| CAMAÏEU, subst. masc. A.− Pierre fine, divisée en deux couches de même couleur avec des tons différents : 1. Tandis qu'étalant aux yeux
Ses ornements précieux,
Retenu par vingt chaînettes
Dans la chambre des aïeux,
Mon cercueil, aux planches nettes,
Luira comme les planètes,
Tout semé de camaïeux...
Bouilhet, Dernières chansons,Vers Paï-Lui-Chi, 1869, p. 275. − Emploi adj., p. anal. : 2. La robe [de Nane] est bleu pastel ornée de boutons en émail camaïeu, où sont représentés des attributs Empire, la jupe volantée trois fois en forme, tout en bas.
Toulet, Mon amie Nane,1905, p. 132. B.− [P. réf. aux 2 couches superposées de cette pierre] Peinture imitant le bas-relief, où l'on n'emploie que le blanc et le noir. Synon. grisaille : 3. La peinture proprement dite, à moins qu'on ne veuille faire un camaïeu, comporte l'idée de la couleur comme une des bases nécessaires, aussi bien que le clair-obscur et la proportion et la perspective.
E. Delacroix, Journal,1852, p. 459. − Loc. En camaïeu. En dégradé; d'une teinte dégradée : 4. MmeVerdurin (...) pour nous recevoir dans son immense salon, où des trophées de graminées, de coquelicots, de fleurs des champs, cueillis le jour même, alternaient avec le même motif peint en camaïeu, deux siècles auparavant, par un artiste d'un goût exquis, s'était levée un instant d'une partie qu'elle faisait avec un vieil ami...
Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 904. ♦ Au fig. : 5. Le souvenir de l'entretien qu'ils y avaient eu y formait comme une toile de fond, mais estompée, lointaine, en camaïeu.
P. Vialar, La Chasse aux hommes,Les Brisées hautes, 1952, p. 168. 1. P. ext. Technique picturale consistant à n'employer qu'une seule couleur (exceptionnellement deux) avec des tons différents. Synon. peinture monochrome : 6. Plus simple et plus prenant peut-être [que les autres portraits d'Ingres] est le portrait en camaïeu de sa première femme.
L. Réau, L'Art romantique,1930, p. 80. − P. méton. Tableau peint suivant cette technique : 7. Les résonances de la « démence » du Grec, nous les retrouvons (...) dans les camaïeux hallucinés [de Goya] de la Quinta del Sordo...
R. Escholier, Greco,1937, p. 177. 8. D'abord, les tableaux [de Picasso], souvent ovales, sont des camaïeux beiges d'une grâce abstraite. Après, les toiles s'humanisent et les natures mortes commencent à vivre de cette étrange vie qui n'est autre que la vie même du peintre.
Cocteau, Poésie crit. 1,1959, p. 103. ♦ ,,Toile peinte en une seule couleur`` (Lar. 19e) : 9. L'air frais du matin gonfle la toile à camaïeu tendue devant la porte.
Mauriac, La Chair et le sang,1920, p. 32. ♦ GRAV. Gravure obtenue par tirages successifs de même couleur mais de valeurs différentes, visant à obtenir des effets voisins du dessin au lavis ou de la peinture en grisaille (d'apr. Brun 1968). Gravure en camaïeu : 10. L'invention (...) d'imprimer des couleurs différentes avec plusieurs planches sur une même feuille, a donné lieu d'inventer la gravure à plusieurs teintes ou dégradations, qui est la véritable gravure en camaïeu.
J.-M. Papillon, Traité hist. et pratique de la grav. sur bois,1766, p. 370. − LITT., péj.
Œuvre dont le style est fade et monotone. 2. P. métaph. ou au fig. Uniformité, monotonie : 11. ... des Esseintes (...) s'installa devant une bibliothèque vitrée où un jeu de chaussettes de soie était disposé en éventail; il hésitait sur la nuance, puis, rapidement, considérant la tristesse du jour, le camaïeu morose de ses habits, (...) il choisit une paire de soie feuille-morte...
Huysmans, À rebours,1884, p. 167. ♦ Emploi adj. Il dit que le Gymnase ne jouera pas Rosine, la pièce de Capus. C'est trop gris, trop camaïeu (Renard, Journal,1897, p. 392). Prononc. et Orth. : [kamajø]. Pour la prononc. de la lettre i par yod quand elle est suivie d'une voyelle prononcée, cf. Kamm. 1964, p. 119. Ds Ac. 1694-1740 sous la forme camayeu. Ds Ac. 1762-1932 sous la forme camaïeu. Pour la graphie avec y, cf. aussi Fér. 1768 et Fér. Crit. t. 1 1787 : ,,Quelques-uns écrivent ce mot avec un y, camayeu; mais cette orthographe est contraire à la prononciation; car l'y faisant fonction de deux ii, il faudrait prononcer caméieu``. Lar. 19eenregistre encore camaheu ,,forme ancienne du mot camaïeu``. Cf. aussi Nouv. Lar. ill. et Lar. 20e, s.v. camahieu. Étymol. et Hist. 1. Fin xiies. camaü « pierre fine » (Simon de Freine, Le Roman de philosophie, 455 ds Œuvres de Simund de Freine, éd. J. E. Matzke, Paris, 1909, p. 17); fin xiie-début xiiies. cachmahief (Lapidaires agn., éd. P. Studer et J. Evans, Paris, 1924, p. 225, 649 : Cachmahief est de pere nom [lu camahief par P. Meyer ds Romania, t. 38, p. 526]); milieu du xiiies. kamaheu (Lapidaires agn., op. cit., p. 88 : Sardoine [kamaheu] est de deus perres traites, De sardoine e d'onicle faites [kamaheu est une glose introduite dans le texte par le copiste, selon P. Meyer ds Romania, t. 38, p. 67; var. camau dans un ms. de la fin du xiiie-début xives.]); 1275 kamahieu (Adenet Le Roi, Beuve de Commercy, éd. Scheler, 1437 ds T.-L., s.v. camaieu); 2. 1676 camayeu « genre de peinture » (A. Félibien, Des Principes de l'archit., ..., Paris, pp. 509-510). Étymol. obsc.; à rapprocher des premières attest. agn., le lat. médiév. relevé dans le domaine angl. en 1222 sous la forme cameu (NED). La chronol. du mot dans les lang. rom. (ital. cameo 1295, v. camée; port. camafeu 1297 ds Mach.; cat. camafeu 1358 ds Alc.-Moll; esp. camafeo 1375 ds Cor.) suggère à Cor. l'hyp. d'un empr. du mot fr. par les autres lang. rom. (v. aussi Devoto, s.v. cammeo) et d'une orig. germ. du fr.; cependant aucun étymon germ. valable ne peut être avancé et le corresp. m. h. all. gâmahiu (Lexer) est empr. au fr. L'hyp. d'un étymon lat. *chamaephaeus [lapis], « pierre précieuse à fond sombre », composé de chamae- (gr. χ
α
μ
α
ι- « à terre, au sol ») et phaeus (gr. φ
α
ι
ο
́
ς « gris, sombre »), proposée par DEI, s.v. cammeo, que viendraient confirmer les formes hispaniques en -f-, manque de fondement. L'hyp. d'un étymon ar. qamā'īl, plur. de qum'ūl(a) « bourgeon » (Brüch ds Z. fr. Spr. Lit., t. 49, 1927, pp. 314-315, hyp. reprise par Dauzat 1973), avec développement sém. « bourgeon » > « pierre précieuse » parallèle à celui du lat. gemma (gemme*), est mise en doute par FEW t. 2, p. 110b et Bl.-W.5(l'ar. ne semblant attesté que dans les dict.) et par EWFS2et Cor. pour des raisons phonétiques. Fréq. abs. littér. : 30. Bbg. Brüch (J.). Bemerkungen zum französischen etymologischen Wörterbuch E. Gamillschegs. Z. fr. Spr. Lit. 1927, t. 49, pp. 314-315. − Skult (H.). Cameo and chamaleon. An etymological speculation. Neuphilol. Mitt. 1968, t. 69, pp. 325-329. |