugo, Napoléon le Petit,1852, p. 215. 8. En cinq ans, elle [Emma] ne vit pas un seul homme. Elle avait accepté de franc jeu la chance d'une réclusion éternelle.
Renan, Feuilles détachées,1892, p. 33. 9. Poincaré (...) a conçu et exécuté une politique qui, loin d'écarter les chances de guerre, n'a fait que les accroître!
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 140. − Vieilli. Avoir chance de + inf.Risquer de : 10. D'ordinaire, dans la conversation, le sujet m'importe peu; un petit comme un grand me trouve bien disposé, mais je veux qu'on le traite à mon goût, qui n'est pas bien relevé : les moindres esprits peuvent le satisfaire; les plus considérables ont chance de le blesser horriblement.
A. France, La Vie en fleur,1922, p. 551. − Emploi abs., au plur., rare, vieilli. Risques, dangers. Une besogne de tyran, entouré de chances, de précautions, de terreurs (Hugo, Angelo, tyran de Padoue,1835, p. 15).Et ta soif de l'or t'a empêché de calculer les chances auxquelles tu exposais ta tête, en l'engageant dans une négociation (A. Dumas Père, Catherine Howard,1834, I, 5, p. 226). c) [L'adj. épithète ou le compl. indiquent une chance favorable, mais dans un cont. négatif ou limitatif qui annule ou réduit la probabilité d'une issue heureuse] Il était donc alors amoureux sans chances de réussite (Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 105): 11. Peut-être trouverons-nous sur son parcours les naufragés du Britannia. − Faible chance! répondit le major. − Si faible qu'elle soit, reprit Paganel, nous ne devons pas la négliger.
Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 1, 1868, p. 83. − Vieilli ♦ Avoir grand'chance : 12. Non, dit-il [Émile Barrel] au sous-préfet Rateau qui dégustait sa chartreuse, de la vraie s'il vous plaît, M. Delangle n'a pas grand'chance, entre nous, les probabilités sont pour le ballotage, et Barbentane au second tour.
Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 144. ♦ Avoir chance de + inf. : 13. M. de Charlus m'avait distrait de regarder si le bourdon apportait à l'orchidée le pollen qu'elle attendait depuis si longtemps, qu'elle n'avait chance de recevoir que grâce à un hasard si improbable qu'on le pouvait appeler une espèce de miracle.
Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 628. 2. Possibilité réelle ou probabilité de succès (cf. aussi supra I B, C). a) Au sing. [Chance est le plus souvent accompagné d'un adj. poss., l'idée dominante étant celle de possibilité réelle] : 14. ... c'était pauvrement penser de la France, de ses ressources naturelles et de ses destinées providentielles, que d'estimer qu'un parti, si utile qu'on le juge, est sa dernière chance de salut, ou son unique moyen de salut, bref est nécessaire à sa vie d'une nécessité de moyen.
Maritain, Primauté du spirituel,1927, p. 93. 15. Ce qu'ils me disaient mes dabes, en somme c'était bien raisonnable... que j'étais dans l'âge décisif pour fournir mon effort suprême... forcer ma chance et mon destin... que c'était le moment ou jamais pour orienter ma carrière...
Céline, Mort à crédit,1936, p. 354. 16. Il me dit − en faisant semblant de plaisanter − qu'il regrette presque maintenant de ne pas avoir tenté sa chance aux élections qui viennent d'avoir lieu; qu'il avait une occasion (...) et qu'il aurait peut-être risqué le coup s'il avait pu supposer que l'affaire d'Amérique ne marcherait pas.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 115. − Loc. Donner sa chance à qqn. Lui donner la possibilité de tenter quelque chose et d'y réussir. Tenter sa chance (supra ex. 16).Jouer sa chance (supra I C).Jouer sa dernière chance (supra ex. 2).Forcer sa chance (supra ex. 15). ♦ Au plur., rare. Mener jusqu'au bout ses chances (supra ex. 3). b) Au plur. [L'idée dominante est celle de probabilité] Probabilité avec laquelle un événement peut se produire (supra I B). L'affaire est en bon train et a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de réussir (Flaubert, Correspondance,1854, p. 38). − Loc. Il y a des (de grandes) chances (pour) que + subj. ou ind. prés. ou fut. (cf. E. Delacroix, Journal, 1856, p. 240) p. ell., fam. Y'a des chances! Cela est tout à fait probable (cf. Courteline, Le Train de 8 h 47, 1888, II, 3, p. 120). Prononc. et Orth. : [ʃ
ɑ
̃:s]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1175 chaance « manière (en général favorable) dont peut tourner un événement » (B. de Ste Maure, Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 16426; au plur., 10070); d'où 1762 (J. J. Rousseau, Contrat, III, 6 ds Littré : On met ainsi presque toutes les chances contre soi); 2. 1200 caanche « chute des dés » (J. Bodel, Jeu St Nicolas, éd. A. Henry, 853). Substantivation du lat. cadentia, part. prés. plur. neutre de cadere « tomber » qui s'employait aussi en lat. class. dans le vocab. du jeu en parlant de l'osselet (Cicéron, Fin. 3, 54 ds TLL s.v., 21, 17). Fréq. abs. littér. : 5 000. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 597, b) 5 660; xxes. : a) 6 933, b) 10 993. Bbg. Cassagnau (M.). Vox media. Vie Lang. 1969, p. 433. − Rat (M.). Risquer de, avoir les chances de. Déf. Lang. Fr. 1969, no47, pp. 6-8. |