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CŒUR, subst. masc.
... le mot « cœur » (...) le mot charnel et sensible, le mot rond dans lequel il y a du sang (A. de Noailles, La Nouvelle espérance,1903, p. 148).
I.− [Le cœur dans sa réalité physique]
A.− [Le cœur comme organe interne]
1. Usuel
a) [Chez l'homme et les animaux supérieurs] Viscère rouge en forme de cône renversé, situé dans le médiastin, essentiellement constitué d'un muscle (myocarde) doublé de deux tuniques (péricarde, endocarde), divisé intérieurement en deux parties distinctes qui présentent chacune deux cavités communicantes (oreillette en haut, ventricule en bas) − agent principal de la circulation sanguine doué d'un réseau nerveux autonome qui assure son fonctionnement automatique, mais placé sous l'influence du système nerveux central. Comme ce roi brûlant, le cœur, siège au milieu des poumons qui l'enveloppent recevant tout le sang en lui et le renvoyant par ses portes (Claudel, Tête d'or,2eversion, 1901, p. 235).Ce panier des côtes qui porte le cœur comme un beau fruit sur des feuillages (Giono, Regain,1930, p. 133).Mon cœur au chaud, ce lapin, derrière sa petite grille des côtes, agité, blotti, stupide (Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 48):
1. La circulation : c'est une faculté qui n'a d'existence que dans certains animaux, (...) s'exécute dans un système d'organes particulier qui y est propre. Ce système d'organes se compose essentiellement de deux sortes de vaisseaux; savoir : d'artères et de veines; et presque toujours, en outre, d'un muscle creux et charnu qui occupe à peu près le centre du système, qui en devient bientôt l'agent principal, et qu'on nomme le cœur. La fonction qu'exécute le système d'organes dont il s'agit, consiste à faire partir le fluide essentiel de l'animal, qui doit ici porter le nom de sang, d'un point à peu près central où se trouve le cœur lorsqu'il existe, pour l'envoyer de là, par les artères, dans toutes les parties du corps, d'où revenant au même point par les veines, il est ensuite renvoyé de nouveau dans toutes ces parties. Lamarck, Philos. zool.,t. 2, 1809, pp. 155-156.
2. Description morphologique du cœur d'un mouton. C'est un organe rouge et conique dont la base, tournée vers l'avant du corps (vers la tête) est à l'origine de gros vaisseaux sanguins (...). Deux oreillettes, droite et gauche, de consistance légèrement flasque, occupent la base du cœur. Un sillon transversal, très visible sur la face dorsale et parcouru par d'importants vaisseaux nourriciers du cœur, sépare les oreillettes des ventricules; ceux-ci, fermes et ventrus, vont en s'amincissant jusqu'à la pointe du cœur. H. Camefort, A. Gama, Sc. nat.,1960, p. 183.
3. Harvey avait bien montré que le cœur était une pompe aspirante et foulante, et qu'il utilisait, comme les pompes industrielles, des tuyaux et des scupapes. Mais le système circulatoire ne s'en trouvait pas entièrement déshumanisé. Il suffit de regarder une artère pour voir qu'elle n'est pas assimilable à un tuyau de pompe, puisqu'elle participe du miracle protoplasmique, vit, se reproduit, se répare, etc. (...). Nous ne savons pas encore si le cœur naturel contient ou non quelque élément miraculeux, car nous ne possédons pas la description complète de ce cœur. Mais nous savons que le cœur fabriqué en usine est une pure machine matérielle. Or, il se substitue parfaitement au cœur naturel. Même si ce dernier contenait encore « autre chose », la partie remplacée provisoirement par le cœur artificiel se trouve définitivement déshumanisée... A. David, La Cybernétique et l'humain,1965, pp. 28-29.
SYNT. a) Cœur + adj. Cœur addisonien. Cœur très petit, symptôme de l'insuffisance surrénale (d'apr. Méd. Biol. t. 1 1970). Cœur alcoolique, cœur amyloïde. Cœur dont le myocarde a subi une dégénérescence amyloïde (ibid.). Cœur anémique, cœur artificiel. ,,Oxygénateur pourvu d'une pompe aspirante et d'une pompe foulante qui remplacent temporairement le cœur`` (Méd. Biol. t. 1 1970). Cœur basedowien. Synon. de cardio-thyréose. Cœur droit. Moitié latérale droite du cœur, recevant le sang non oxygéné et l'expulsant dans les poumons. Cœur droit ou veineux (...) cœur gauche ou artériel (G. Gérard, Manuel d'anat. hum., 1912, p. 228). Cœur fibreux, cœur forcé. Cœur insuffisant à la suite d'un effort trop violent et prolongé. Le cœur forcé, l'asystolie aiguë des coureurs, des cyclistes, des surmenés (Macaigne, Précis d'hygiène, 1911, p. 197). Cœur gauche. Moitié latérale gauche du cœur, recevant le sang oxygéné et l'expulsant dans tout l'organisme (cf. G. Gérard, loc. cit.). Cœur instable ou irritable, malade, mobile, cœur myxœdémateux. Troubles cardiaques d'origine hypothyroïdienne (d'apr. Méd. Biol. t. 1 1970 et Garnier-Del. 1972). Cœur pulmonaire. Troubles cardiaques liés à une affection pulmonaire (ibid.; d'apr. Eyraud ds Vie lang., 1969, no205, pp. 197-205 : la correction de cette expr. est contestable). Cœur rhumatismal, sénile, triangulaire. Loc. adj. (Chirurgie/opération/opérer) à cœur ouvert. Par ouverture du cœur, après déviation de la circulation sanguine dans un cœur-poumon artificiel; p. anal. à cœur fermé. b) Adj. + cœur. Gros cœur (synon. cardiomégalie). c) Cœur + subst. Cœur-poumon (artificiel). Appareil qui assure provisoirement la circulation et la réoxygénation du sang en dehors de l'organisme (d'apr. Rob. Suppl. 1970, Méd. Biol. t. 1 1970 et Garnier-Del. 1972). Cœur + à + subst. Cœur à sinus pulmonaire. Cœur à oreillette gauche « double » (d'apr. Méd. Biol. t. 1 1970). Cœur + de + subst. Cœur d'athlète, de soldat (Strong ds Nouv. Traité Méd., fasc. 3, 1920-24, p. 468). Cœur des gibbeux. Cœur + en + subst. Cœur en ballon de rugby, en goutte, en sabot. Subst. + de/du cœur. Battements, maladie, maux de cœur; bruits, dilatation, enveloppes, greffe, lésions, palpitations, piliers, pulsations, rythme du cœur Loc. subst. À la place du cœur. d) Verbe + cœur. Affluer, refluer au cœur.
Rem. Dans l'expr. cœurs lymphatiques, cœurs désigne p. anal. des organes contractiles faisant circuler la lymphe chez les Amphibiens. Canaux lymphatiques des Batraciens s'ouvrent (...) par quatre cœurs lymphatiques (E. Perrier, Traité de zool., t. 3, 1899-1925, p. 2796).
En partic.
ALIM. Abat rouge consommé en ragoût. Elle fricassait un cœur de bœuf (Zola, L'Assommoir,1877, p. 752).
PHILOS. Agent principal et symbole de vie. Vie du cœur, tant que mon cœur battra. [Tant que je vivrai.] Le cœur, ce fruit rouge de ma vie, où la vie est le plus joyeuse, le plus intense, le plus active (Jouhandeau, M. Godeau intime,1926, p. 236):
4. Le cœur et le poumon forment en effet avec le cerveau, suivant l'ingénieuse expression de Bordeu, le trépied de la vie; et aucun de ces viscères ne peut être altéré d'une manière un peu forte ou étendue sans qu'il n'y ait danger de mort. R.-T.-H. Laennec, De l'Auscultation médiate,t. 1, 1819, p. 1.
5. ... au-dessus du bruit des autres organes, il était surtout assourdi par son cœur, qui sonnait des volées de cloche dans chacun de ses membres, jusqu'au bout de ses doigts. S'il posait le coude sur une table, son cœur battait dans son coude; s'il appuyait sa nuque à un dossier de fauteuil, son cœur battait dans sa nuque; s'il s'asseyait, s'il se couchait, son cœur battait dans ses cuisses, dans ses flancs, dans son ventre; et toujours, et toujours, ce bourdon ronflait, lui mesurait la vie avec le grincement d'une horloge qui se déroule. Zola, La Joie de vivre,1884, pp. 997-998.
6. Ô cœur instantané, Tu vis, tu meurs, Ô cœur momentané, Lourd de rumeurs. Péguy, Quatrains,1914, pp. 555-557.
7. J'ai eu (...) l'impression qu'à travers moi l'humanité entière passe comme sur une grand'route. Elle est tout moi, et moi tout elle. J'existais le jour où pour la première fois elle a levé les yeux vers les nuages, je serai en elle jusqu'à la fin, s'il y a une fin. Je ne puis mourir. Son cœur est le mien, et ce cœur ne fait que commencer à battre. Ce que j'appelle vivre n'est pas autre chose que la conscience que l'humanité a d'elle-même. Green, Journal,1938, pp. 152-153.
b) P. anal.
[P. anal. de forme et (parfois) de couleur] Ce qui présente ou évoque la forme plus ou moins stylisée (en pointe vers le bas, en double hémicycle vers le haut) et (parfois) la couleur rouge d'un cœur. En forme de cœur. Ayant, sous la lèvre d'en bas, un rond de peinture rouge qui leur fait comme l'exagération de ce qu'on appelle chez nous ,,la bouche en cœur`` (Loti, Japoneries d'automne, 1889, p. 46); sa petite bouche en cœur, une bouche farce, qui a toujours l'air de siffler (Gyp, Souvenirs d'une petite fille,1927, p. 165).Un cœur avec des ailes et à la voix d'amour : le rouge-gorge frêle (Jammes, Les Géorgiques chrétiennes,1912, p. 75).
Rem. Pour les emplois de l'expr. bouche en cœur où l'accent est mis sur l'intention d'amabilité (et non sur l'anal. de forme ou de couleur), v. bouche I D 2.
Spécialement
BOT., HORTIC. [À propos de feuilles, fleurs, fruits, légumes rappelant la forme d'un cœur] Ses lilas (...) les petits cœurs verts et frais de leurs feuilles (Proust, Du côté de chez Swann,1913, p. 135).Feuilles (...) ovoïdes, en cœur à la base (L. Plantefol, Cours de bot. et de biol. végétale,t. 2, 1931, p. 281).Cœur-de-bœuf. Variété de chou cabus. Chou cœur de bœuf gros (...) chou de printemps par excellence (...) gros, rustique, pomme serrée (A. Gressent, Le Potager moderne,1863, p. 300).Cœur-de-bœuf ou cœur de pigeon. Bigarreau gros-cœuret. (...) caressé en forme de cerise cœur-de-bœuf le contour des lèvres (Giono, Bonheur fou,1957, p. 32).Cœur-de-Jeannette ou cœur-de-Marie. Variété de dicentre (Fumariacées) cultivée pour la valeur ornementale de ses fleurs en cœur rose vif, disposées en grappe sur une longue tige recourbée. Ces fleurs de parterre (...) les cœurs de Marie qui semblent démodées et qui sont plus fraîches que la rosée, encore, et plus éclatantes que l'arc-en-ciel (Pourrat, Gaspard des montagnes,Le Château des sept portes, 1922, p. 140).Des cœurs-de-Jeannette et des pavots (Colette, Sido,1929, p. 149).
Rem. Pour cœur des Indes, v. cardiosperme s.v. cardi (a) (o)-.
CH. DE FER. Pointe-de-cœur ou cœur. Pièce en angle aigu utilisée dans les changements de voie. Comprendre l'aiguille et le cœur dans la courbe (Ch. Bricka, Cours de ch. de fer,t. 1, 1894, p. 385).
CONCHYLIOLOGIE. Coquillage en forme de cœur. Les cœurs, les vénus, les mactres (Cuvier, Leçons d'anat. comp., t. 4, 1805, p. 427; cf. aussi t. 2, p. 594).
HABILL. Bottes à cœur. Bottes avec des échancrures en cœur. Le costume d'un petit-maître de l'Empire (...) un jabot très-roide, des bottes à cœur (G. Sand, Le Péché de Monsieur Antoine,1847, p. 137).Gilet à cœur. Trottant en gilet à cœur, en claque et en escarpins de bal (P. Arène, Jean des Figues,1870, p. 132).Corsage, décolleté en cœur. Corsage à basque ronde (...) ouvert en cœur (Mallarmé, La dernière mode, 1874, p. 711); p. ell. Une vieille femme (...) dans une robe feuille morte, montrant par un cœur très évasé un grand morceau de vieille peau (E. et J. de Goncourt, Journal,1870, p. 693).
HÉRALD. Meuble en forme de cœur. Ses armes parlantes [de Jacques Cœur], des cœurs comme ceux d'un dix de cœur (Stendhal, Mémoires d'un touriste,t. 1, 1838, p. 355).
JEUX (cartes). L'une des quatre couleurs, représentée par un cœur de forme stylisée et de couleur rouge. As de cœur (cf. as ex. 1); dame/roi/valet de cœur; à tout cœur :
8. Il jette une carte sur le tapis. Panisse la regarde, regarde César, puis se lève brusquement, plein de fureur. Panisse. − Est-ce que tu me prends pour un imbécile? Tu as dit : « Il nous fend le cœur » pour lui faire comprendre que je coupe à cœur. Et alors il joue cœur, parbleu! Pagnol, Marius,1931, III, 1ertabl., 1, p. 158.
Rem. Se dit aussi des cartes qui portent cette couleur. Probabilité de tirer 3 cœurs en tirant successivement 3 cartes d'un jeu de 52 cartes (G. Cullmann, M. Denis-Papin, A. Kaufmann, Éléments de calcul informationnel, 1960, p. 26).
Arg. Valet de cœur. Amoureux :
9. Quand je t'aimais le mieux, sans m'en dire les causes Brusquement ton amour de moi s'est écarté. Où s'en est-il allé? Partout un peu, je pense; Car, faisant triompher l'une et l'autre couleur, Ton amour inconstant flotte sans préférence Du brun valet de pique au blond valet de cœur. Te voilà maintenant heureuse : ton caprice Règne sur une cour de galants jouvenceaux, ... Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 281.
ORNEMENTATION (sans valeur symbolique marquée). Une ogive en cœur échancrée à la base comme celles de la mosquée de Cordoue (T. Gautier, Italia,voyage en Italie, 1852, p. 97).Les volets, percés de trèfles et de cœurs (S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 14).
[P. anal. de forme et de lieu] Ce qui présente ou évoque la forme et la position du cœur. Comme la fusée à mi-route des étoiles, épanouit son cœur brûlant et retombe en gerbe de feu (Barrès, Mes cahiers,t. 4, 1904-1906, p. 231).
Spéc., BOT., HORTIC. Partie plus ou moins arrondie et centrale d'une fleur, d'un fruit, d'un légume, rappelant la forme et la position du cœur. Cœur d'artichaut*, de laitue, de palmier*. Ce qu'il y avait de meilleur à manger (...) le cœur de sa salade (G. Sand, La Petite Fadette,1849, p. 41).Une rose énorme, largement ouverte, versant de son cœur pourpré où dormaient des scarabées, une odeur suave (Moselly, Terres lorraines,1907, p. 159):
10. Ne savez-vous pas que les sympathies ont leur secret qu'il faut respecter, au lieu de les traiter comme les enfants font des tulipes encore à demi-fermées, qui en ouvrent de force les pétales pour regarder plus avant, et ne trouvent au cœur qu'un peu de vide et de poussière? Toulet, Les Tendres ménages,1904, p. 179.
Rem. Dans cet emploi ambivalent, l'anal. de forme est moins nette que supra et l'anal. de lieu l'emporte, mais celle-ci est encore plus évidente en I B.
[P. anal. de fonction]
Personne qui joue un rôle capital dans une activité quelconque. Être le cœur d'une entreprise. Être son organe d'animation :
11. ... ce n'est pas sur du bois seulement que le Rédempteur est étendu et crucifié, c'est sur l'univers dont il forme désormais le nœud, le centre, la raison d'être, le cœur, le pivot, la pièce essentielle, et vitale, cet organe par qui il respire et communique dans toutes ses parties. Claudel, Un Poète regarde la Croix,1938, p. 156.
Chose qui remplit une fonction essentielle dans un mécanisme. Frapper au cœur :
12. Cœur hypertrophique d'un réseau de veines et d'artères ramassées, elle [la gare Saint Lazare] distribue un trafic dense et bref, que la mer voisine tranche et borne. A. Arnoux, Paris-sur-Seine,1939, p. 151.
2. Dans qq. loc. figées. [Chez l'homme uniquement]
a) Complexe organique interne, de nature indifférenciée, auquel se rattache parfois une impression de malaise. Le barbouillage de cœur (...) tous les malaises physiques et moraux d'une physionomie de femme (E. et J. de Goncourt, Journal,1890, p. 1157).Le cœur brouillé de fatigue physique et de dégoût moral (De Vogüé, Les Morts qui parlent,1899, p. 218).
Au fig. Atteinte sournoise d'anxiété (...) qu'elle nommait (...) son mal de cœur moral (Colette, Chéri,1920, p. 178):
13. Le luxe de Passavant l'a dégoûté; son élégance, ses manières aimables, sa condescendance, l'affectation de sa supériorité. Oui, ça lui a levé le cœur. Et j'ajoute que je comprends ça... au fond, il est à faire vomir, ... Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1228.
b) [Sans doute p. réf. au cardia] (Quasi-) synon. estomac :
14. ... la vue de la viande déposée sur la table, lui souleva le cœur; il prescrivit qu'on la fît disparaître, commanda des œufs à la coque, tenta d'avaler des mouillettes, (...) manquant d'air, il se leva, mais les mouillettes avaient gonflé, et remontaient lentement dans le gosier qu'elles obstruaient. Jamais il ne s'était senti aussi inquiet, aussi délabré, aussi mal à l'aise; (...) il fut s'étendre sur le canapé du salon, mais alors un tangage de navire en marche le berça et le mal de cœur s'accrut; ... Huysmans, À rebours,1884, pp. 218-219.
SYNT. Avoir le cœur barbouillé/noyé/soulevé; avoir le cœur bien accroché; avoir le cœur sur les lèvres; retourner le cœur; avoir/faire mal au cœur. Jeter/mettre du cœur sur le carreau (arg.). Vomir.
Rem. Dans qq. expr. vieillies, cœur tend à être employé comme (quasi-) synon. de appétit. Avoir le cœur bon. Avoir de l'appétit. N'être pas malade de cœur. Garder de l'appétit. Cf. aussi : Attaqu[er] de grand cœur une fort alléchante collation (Milosz, L'Amoureuse initiation, 1910, p. 29); Réveillonn[er] de bon cœur et de bel appétit (G. Guèvremont, Le Survenant, 1945, p. 108).
c) P. euphémisme, rare, littér. (Quasi-)synon. entrailles, ventre.Comme la femme qui dans son cœur éprouve la commotion de l'enfant mâle (Claudel, La Ville,2eversion, 1901, p. 453).
B.− P. méton. Poitrine, qui abrite le cœur (et, secondairement, les autres organes internes primordiaux); en partic. l'endroit de la poitrine où les battements du cœur sont perceptibles :
15. ... Edmond, penché sur son ami, la main appliquée à son cœur, sentit successivement ce cœur se refroidir et ce cœur éteindre son battement de plus en plus sourd et profond. Enfin, rien ne survécut; le dernier frémissement du cœur cessa, la face devint livide, les yeux restèrent ouverts, mais le regard se ternit. A. Dumas, Père, Le Comte de Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 241.
C.− P. métaph. ou au fig. [P. réf. plus ou moins nette à la position quasi-médiane du cœur dans la poitrine] Le cœur de qqc., au cœur de qqc. (Quasi-)synon. centre, milieu ou dedans, intérieur, profondeur.
1. [En parlant de choses situées dans l'espace] ... chassés du cœur de l'empire aux extrémités, rejetés des frontières au centre (Chateaubriand, Ét. hist.,1831, p. 199).N'être jamais que des faubourgs, quand on vise au cœur de la place, fréquenter toute sa vie la Cour sans en avoir jamais pu être par le dedans (Sainte-Beuve, Causeries du lundi,t. 9,1851-62, p. 164).... s'enfermait « au cœur des bois » (...) restait bien profondément gardé par leur épaisse poitrine (J. de La Varende, Nez-de-cuir, gentilhomme d'amour,1936, p. 85).
SYNT. (Au/en plein) cœur de la forêt/de l'obscurité, des ténèbres; atteindre/s'enfoncer/pénétrer au cœur de (...).
Spécialement
BOT., CHARPENT., MENUIS. Partie centrale d'un tronc d'arbre, caractérisée par sa dureté et sa couleur foncée. (Quasi-)synon. bois parfait, duramen p. oppos. à aubier :
16. Duraminisation. Cœur et aubier. (...). Dans les couches extérieures du tronc, le bois qui vient d'être formé depuis quelques années conserve une couleur claire; ses cellules ont leurs parois purement cellulosiques et sont gorgées d'eau (...). Mais, pendant que des couches nouvelles se forment vers l'extérieur, les couches plus internes subissent peu à peu de profondes modifications. Elles perdent d'abord une partie de l'eau libre qu'elles contenaient. Puis leurs parois se durcissent, s'incrustent de lignine; (...). On distingue alors souvent sur la section transversale une zone interne, colorée, appelée bois parfait, ou cœur de l'arbre, en opposition avec une zone externe, plus claire, l'aubier. J. Campredon, Le Bois,1948, p. 12.
SYNT. Cœur étoilé, excentré, mort, noir, renfermé, rouge; cœur de chêne.
GASTR. Fromage très crémeux. Cœur de Brayon ou cœur normand. Petits cœurs à la crème (...) « Bon fromage à la cré, fromage à la cré, bon fromage! » (Proust, La Prisonnière,1922, p. 128).Les fromages dits frais (suisses, cœurs à la crème, etc.) (...) préparés avec du lait caillé auquel on ajoute de la crème (R. Lalanne, L'Alim. hum.,1942p. 77).
Expr. À cœur. Dans toute l'épaisseur. Camembert fait à cœur (d'apr. Rob. Suppl. 1970).
Rem. À cœur s'emploie aussi à propos d'autres produits alim. Poissons (...) congelés à cœur (A. Boyer, Les Pêches mar., 1967, p. 64), et même à propos de produits non alim. dans des domaines techn. très variés. [Pour le forgeage des fleurets en acier au carbone] chauffer lentement et bien à cœur jusqu'au rouge cerise (J. Cahen, E. Bruet, Carrières, plâtrières, ardoisières, 1926, p. 95). Les panneaux de bois, contreplaqués (...) imprégnés « à cœur » (Catal. d'instruments de lab. (Jouan), 1933, p. 4).
HÉRALD. Milieu de l'écu. (Quasi-)synon. abîme.D'or, à la croix de sable (...) chargée en cœur d'une fleur de lys d'or (Balzac, Le Lys dans la vallée,1836, p. 33).
PHYS. Partie du réacteur nucléaire qui renferme le combustible. Le cœur du réacteur (...) un cylindre de trois mètres de hauteur (...) les éléments de combustible (...) pastilles d'oxyde d'uranium enrichi (...) logées dans d'étroits cylindres de zirconium (...) Le tout (...) situé dans un caisson cylindrique (Goldschmidt, L'Aventure atomique,1962, p. 211).
Rem. 1. ,,Terme familier`` selon Charles 1960. 2. Certains aut. appellent cœur la partie centrale de divers phénomènes phys. Le « cœur » d'un atome (Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, 1955, p. 36).
TECHNOL., vx. Cœur de cheminée. Partie centrale de la cheminée. Être noir comme le cœur de la cheminée.
Rem. Attesté ds Ac. 1798-1878, Besch. 1845, Lar. 19e, Littré, Guérin 1892, Quillet 1965.
2. [En parlant de choses situées dans un espace de temps] Cœur de l'été/de l'hiver/du mois. Les paysages tahitiens, éclairés par la lune, au cœur de la nuit, dans le grand silence de deux heures du matin (Loti, Le Mariage de Loti,1882, p. 196).
3. [En parlant d'une réalité abstr.] Au cœur de la vie humaine, dans les mystères de la volonté charnelle, en ce donjon fermé d'où la raison reine et captive traite avec les puissances mutines de la nature (M. Blondel, L'Action,1893, p. 178).Bondi dans le cœur du sujet sitôt le préambule achevé (Du Bos, Journal,1927, p. 176).
SYNT. (Entrer... au) cœur des choses, du débat, d'un problème, de la question.
Expr. Le cœur du cœur. Le fin fond. Le cœur du cœur de l'espérance humaine : ce pardon indéfiniment renouvelé, cette rémission des péchés (Mauriac, Mémoires intérieurs,1959, p. 120).
II.− [Le cœur comme foyer ou réceptacle de la vie intérieure] ,,Qui ne sait qu'une physiologie peu exercée a donné au cœur un rôle, peu défini, mais excessif, comme organe de toute notre vie intime?`` (Théol. cath.t. 3, 11911).
A.− [P. réf. à l'automatisme cardiaque; le cœur comme organe ou lieu d'une saisie plus ou moins automatique]
1. Gén. dans des loc. figées. Mémoire mécanique. Apprendre/connaître/réciter/savoir par cœur (qqc.). Mécaniquement, littéralement :
17. Un escalier de vingt-cinq marches conduit à l'étage; très-élevé, très-roide, sans rampe, il est tellement étroit, si endommagé, si singulièrement construit, que j'ai dû positivement l'apprendre par cœur afin de pouvoir, la nuit, l'escalier sans danger. Je pourrais t'indiquer de mémoire les deux marches qui manquent; ... Fromentin, Un Été dans le Sahara,1857, p. 116.
P. anal. et plaisant., fam. Dîner par cœur. Se passer de dîner (cf. Zola, L'Assommoir, 1877, p. 756 et Verlaine, Correspondance, t. 2, 1869-96, p. 100).
Rem. D'apr. Littré ,,cette locution paraît s'être dite d'abord de celui qui, au lieu de dîner, parlait, racontait, récitait, et de la sorte se passait de manger``.
2. Mémoire affective :
18. Dans toute âme qui de bonne heure a vécu, le passé a déposé ses débris en sépultures successives que le gazon de la surface peut faire oublier; mais, dès qu'on se replonge en son cœur et qu'on en scrute les âges, on est effrayé de ce qu'il contient et de ce qu'il conserve; il y a en nous des mondes! Ces souvenirs, du moins, que je me surprends ainsi à poursuivre jusqu'en leur tendre badinage, ne sont-ils pas trop coupables dans un homme de renoncement, ... Sainte-Beuve, Volupté,t. 1, 1834, p. 33.
19. ... le cœur de l'homme filtre les souvenirs et ne garde que ceux des beaux jours. La douleur, les haines, les regrets éternels, tout cela est trop lourd, tout cela tombe au fond... On oubliera. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qu'il aimait tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois. Dorgelès, Les Croix de bois,1919, p. 317.
20. ... ces anciens sentiments si personnels à moi, que j'ai eus, me semblent, ce qui est la manie de tous les collectionneurs, très précieux. Je m'ouvre à moi-même mon cœur comme une espèce de vitrine, je regarde un à un tant d'amours que les autres n'auront pas connus. Et de cette collection à laquelle je suis maintenant plus attaché encore qu'aux autres, je me dis, un peu comme Mazarin pour ses livres, mais, du reste, sans angoisse aucune, que ce sera bien embêtant de quitter tout cela. Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 703.
SYNT. Remonter au cœur; emporter, garder, graver qqn/qqc. dans son cœur.
3. Mode de connaissance intuitif, gén. opposé à l'intelligence rationnelle, discursive. L'instinct, l'intelligence du cœur; c'est mon cœur qui me le dit :
21. Il faut d'abord chercher la vérité avec son cœur, et non avec son esprit. Les hommes sentent tous de la même manière, et ils raisonnent différemment, parce que les principes de la vérité sont dans la nature, et que les conséquences qu'ils en tirent sont dans leurs intérêts. C'est donc avec un cœur simple qu'on doit chercher la vérité; car un cœur simple n'a jamais feint d'entendre ce qu'il n'entendait pas, et de croire ce qu'il ne croyait pas. (...). Bernardin de Saint-Pierre, La Chaumière indienne,1791, p. 103.
22. Combien j'ai de choses à vous dire! Vous les devinez, vous les sentez, ma chère amie, parce que votre cœur est si pénétrant! On n'a jamais dit, je crois, un cœur pénétrant; mais l'esprit qui conçoit rapidement et le cœur qui sent, devine avec une grande promptitude, ne peuvent-ils pas mériter la même épithète; n'est-ce pas une véritable pénétration, que cette vivacité de votre ame qui vous fait concevoir tout ce qui se passe dans la mienne, vous met, en quelque sorte, à ma place, et vous fait saisir les plus légères nuances du sentiment qui m'affecte. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1558.
23. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. Saint-Exupéry, Le Petit Prince,1943, p. 474.
Expr. Connaître qqn ou qqc. par (le) cœur. Connaître avec l'infaillibilité de l'instinct intuitif, à fond, parfaitement. ... possible que tu me connaisses par cœur. Mais tu ne me regardes pas (Cocteau, Les Parents terribles,1938, I, 4, p. 203).En avoir le cœur net (de qqc.). Vérifier si ce dont on a l'intuition correspond bien à la réalité, à la vérité :
24. ... une idée l'occupait, et, pour en avoir le cœur net, elle demanda : − Depuis quand êtes-vous là? A. France, La Révolte des anges,1914, p. 104.
[P. allus. littér. (à Vauvenargues, Réflexions et maximes, 1746, p. 127)] Les grandes pensées viennent du cœur :
25. Je n'emploie pas volontiers ce mot « cœur ». Il le faut bien pourtant, afin de donner à entendre que le cerveau a partie liée avec le reste de l'organisme, et qu'il peut sans doute raisonner fort bien dans l'abstrait, mais que tout raisonnement abstrait omet le plus vital de notre être. (...) Le sublime est irraisonnable; mais déclarer que « les grandes pensées viennent du cœur » revient simplement à dire avec Montaigne : « Rien de noble ne se fait sans hasard », et que l'homme n'obtient pas grand'chose de soi par le simple raisonnement. Gide, Journal,1929, p. 917.
Spéc. en matière de foi :
26. Vous plaignez l'aveugle qui n'a jamais vu les rayons du jour, le sourd qui n'a jamais entendu les accords de la nature, le muet qui n'a jamais pu rendre la voix de son âme, et, sous un faux prétexte de pudeur, vous ne voulez pas plaindre cette cécité du cœur, cette surdité de l'âme, ce mutisme de la conscience qui rendent folle la malheureuse affligée et qui la font malgré elle incapable de voir le bien, d'entendre le Seigneur et de parler la langue pure de l'amour et de la foi. A. Dumas Fils, La Dame aux camélias,1848, p. 23.
27. Nous trouverons donc en nous deux ordres de réponses à la sensation (...) que nous donnent la vue du ciel et l'imagination de l'univers. Les unes seront spontanées, et les autres élaborées. (...). On les distingue souvent en attribuant les unes au cœur, les autres à l'esprit. Ces termes sont assez commodes. Le cœur finit presque toujours, dans sa lutte contre la figure effrayante du monde, par susciter, à force de désir, l'idée de quelque être assez puissant pour contenir, pour avoir construit, ou pour émettre, ce monstre d'étendue et de rayonnements qui nous produit, ... Valéry, VariétéI, 1924, pp. 160-161.
Rem. Dans le passage célèbre de Chateaubriand (Essai sur les Révolutions, 1797, p. XI : Je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lumières surnaturelles; ma conviction est sortie du cœur : j'ai pleuré et j'ai cru), l'intuition se nuance d'affectivité.
[P. allus. littér. (à Pascal, Pensées, 1669, section IV, *277 et 278, p. 201 du t. 13 des Œuvres de B. Pascal, par L. Brunschvicg, Paris, Hachette, 1904)] Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point − C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison; Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison :
28. ... le cœur se trouve ici promu à la qualité d'organe de la vérité ou plus exactement pour appréhender la vérité, (...). Plus profondément l'appréhension par le cœur est aux yeux de Pascal fait primitif parce qu'acte unique de l'être, je veux dire non divisible en moments distincts et comme soustrait au temps (...). Nous sommes ici en présence entre cœur et raison (et nous savons que le Pascal des Pensées − mû ici par la logique souterraine de ses tendances − en arrive toujours davantage à entendre par raison : raisonnement) d'une distinction (...) qui nous donne l'impression que traduit de façon parfaite l'image où Bergson, voulant exprimer les relations de la pensée discursive à l'acte intuitif, disait : « L'intuition est la pièce d'or dont le raisonnement n'a jamais fini de rendre la monnaie ». (...). Cet aspect de la notion de cœur est très voisin de l'intuition bergsonienne : j'irai jusqu'à dire que, dans le langage d'aujourd'hui, en traduisant là le mot de cœur par celui d'intuition on ne commettrait sans doute nul contresens. Le problème (...) c'est le passage de cet aspect-là à celui du fragment « La foi c'est Dieu sensible au cœur ». Et entre les deux se trouverait le fragment que j'ai rapproché d'Hamlet « que le cœur humain est creux et plein d'ordure ». Notons qu'ici Pascal dit « le cœur humain » et que dans le premier cas il s'agit plutôt du cœur de l'intellect, ... Du Bos, Journal,1923, pp. 354-355.
29. Depuis plus d'un demi-siècle, ce cœur, qui déjà se contractait au collège lorsqu'il fallait aller au tableau, n'a cessé de se serrer et de se dilater, jouet de toutes les passions, livré à Dieu, livré aux créatures... Charnel, et voilà le mystère : un organe comme tous les autres organes, et pourtant quand on dit : le cœur, quand Pascal parle du « Dieu sensible au cœur », ou « le cœur a ses raisons », sans doute s'agit-il pour lui d'abord d'un certain mode de connaissance intuitive. Tout de même, il y a là beaucoup plus qu'une image, beaucoup plus qu'un symbole. C'est toujours notre passion, la plus haute ou la pire, qui précipite ou ralentit ses battements. Mauriac, Le Bâillon dénoué,1945, p. 466.
Rem. Pour ces passages, certains auteurs donnent abusivement à cœur le sens de affectivité, amour. Dans la lang. cour., la phrase célèbre Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point est souvent employée, familièrement, à propos d'inclination amoureuse (cf. R. Martin du Gard, Les Thibault, La Belle saison, 1923, p. 851).
B.− [P. réf. à l'intériorité et à l'activité de l'organe en tant que facteur central de la vie hum. individuelle] Le cœur comme foyer ou réceptacle de la vie intérieure profonde, de la personnalité morale d'un individu.
1. En gén. Le fond secret d'un être, dans son unité et sa vérité primitives, cachées sous les apparences ou se révélant dans un élan de spontanéité, de sincérité; ensemble des sentiments et idées intimes commandant le comportement d'un individu. Son cœur (...) un logis qui n'a pas d'escalier (Musset, Namouna,1832, p. 398).Le cœur (...) vase sacré tout rempli de secrets (Vigny, Le Journal d'un poète,1835, p. 1022):
30. ... tu ne m'ouvres que la tête : c'est le cœur, c'est l'âme, c'est l'intime, ce qui fait ta vie, que je croyais voir. Tu ne me montres que ta façon de penser; tu me fais monter, et moi je voulais descendre, te connaître à fond dans tes goûts, tes humeurs, tes principes, en un mot, faire un tour dans les coins et recoins de toi-même. E. de Guérin, Journal,1835, p. 83.
31. L'esprit seul est vie, et le corps se résorbe en lui. En l'homme, il est un lieu qui est celui de l'unité, un centre de la créature, que Troxler appelle le gemüt, − disons le cœur. Le cœur est l'unité du corps et de l'esprit, comme de l'âme et du sôma. Le cœur est l'être même de l'homme..., sa vraie individualité, le centre vivant de son existence, le monde de tous les mondes en lui, l'homme en soi. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, pp. 92-93.
32. ... le sang Alibert, si vigoureux, n'a d'élans que secrets, animé qu'il est par un cœur difficile à entendre. Ce cœur peut battre fort (car cela arrive aussi) mais toujours régulièrement, et le bruit en est étouffé par une volonté plus lourde, souveraine du cœur. Ils ont un sentiment très grand de l'honneur du visage; et, pour eux, n'y laisser rien paraître de l'âme, est un souci si naturel qu'ils en gardent ce pli de gravité par où seulement ils vous livrent le signe de leur vie intérieure. Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 340.
P. anal. :
33. C'est un aquarium qui montre à nu, le mieux, Dans son eau compliquée, entre des murs de verre, Le cœur de l'eau, scruté par l'angoisse des yeux. Là, vraiment net et sûr, le cœur de l'eau s'avère! Or, dans ce trouble glauque, on trouve un peu de soi, Un peu du cœur humain qui se tient clos et coi, Impénétrable cœur plein de choses confuses Qui dans des murs de verre aussi semblent recluses, Ô cœur mystérieux comme un aquarium! Rêves en léthargie, embryons de pensées Trempant dans une eau morte, aux pâleurs nuancées, Qui se peuple comme un beau songe d'opium : ... Rodenbach, Le Règne du silence,1891, pp. 68-70.
SYNT. Cœur + adj. Cœur débordant (de), fermé, profond, sincère. Subst. + du cœur. Connaissance, cri [N'accus[er] juste leurs sentiments que dans les mots imprévus... le cri du cœur (Stendhal, De l'Amour, 1822, p. 62)], écho, effusion, élan, élancement, épanchement, langage, langue, mouvement(s), ouverture, replis, secrets, voix du cœur. Cœur + verbe. Déborder, s'épancher, s'ouvrir. Verbe + le/son cœur. Connaître le cœur humain, épancher, fermer, fouiller, montrer (le fond de), ouvrir [Ouvrir mon cœur... dire la vérité (E. et J. de Goncourt, Journal, 1863, p. 1258)], répandre, soulager, verser, vider [Vidait son cœur et se livrait ... à des aveux (Cocteau, Les Enfants terribles, 1929, 2epart., chap. 3, p. 146)] son cœur. Verbe + dans le/son cœur. Lire, renfermer, trouver dans le/son cœur. Verbe + du cœur. Jaillir, monter, sortir, venir du cœur.
Loc. Cœur-à-cœur. Relation d'intimité entre deux êtres qui échangent en toute confiance leurs pensées les plus profondes. Volupté de ce cœur-à-cœur... une de ces heures d'intimité... joie de pouvoir laisser crever et couler sa pauvre âme boursouflée de lyrismes (R. Martin du Gard, Devenir,1909, p. 22).Contemplation immédiate du vivant principe... Cœur-à-cœur aussi étroit que possible avec « l'être » même du Verbe incarné (Bremond, Hist. littér. du sentiment relig. en France,1921, p. 647).À cœur ouvert. S'ouvrant à fond... parlait à cœur ouvert et librement (E. et J. de Goncourt, Journal,1862, p. 1181).Un ami avec lequel je suis intime à peine une fois par an, dans une de ces causeries à cœur ouvert où l'on se dit tout (Renard, Journal,1900, p. 612). P. anal. et plaisant. Quand j'ai dîné... besoin de causer à cœur déboutonné (E. Augier, Philiberte,1853, II, p. 154).Au/du fond du cœur. Au/du plus profond du cœur, au plus secret/dans le secret du cœur. Selon son cœur. En accord avec sa nature profonde. Tort de demander aux choses d'être selon son cœur, rencontre d'autant plus rare que le cœur est plus curieusement raffiné (P. Bourget, Essais de psychol. contemp.,1883, p. 9).Avoir le cœur sur les lèvres. S'exprimer spontanément. Les gens francs et sincères qui ont le cœur sur les lèvres (Mérimée, Théâtre de Clara Gazul,1825, p. 52).Parler d'abondance de cœur (p. réf. à l'Évangile de St Mathieu, XII, 33 : c'est du trop-plein du cœur que la bouche parle). ... tant besoin de m'attendrir sur moi et sur les autres qu'il m'était tout à fait aisé de parler de choses tristes et touchantes... d'abondance de cœur (Gobineau, Nouvelles asiatiques,La Guerre des Turcomans, 1876, p. 211).Il y a loin du cœur aux lèvres (Sue, Les Mystères de Paris,t. 1, 1842-43, p. 223).
Rem. Dans tous ces syntagmes et loc. prédomine l'image d'ouverture ou de fermeture, d'expansion ou d'introversion.
Spéc. en matière de création artistique. La personnalité morale la plus intime comme objet d'étude ou instrument d'expression caractérisé par son naturel et sa simplicité, opposé à la recherche de la composition et du style, et plus généralement à l'artifice. Les inspirations du cœur. L'art ne fait que des vers; le cœur seul est poète (Chénier, Élégies,1794, p. 175).Ah! frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie (Musset, Premières poésies,À mon ami Édouard B. ds Œuvres complètes, Paris, éd. du Seuil, 1832, p. 90).Mon cœur mis à nu (Œuvre en prose de Baudelaire, 1867) :
34. ... il n'y a (...) rien de plus faible que de mettre en art ses sentiments personnels. Suis cet axiome pas à pas, ligne par ligne. Qu'il soit toujours inébranlable en ta conviction, en disséquant chaque fibre humaine et en cherchant chaque synonyme de mot, et tu verras! tu verras comme ton horizon s'agrandira, comme ton instrument ronflera et quelle sérénité t'emplira! Refoulé à l'horizon, ton cœur t'éclairera du fond au lieu de t'éblouir sur le premier plan. Toi disséminée en tous, tes personnages vivront et au lieu d'une éternelle personnalité déclamatoire, (...) on verra dans tes œuvres des foules humaines. Flaubert, Correspondance,1852, pp. 378-379.
35. ... il n'y a rien chez Chausson d'antérieur au cœur, mais c'est que le cœur, tantôt fleur et tantôt fruit, fleurit et fructifie naturellement : ceci se devrait rattacher à la différence (...) entre les deux mots : effusion et épanchement : effusion appartenant à Franck, étant comme une aspiration lumineuse, une montée de rayons vers l'au-delà; épanchement étant ce surplus, ce luxe qui choit du cœur à la façon d'une larme comblée. Ce que Duhamel appelle le règne du cœur... Du Bos, Journal,1924, p. 226.
Rem. Chez les aut. les plus romantiques, cœur dans cet emploi tend à restreindre son accept. au sens de sentiment, sentimentalité (cf. II D) :
36. Les poëtes cherchent le génie bien loin, tandis qu'il est dans le cœur, et que quelques notes bien simples, touchées pieusement et par hasard sur cet instrument monté par Dieu même, suffisent pour faire pleurer tout un siècle, et pour devenir aussi populaires que l'amour et aussi sympathiques que le sentiment. Le sublime lasse, le beau trompe, le pathétique seul est infaillible dans l'art. Celui qui sait attendrir sait tout. Il y a plus de génie dans une larme que dans tous les musées et dans toutes les bibliothèques de l'univers. Lamartine, Les Confidences,Graziella, 1849, p. 201.
2. En partic. (avec une nuance de jugement moral)
a) Conscience morale (naturelle ou religieuse), ensemble des vertus et/ou des vices qui caractérisent tel individu. Regarder dans un noble cœur comme dans une onde pure, et voir jusqu'au fond... un enchantement (Amiel, Journal intime,1866, p. 458).Mon cœur... comme du linge raide et lessivé, empilé droit sur des rayons d'armoire, rigidement classé dans les chambres de Dieu (Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 332):
37. À mesure que Sixte avançait dans le manuscrit, il lui semblait qu'un peu de sa personne intime se souillait, se corrompait, se gangrenait, tant il y retrouvait des choses de lui-même, mais un « lui-même » cousu, par quel mystère? aux sentiments qu'il détestait le plus au monde. Car dans ce philosophe illustre les saintes virginités de la conscience demeuraient intactes, et, derrière le hardi nihiliste d'esprit, un noble cœur d'homme naïf se dissimulait toujours. P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 213.
38. ... il y a une hiérarchie entre les âmes. Et d'abord il y a des pensées viles − pour les cœurs mauvais. Et puis il y a des pensées belles, mais faciles, il y a de pauvres, de misérables satisfactions spirituelles pour ces cœurs qui ignorent profondément le mal, mais ne se nourrissent que de vertus ordinaires. Mais quels sont ceux-ci qui s'avancent, portant leurs cœurs au-devant d'eux, comme des flambeaux? Ce sont les héroïques, les affamés de la vertu, les assoiffés de la justice. Psichari, Le Voyage du centurion,1914, pp. 187-188.
SYNT. Cœur + adj. Cœur candide, contrit, flétri, innocent, naïf, noir, pur, simple, soulagé, tranquille. Subst. + de/du cœur. Droiture, humilité, paix, pureté, simplicité, sincérité de/du cœur.
[P. allus. littér.]
[Au Livre de Jérémie, XVII, 10] Moi, Yahvé, je scrute le cœur, je sonde les reins, pour donner à chacun selon sa conduite. Sonder les reins et les cœurs. Ne... pas croire qu'un Dieu pourrait sonder les cœurs et les reins et délimiter ce qui nous vient de la nature et ce qui nous vient de la liberté (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 197).
[À l'Évangile de St Mathieu, V, 8] Heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu. Ce que savent désigner des cœurs purs, des âmes livrées, parce qu'elles sont incultes, à la contemplation et à son lent enrichissement (Colette, Paysages et portraits,1954, p. 216).
Racine, Phèdre, 1677, IV, 2] Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur. Le soleil d'un jour de juillet... pas plus pur dans un ciel sans tache, que son noble cœur dans son sein chéri (Musset, La Quenouille de Barberine,1840, I, 3, p. 294).
[P. allus. hist. (à Émile Ollivier, à propos de la déclaration de guerre à l'Allemagne en 1870)] D'un cœur léger. La conscience tranquille. ... ne croirai jamais qu'un révolutionnaire puisse d'un cœur léger ouvrir aux autres, les portes de la mort (Guéhenno, Journal d'une « Révolution », 1938, p. 202).
P. méton.
[Avec une valeur symbolique] Partie médiane de la poitrine, en relation avec un geste de la main exprimant la sincérité. ... posa la main sur son cœur pour donner sa parole sacrée (Zola, L'Assommoir,1877, p. 786).La main sur le cœur. La main sur la conscience, en toute franchise (cf. Frapié, La Maternelle, 1904, p. 263).
Personne considérée sous le rapport de sa conscience morale, de ses vertus et/ou de ses vices. Un cœur simple (conte de Flaubert, 1877). Incomplète foi... de ceux que l'épreuve terrasse. Les cœurs simples et purs... heureux sous ma loi (Dierx, Poèmes et poésies,1864, p. 111).
b) (Qualité morale du) caractère. Un cœur à l'antique (Renard, Journal,1892, p. 132):
39. ... tout devrait élever l'âme de l'homme qui, dès le jeune âge, possède de tels privilèges, lui imprimer ce haut respect de lui-même dont la moindre conséquence est une noblesse de cœur en harmonie avec la noblesse du nom. Cela est vrai pour quelques familles. Ça et là, dans le faubourg Saint-Germain, se rencontrent de beaux caractères, ... Balzac, La Duchesse de Langeais,1834, p. 220.
SYNT. Cœur + adj. Cœur bien né, fier, haut placé, honnête, loyal, noble. Subst. + de cœur. Homme de cœur. Homme d'honneur. [L'homme de cœur et de conscience (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 166)]. Verbe + du cœur. Avoir du cœur [... ont du cœur, de la fidélité (Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830, p. 371)].
Rem. hist. Le cœur était autrefois considéré comme l'organe noble par excellence. La tradition de garder en relique le cœur de certains hauts personnages s'est longtemps conservée. Le corps de Chopin... enterré, son cœur excepté, qu'on envoya à Varsovie, où il est resté depuis dans l'église à la Sainte-Croix. Beau symbole qui convient à ce cœur fidèle (G. de Pourtalès, Chopin, ou le Poète, 1927, p. 245; cf. aussi Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, pp. 97-98).
P. méton. Personne considérée sous le rapport de (la qualité de) son caractère. Les cœurs de ce pays-là (...) les Italiens (...) bonnes gens (Stendhal, La Chartreuse de Parme,1839, p. 2).Un homme loyal et bon, un noble cœur (Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 301).
C.− [Le cœur comme foyer ou réceptacle du dynamisme moral, de certaines tendances volitives] « L'humanité est autant caractérisée par l'énergie que par la tendresse, comme l'atteste familièrement l'heureuse ambiguïté du mot cœur » (A. Comte, Système de pol. positive,1824, I, 266 ds Foulq.-St-Jean 1962).
1. Vieilli. Courage, vaillance, force d'âme :
40. ... si tu pleures toujours, je te croirai sans courage et sans caractère : je n'aime pas les lâches; une impératrice doit avoir du cœur. Napoléon Ier, Lettres à Joséphine,1807, p. 128.
P. anal. [En parlant d'animaux, notamment de chevaux] Les chevaux (...) d'un sang ardent, d'un cœur égal. Bien faits pour chevaucher de compagnie, fringants, rapides et sans peur (Pesquidoux, Le Livre de raison,1925, p. 226).Le cœur (...) l'émulation ardente, le désir incoercible de primer, je ne sais quelle étincelle qui couve en certains animaux (Pesquidoux, Le Livre de raison,1928, p. 205).
SYNT. Cœur + adj. Cœur défaillant, intrépide, lâche, solide, vaillant. Cœur + subst. (Avoir un) cœur de fer, de lièvre [... aisé d'avoir du courage avec des gens à cœurs de lièvre (Mérimée, La Jacquerie, 1828, p. 69)], de lion [Bravoure de la jeune fille (...) dans l'étroite cage de sa maigre poitrine un vrai cœur de lion ou de héros antique (T. Gautier, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 322)], de poule, de poulet [Un vrai canari, d'habit et de caractère... tu as un cœur de poulet (Mérimée, Carmen, 1847, p. 44)]. Cœur + verbe. Défaillir. Verbe + cœur. Perdre cœur [Ne jamais lâcher (...) la seule honte (...) perdre cœur (Pourrat, Gaspard des montagnes, À la belle bergère, 1925, p. 289)]. Verbe + le cœur. Faire défaillir, ranimer, remettre, remonter le cœur.
Loc. Le cœur me manque (Bloy, Journal, 1901, p. 46). [Gén. avec une nuance péj.] Avoir le cœur de. [Il] a eu le cœur de se mettre à plat ventre devant ceux qui pouvaient le servir, et la finesse d'être insolent avec ceux dont il n'avait plus besoin (Balzac, La Maison Nucingen,1838, p. 593).Fam. Avoir/donner/mettre/remettre le/du cœur au ventre. Cherchait à lui mettre le cœur au ventre et lui disait chemin faisant : « Allegramente! » (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 4, 1848, p. 180).Si tu as des c au c. (...) si tu as du cœur au ventre (Barrès, Mes cahiers,t. 5, 1906-07, p. 30).Arg. Être en cœur. Nous sommes en cœur et eux en peur (G. d'Esparbès, Le Roi,1901, p. 166).
Devises. À cœur vaillant, rien d'impossible. Devise de Jacques Cœur. Maison de Jacques Cœur (...) À vaillans cœurs rien impossible (Michelet, Journal,1835, p. 214).Haut les cœurs! Les élèves de l'école des garçons, qui viennent braire un chœur imbécile : « Sursum corda! Sursum corda! Haut les cœurs! Que cette devise soit notre cri de ralliement » (Colette, Claudine à l'école,1900, p. 303).
P. allus. littér. P. Corneille, Le Cid, 1636, I, 5] Rodrigue, as-tu du cœur? Ah! France! As-tu du cœur? (...) As-tu des dents pour mordre? (Quinet, Napoléon,1836, p. 282).
Rem. De nos jours, cette allus. se fait surtout dans une intention plais., ironique.
P. méton. Personne considérée sous le rapport de sa vaillance. Richard Ier, Cœur-de-Lion (roi d'Angleterre, 1157-99) :
41. ... une poitrine large... annonce, avec un grand poumon, un cœur plus énergique, et par conséquent... une circulation plus rapide et plus forte; de là cette expression commune en parlant des héros : un grand cœur. Stendhal, Hist. de la peinture en Italie,t. 2, 1817, p. 40.
Rem. gén. (sur II C 1). Dans cette accept., cœur a donné lieu au dér. cœuru, e, adj. [En parlant d'une pers.] Vx., dial. Qui a du cœur, de la vaillance. Les lois (...) des mots appliqués par de malheureux scribes de quat'sous, qui ne tiennent pas devant des gens cœurus et décidés (J. de La Varende, La Dernière fête, 1953, p. 35); cf. aussi Guérin 1892 pour ce même sens, mais J. de La Varende emploie cœuru en d'autres accept., notamment à propos de bois. S'il y reste de l'aubier, cette matière épidermique et molle qui finit par pourrir, la partie cœurue se conserve assez forte pour garder sa puissance (La Normandie en fleurs, 1950, p. 149).
2. Disposition (ou manque de disposition) à souhaiter, faire telle chose. Désir, vœu du cœur :
42. Nous ne faisons pour ainsi dire jamais tout ce que nous voulons comme nous le voulons; des résistances imprévues, des frottements, des heurts usent, entament et dévient la volonté. On se connaît bien en général, mais à chaque instant on s'ignore; et c'est ce moment qui décide des actes. Nos désirs souvent nous cachent nos vrais désirs. Il y a deux cœurs dans le cœur humain; et l'un ne sait pas les pensées de l'autre. Mais par le seul fait qu'une décision est prise et qu'un effort est tenté, la situation intérieure a changé; l'hôte voilé en nous se découvre; ... M. Blondel, L'Action,1893, p. 170.
Locutions
Le cœur y est/n'y est pas :
43. ... le presque-rien est absolument tout; les bonnes œuvres, sans lui, ne sont qu'une mimique de singe et une façade dépourvue d'intériorité, et nous disons, faute de mieux, que « le cœur n'y est pas ». Si le cœur y est, rien n'y est... et tout y est! Le cœur qui n'est rien, qui est tout, qui est à la lettre, le tout-et-rien du bienfait. (...) la distance est infiniment infinie, à bienfait équivalent, entre une bienfaisance sans bienveillance, où « le cœur » n'est pas, et une bienfaisance bien intentionnée dont toute l'âme et toute la réalité résident dans un insaisissable bon vouloir. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, pp. 66-67.
Si le cœur vous en dit. Si vous êtes disposé à telle chose. Pour peu que le cœur en dise au ministère, je suis aussi disposé à le quitter, qu'il est disposé à la malveillance pour moi (Chateaubriand, Correspondance gén.,t. 2, 1789-1824, p. 173).Avoir/n'avoir pas le cœur à qqc./à l'ouvrage. Être/n'être pas disposé à telle chose. Tu as le cœur à rire, moi je l'ai à pleurer (Hémon, Maria Chapdelaine,1916, p. 131).Pourquoi n'aurais-je plus de cœur à l'ouvrage (Bernanos, L'Imposture,1927, p. 449).Accepter/consentir/faire qqc./rire/souhaiter... de bon cœur/ de mauvais cœur. Accepter, etc. de bon/mauvais gré. Puisque vous êtes de bon cœur et de bonne volonté (G. Sand, Monsieur Sylvestre,1866, p. 97).Faire contre mauvaise fortune bon cœur (S. de Beauvoir, Les Mandarins, 1954, p. 438).
[Avec une valeur intensive] Avoir/prendre (qqc.) à cœur. Y prendre beaucoup d'intérêt. Trouver une personne très respectable, très dévouée, qui prît la chose plus à cœur (Zola, La Conquête de Plassans,1874, p. 983).Avoir à cœur de. Être bien décidé à. J'ai à cœur de faire un ouvrage aussi parfait (Balzac, Correspondance,1834, p. 526).Tenir au cœur (de qqn). S'y attacher par une forte adhésion intime. Tout ce qui me tient à cœur et m'importe (Gide, Journal,1943, p. 182).Faire qqc. avec cœur/de tout son cœur Mettre du cœur à l'ouvrage/à qqc. Y mettre beaucoup d'ardeur. Il y mettait tout son cœur (E. et J. de Goncourt, Journal,1894, p. 681).
Rem. Pour l'expr. à contre-cœur, v. contre-cœur*.
D.− [Le cœur comme foyer ou réceptacle de la vie affective]
1. Centre de résonance de la sensibilité aux phénomènes extérieurs, de la disposition à y répondre par des émotions diverses (joie, peine, colère, etc.) :
44. Tous ces hommes de fer, tous ces preux invincibles portaient dans leur poitrine un cœur tendre et naïf comme celui des enfans. On ne leur avait point encore appris à flétrir l'innocence naturelle de leurs sentimens, ou à en rougir. Ils n'avaient point encore desséché et glacé dans leurs âmes la source des émotions simples, pures et fortes, de cette rosée divine qui féconde et embellit la vie. Montalembert, Hist. de Ste Élisabeth de Hongrie,1836, p. 72.
45. ... le cœur humain est le jouet de tout, et l'on ne saurait prévoir quelle circonstance frivole cause ses joies et ses douleurs. Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 1, 1848, p. 102.
46. Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur? Ô bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits! Pour un cœur qui s'ennuie Ô le chant de la pluie! (...). C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi Sans amour et sans haine Mon cœur a tant de peine! Verlaine, Romances sans paroles,1874, p. 14.
47. Le goût de l'héroïque et du passionnel Qui flotte autour des corps, des sons, des foules vives, Touche avec la brûlure et la saveur du sel Mon cœur tumultueux et mon âme excessive... La nature, le bois, les houles de la rue M'emplissent de leurs cris et de leurs mouvements; Je suis comme une voile où la brise se rue. Ah! vivre ainsi les jours qui mènent au tombeau, Avoir le cœur gonflé comme le fruit qu'on presse Et qui laisse couler son arome et son eau; Loger l'espoir fécond et la claire allégresse! A. de Noailles, Le Cœur innombrable,1901, pp. 19-20.
Rem. Dans certains ex., cœur prend une valeur péj. et se rapproche plutôt du sens de sensiblerie :
48. Il voyait l'art allemand tout nu. Tous, − les grands et les sots, − étalaient leurs âmes avec une complaisance attendrie. L'émotion débordait, la noblesse morale ruisselait, le cœur se fondait en effusions éperdues; les écluses étaient lâchées à la redoutable sensibilité germanique; elle diluait l'énergie des plus forts, elle noyait les faibles sous ses nappes grisâtres : c'était une inondation; la pensée allemande dormait au fond. R. Rolland, Jean-Christophe,La Révolte, 1907, p. 388.
SYNT. Cœur + adj. Cœur affligé, agité, amer, aride, attendri, avide, battant, blessé, bondissant, bouleversé, brisé, broyé, chaviré, content, crevé, crispé, déchiré, désolé, dévoré, ému, froid, gai, glacé, gonflé, gros [Comme le cœur dont on dit qu'il est trop gros lorsque l'excès du chagrin semble engager celui qui souffre à le fuir (J. Bousquet, Traduit du silence, 1935-36, p. 76)], inondé, joyeux, lassé, léger, lourd [Le cœur n'est jamais si lourd que quand il est vide (Lamartine, Les Confidences, 1849, p. 376)], malheureux, meurtri, navré, noyé, oppressé, palpitant, rempli, saignant, serré [Si triste que fût notre cœur serré et ficelé de soucis (Barrès, Mes cahiers, t. 2, 1898-1902, p. 8)], souffrant, touché, tremblant, triste, troublé [Le cœur troublé de sensations extraordinaires, l'âme émue (Maupassant, Contes et nouvelles, t. 2, Menuet, 1882, p. 1251)], ulcéré. Adj. + cœur. Misérable, pauvre cœur. Subst. + de + cœur. Déchirement, pincement, serrement de cœur. Subst. + du cœur. Amertume, fibres, plaies, plaisir, tumulte du cœur. L'eau/ la pluie du cœur. Les larmes (cf. Lamartine, Les Confidences, Graziella, 1849, p. 253; Montherlant, Le Maître de Santiago, 1947, II, 3, p. 642). Cœur + verbe. Bondir, se briser, se déchirer, se dilater, éclater, s'élancer, s'émouvoir, s'épanouir, être en proie à, se fendre, se fondre, se glacer, se gonfler, palpiter, saigner, sauter, sentir, se serrer, tressaillir. Verbe + le/son cœur. Agiter, apaiser, arracher, attendrir, avoir/serrer/tenir (...) dans un étau, blesser, briser, broyer, crever, déchirer, dessécher, dévorer, dilater, échauffer, écraser, émouvoir, emplir, envahir, épanouir, étouffer, étreindre, faire battre/bondir/palpiter/saigner/souffrir/tressaillir, fendre, glacer, gonfler, habiter, inonder, mordre, navrer, noyer, occuper, percer, pincer, réchauffer [Réchauffa le cœur de la foule et la mit en meilleure disposition pour écouter le discours (Aymé, Le Nain, 1934, p. 241)], réjouir, remplir, remuer, ronger, sentir battre, serrer, tordre, torturer, toucher, transpercer, traverser le/son cœur. Verbe + au cœur. Aller [Choses désuètes, froides, un peu scolaires, incapables d'aller au cœur, et surtout aux nerfs du public (H. Ghéon, Promenades avec Mozart, 1932, p. 328)], faire chaud/froid/mal, inspirer, parler au cœur. Verbe + dans le/son cœur. Couler, enfoncer/ plonger un poignard, s'enfoncer, entrer, éveiller, mettre, naître, nourrir, se passer, pénétrer, retentir dans le/son cœur. Verbe + sur le cœur. Avoir qqc./un poids, en avoir gros/lourd [Tapait les pieds d'un air rageur... devait en avoir gros sur le cœur (Zola, Son Excellence E. Rougon, 1876, p. 247)], garder qqc., peser (lourd), rester [Qu'elle est juste l'expression populaire « des paroles qui restent sur le cœur »! Celles-là faisaient un bloc dans ma poitrine (Bernanos, Journal d'un curé de campagne, 1936, p. 1085)] sur le cœur.
Loc. a) Princ. subst. Le cœur en fête (L. de Vilmorin, Le Retour d'Érica, 1946, p. 107). (Avec) l'angoisse/ un coup (de couteau)/le désespoir/l'espérance/la joie/la rage au/dans le cœur [La mort au cœur (Ponson du Terrail, Rocambole,t. 4, Les Exploits de Rocambole,1859, p. 87)].De gaieté de cœur [De gaieté de cœur et par plaisir (Barrès, Les Déracinés,1897, p. 483)].b) Princ. verbales. Le cœur me fend (E. Rostand, Cyrano de Bergerac, 1898, I, 4, p. 49). À cœur fendre. S'en donner (etc.) à cœur joie [S'en donnait à cœur joie... y mettait toute la sauce (Céline, Mort à crédit,1936, p. 518)].
Rem. Dans les nombreux syntagmes ou loc. auxquels cœur se prête en cette accept., on remarquera l'abondance des images évoquant des réalités très concr. (poids, volume, agitation, blessure, chaud ou froid, etc.) et rappelant les liens étroits du phys. et du moral.
Proverbe. Cœur qui soupire n'a pas ce qu'il désire.
P. allus. littér. [aux Psaumes, 104. 15] Le vin qui réjouit le cœur de l'homme (Villiers de L'Isle-Adam, Contes cruels,Les Demoiselles de Bienfilâtre, 1883, p. 7);cf. aussi Huysmans, L'Oblat, t. 2, 1903, p. 108.
2. Centre général de résonance ou de rayonnement des sentiments. Affections, besoins, sentiments du cœur. Localis[er] (...) l'intelligence dans la tête (...) le sentiment dans le cœur (Leroux, De l'Humanité,t. 2, 1840, p. 392):
49. Le cœur n'est qu'un morceau de chair bleuâtre qui ressent vivement les mouvements de reflux imprimés au sang par les idées dans le cerveau, mais je le crois impuissant à créer des sentiments, comme c'est assez sa réputation. Vigny, Le Journal d'un poète,1843, p. 1198.
Absol. (p. ell.). Le cœur. L'affectivité, le sentiment, la sentimentalité. Anachronisme qui empêche si souvent le calendrier des faits de coïncider avec celui des sentiments (...) intermittences du cœur (Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 756).Barrès qui fait appel au cœur, aux ressources du sentiment (Massis, Jugements,1923, p. 208):
50. Ce qu'on appelle le cœur est donc la solidarité affective, cette puissance qui fond plusieurs existences en une seule, une extension de notre sensibilité, telle qu'elle souffre ou jouit par une surface infiniment plus grande que celle de notre simple individu; plus brièvement, c'est l'identification morale de plusieurs existences par la sympathie instinctive, par conséquent une augmentation d'être pour chacune d'elles, mais un accroissement corrélatif de dépendance. Le cœur nous dilate, nous étend, nous épanche au dehors, précisément au rebours de l'égoïsme qui nous rétrécit et nous contracte. Amiel, Journal intime,1866, p. 44.
[P. allus. littér. (à La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales, 1664, verset 102)] L'esprit est toujours la dupe du cœur (cf. Sénac de Meilhan, L'Émigré, 1797, p. 1671; Gide, La Symphonie pastorale, 1919, p. 916 qui utilisent cette formule avec la var. souvent).
3. Siège des sentiments liés à des situations particulières.
a) [Dans les rapports familiers, amicaux] La servante au grand cœur (Baudelaire, Les Fleurs du Mal,1857-61, p. 174):
51. On me demande des conformités qui ne sont pas en mon pouvoir, des expansions que j'accorderai par égard et jamais par nature, et des expressions d'une tendresse résidant dans ma raison et sans doute aussi dans mon cœur, mais non pas sensiblement et à précipiter les pulsations. Serais-je entendu si je m'exposais en cette manière? Ceux qui aiment avec le cœur peuvent-ils se rendre à la vérité d'une affection rationnelle? M. de Guérin, Correspondance,1835, p. 222.
52. Mes parents, ma sœur, je les aimais : ce mot couvrait tout. Les nuances de mes sentiments, leurs fluctuations, n'avaient pas droit à l'existence. Zaza était ma meilleure amie : il n'y avait rien de plus à dire. Dans un cœur bien ordonné, l'amitié occupe un rang honorable, mais elle n'a ni l'éclat du mystérieux amour, ni la dignité sacrée des tendresses filiales. Je ne mettais pas en question cette hiérarchie. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 94.
P. anal. (à propos d'un animal, d'un végétal ou d'une chose). Mon pauvre Childebrand à l'amitié si franche, Le meilleur cœur de chat et l'âme la plus blanche (T. Gautier, Albertus,1833, p. 130).Beau livre que l'on pourrait écrire sur « le cœur des plantes », où l'on montrerait l'exemple touchant de celles chez qui cet organe hypertrophié empêcha sans doute de se développer le cerveau, qui (...) préfèrèrent aux joies de l'invention celle très pure de conserver leurs enfants tout près d'elles (Gide, Feuillets,1889-1939, p. 808).
[Avec une valeur allégorique] :
53. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte; En vain il [le pélican] a des mers fouillé la profondeur : L'océan était vide, et la plage déserte; Pour toute nourriture il apporte son cœur. Sombre et silencieux, étendu sur la pierre, Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur, (...) Poète, c'est ainsi que font les grands poètes. Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps; Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Musset, La Nuit de mai,1835, p. 67.
SYNT. Cœur maternel, paternel; cœur de mère; ami de cœur. (Ne pas) porter qqn dans son cœur. Éprouver ou non de l'amitié pour lui (cf. Genevoix, Raboliot, 1925, p. 213).
P. méton.
[Avec une valeur symbolique] Partie médiane de la poitrine, en relation avec un mouvement exprimant l'affection. Étendit les bras, (...) sentit battre contre son cœur un cœur qui l'aimait (R. Bazin, Le Blé qui lève,1907, p. 327).
SYNT. Cœur contre/sur cœur; appuyer/presser/serrer qqn contre/ sur son cœur.
Personne qui inspire ou éprouve de l'affection. Quel homme tendre c'était que cet archevêque, quel cœur sensible et fertile en ménagements! (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 28).Elle qui avait connu dans ses langes ce pauvre agneau, ce petit cœur joli (Pourrat, Gaspard des montagnes,Le Pavillon des amourettes, 1930, p. 104).
b) [Dans les rapports amoureux (gén. p. oppos. à la sensualité, à la sexualité)] La pire de toutes les mésalliances est celle du cœur (Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 65).Le labyrinthe du cœur féminin : si compliqué et si plein de routes enchevêtrées (Theuriet, La Maison des deux barbeaux,1879, p. 128):
54. Je l'aime beaucoup mieux quand je ne la vois pas que quand je la vois. En absence, mon imagination retranche ce qui la choque, ajoute quelque chose de ce qui manque, suppose ce qui lui convient. Je l'ai pensé souvent : le sentiment de l'amour n'a rien de commun avec l'objet qu'on aime. C'est un besoin du cœur qui revient périodiquement à des époques plus éloignées que les besoins des sens, mais de la même manière; et comme l'attrait des sexes fait qu'on cherche une femme dont on puisse jouir, n'importe laquelle, le besoin du cœur cherche à se placer sur un objet qui l'attire ou par de la douceur, ou par de la beauté, ou par telle autre qualité qui devient le prétexte que le cœur allègue à l'imagination pour justifier son choix. Constant, Journaux intimes,1803, p. 33.
55. J'éprouve pour toi un mélange d'amitié, d'attrait, d'estime, d'attendrissement de cœur et d'entraînement de sens qui fait un tout complexe, dont je ne sais pas le nom mais qui me paraît solide. (...). Les sens, un jour, vous mènent ailleurs; le caprice s'éprend à des chatoiements nouveaux. Qu'est-ce que cela fait? Si je t'avais aimée dans le temps comme tu le voulais alors, je ne t'aimerais plus autant maintenant. Les affections qui suintent goutte à goutte de votre cœur finissent par y faire des stalactites. Cela vaut mieux que les grands torrents qui l'emportent. Flaubert, Correspondance,1852, p. 347.
56. ... je sentais grandir en moi une étrange et poignante émotion, un attendrissement infini, quelque chose comme un besoin d'ouvrir mes bras pour étreindre, et d'ouvrir mon cœur pour aimer, de me donner, de donner mes pensées, mon corps, ma vie, tout mon être à quelqu'un! Ma compagne murmura, comme dans un songe : « Où sommes-nous? Où allons-nous? Il me semble que je quitte la terre? Comme c'est doux! Oh! si vous m'aimiez... un peu!!! » Mon cœur se mit à battre. Je ne pus rien répondre; il me sembla que je l'aimais. Je n'avais plus aucun désir violent. J'étais bien ainsi, à côté d'elle, et cela me suffisait. Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Lettre trouvée sur un noyé, 1884, p. 906.
57. La plénitude de cet amour le confondait. Il ne savait trop quel chemin prendre pour faire monter vers Dieu sa gratitude ni quel sens exact donner au terme : bénédiction. Tout cela palpitait entre ciel et terre. La douceur de certains mots lui était littéralement intolérable : celui de « petite Anne », celui de « fiancée ». Ils produisaient un arrêt du cœur réel, senti, d'une ou deux secondes. Dans sa poitrine, en attente et ne servant à rien, une sorte de velours intérieur trop chaud, s'étalait, contre lequel battait ce cœur. Il pensait aux vieilles images : feu, blessure, tant raillées; c'était bien cela cependant. Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 111.
58. Notre amitié était une chose extrêmement bien. Mais le cœur infecte tout. Sur le plan de l'amitié, ou sur le plan de la sensualité, les choses sont saines, les plaies, s'il s'en forme, sont nettes. Arrive le cœur, et la plaie gagne, tout se prend. Combien de fois ai-je remarqué cela! − Ce que vous dites est absurde. Le cœur n'infecte rien; au contraire, il purifie tout. C'est trop idiot, à la fin! Et ce serait le « plan de la sensualité » qui serait pur! Je vous apporterais une grande passion physique, vous me la pardonneriez... être provocante, vous faire comprendre que je cherche seulement le plaisir, vous me mépriseriez peut-être, mais vous accepteriez. Mais vous offrir de l'amour, quelle gêne! quel ennui! Si on nous fichait un peu la paix avec l'amour! Montherlant, Les Jeunes filles,1936, p. 969.
SYNT. Cœur + adj. Cœur aimant, ardent, brûlant, changeant, embrasé, enflammé, épris, éteint, fidèle, inaccessible, inoccupé, jeune (Hugo, Hernani, 1830, III, 1, p. 57), libre, occupé, passionné, percé, solitaire, tendre, trahi, transpercé, vide, vieux, volage. Cœur de + subst. Cœur de femme. Subst. + au cœur. L'amour au cœur. Subst. + de cœur. Affaire, amant, amour [mieux qu'un amour de tête, et pas tout-à-fait un amour de cœur (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. 2, 1851-62, p. 337)], coup (E. et J. de Goncourt, Journal, 1859, p. 647), jeunesse, peine (s) [Les peines de cœur et les infortunes idéales (Vigny, Chatterton, 1835, p. 238)], solitude, tendresse de cœur. Arg. Valet de cœur (cf. I A 1b p. anal. de forme et de couleur, spéc., jeux). Subst. + du cœur. Blessure, courrier, entraînements, faiblesses, presse [Jusqu'au moment du moins où elle devint ma maîtresse et où je compris que la presse du cœur, qui enseignait à parler de l'amour, n'apprenait pas à le faire (Camus, La Chute, 1956, p. 1524)], trouble, vide du cœur. Subst. + des cœurs. Bourreau des cœurs [Beau mâle, bourreau des cœurs (Zola, Travail, t. 1, 1901, p. 39)]. P. anal. Un beau casse-cœurs (Colette, La Jumelle noire, 1938, p. 80). Cœur + verbe. Aimer, s'amollir. Verbe + le/son cœur. Amollir, brûler, se disputer, donner, enflammer, gagner, offrir, partager, posséder, prendre, ravir, refuser, toucher, troubler le/son cœur. Verbe + avec/dans/de son cœur. Aimer avec/dans/de (tout) son cœur (Montherlant, Pitié pour les femmes, 1936, p. 1134). Verbe + du cœur. S'emparer du cœur, trouver le chemin du cœur.
Rem. Dans cette accept., les images évoquées par les assoc. syntagmatiques de cœur sont surtout celles de la conquête, de la combustion, de la blessure (cf. ex. 57).
Proverbe. Loin des yeux, loin du cœur (except. Loin des yeux, près du cœur ds Flaubert, Correspondance, 1879, p. 240).
[En réf. à la représentation iconographique stylisée du cœur symbolisant l'amour sentimental] Un cœur en or. ... peint un cœur enflammé pour dire l'amour, un cœur flétri pour dire le chagrin (Destutt de TracyÉléments d'idéologie,Grammaire, 1803, p. 308).Un nom de femme, Iris de carrefour, que surmontait un cœur percé d'une flèche semblable à une arête de poisson (T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 304).
P. méton.
[Avec une valeur symbolique] Partie médiane de la poitrine en relation avec un geste exprimant l'amour sentimental. Appuyant sa main sur son cœur avec le geste passionné d'un jeune premier; je l'aime! (Ponson du Terrail, Rocambole,t. 1, L'Héritage mystérieux, 1859, p. 384).Presser Anne sur mon cœur, sur ma poitrine (Giraudoux, Simon le Pathétique,1926, p. 169).
Personne qui inspire ou éprouve de l'amour sentimental. Ses triomphes féminins et cette longue brochette de cœurs ardents (Miomandre, Écrits sur de l'eau,1908, p. 56).Le tout de cette vie (...) trouver une compagnie, un beau cœur aimant près de qui demeurer toujours (Pourrat, Gaspard des montagnes,À la belle bergère, 1925, p. 50).
SYNT. Cœur + de + subst. Cœur d'artichaut*. Verbe + un/les cœur(s). Conquérir, gagner les cœurs; n'être qu'un (seul) cœur.
Loc. Une chaumière et un/deux cœur(s) (cf. bonheur ex. 21).Gentil/joli comme un cœur. Gentil/joli comme un amour. Dire qu'il est gentil comme un cœur (...) qu'il avait de beaux yeux (Musset, Namouna,1832, p. 398).Jolie comme un cœur (...) ma mignonne (A. France, Nos enfants,1887, p. 23).P. anal. Des vers jolis, jolis comme des cœurs (Renard, Journal,1897, p. 397).(Sans doute par contraction de joli comme un cœur, péj.) faire le joli cœur. Jouer les galants :
59. ... ils faisaient les jolis cœurs; les épaules rondes, l'air vaurien, ils répondaient par d'égrillards sourires au sourire amusé des filles plantées debout au seuil des maisons... Courteline, Le Train de 8 h 47,1888, 2epart., X, p. 211.
Rem. Except. employé adjectivement :
60. ... dans le genre brun, tout rasé, avec yeux de velours, épaules larges, et pas soupçon de hanches, on ne peut rêver rien de plus joli cœur que Jacques Lamberdesc, ... Aragon, Les Beaux Quartiers,1936, p. 35.
[P. allus. littér. (à Racine, Phèdre, 1677, II, 5)] Charmant, jeune et traînant tous les cœurs après soi (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 192);cf. aussi Sartre, Les Mots, 1964, p. 155.
En interj. Terme d'affection (utilisé dans les rapports familiaux, amicaux ou amoureux). Les mots mon cœur, mon bijou, mon petit chou, ma reine, tous les diminutifs amoureux de 1770 (Balzac, La Vieille fille,1836, p. 261).Mon amour, mon inquiétude, mon cher cœur (Michelet, Journal,1857, p. 337).Mon petit cœur, mon cœur, ma petite chérie (Géraldy, Toi et moi,1913, p. 32).
c) [Dans les rapports soc., humanitaires] Bonté, humanité, reconnaissance (...) tous les sentiments qui épanouissent le cœur (A. Dumas Père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 377):
61. Il faudrait guérir l'âme. Le pauvre suppose qu'en liant le riche par telle loi, tout est fini, que le monde ira bien. Le riche croit qu'en ramenant le pauvre à telle forme religieuse, morte depuis deux siècles, il raffermit la société... Beaux topiques! Ils imaginent apparemment que ces formules, politiques ou religieuses, ont une certaine force cabalistique pour lier le monde, comme si leur puissance n'était pas dans l'accord qu'elles trouvent ou ne trouvent pas dans le cœur! Le mal est dans le cœur. Que le remède soit aussi dans le cœur! Laissez là vos vieilles recettes. Il faut que le cœur s'ouvre, et les bras... Eh! ce sont vos frères, après tout. L'avez-vous oublié? ... Michelet, Le Peuple,1846, p. 175.
62. Un groupe n'est pas seulement une autorité morale qui régente la vie de ses membres, c'est aussi une source de vie sui generis. De lui se dégage une chaleur qui échauffe ou ranime les cœurs, qui les ouvre à la sympathie, qui fait fondre les égoïsmes. Durkheim, De la Division du travail soc.,1893, p. XXX.
63. Il est à Bar-Le-Duc un fameux monument que les auteurs anciens appelaient « le mausolée du cœur ». C'est un squelette à demi décharné, cependant droit et irréductible, la tête levée, ses orbites vides tournées vers son cœur de vermeil qu'il tend à bout de bras, vers le ciel, dans un élan d'invincible volonté. Voilà l'idée qu'il faudrait qu'un architecte sût traduire en monument pour l'ossuaire de Douaumont. (...). C'est devant cette image posée dans ce lieu même des grandes souffrances, devant cette immortelle affirmation d'espoir et de vouloir, devant cet appel des morts qui nous tendent, à nous et au juge suprême, leur cœur à vérifier, que nous comprendrons le mieux comment toute haute vie, toute pensée, tout art, toute nation surgissent d'une profondeur de sacrifice. Barrès, Mes cahiers,t. 13, 1920-22, pp. 248-249.
SYNT. Cœur + adj. Cœur compatissant, délicat, dévoué, dur, endurci, généreux, ingrat, reconnaissant, sec [Le cœur sec comme un caillou (Flaubert, Correspondance, 1870, p. 154)], sensible. Adj. + cœur. Bon [Joue[r] la comédie « du bon cœur » (...) guigne[r] le « bon effet » de sa générosité (Frapié, La Maternelle, 1904, p. 221)], brave, excellent, grand [Dans sa poitrine un grand cœur généreux, avide de faire le bien (R. Rolland, Jean-Christophe, La Nouvelle journée, 1912, p. 1491)], mauvais, meilleur cœur. Cœur de + subst. Cœur d'airain [D'une voix qui eût amolli un cœur d'airain (Sandeau, Melle de La Seiglière, 1848, p. 139)], de bronze, de glace, de granit, de marbre, d'or [Tu es un brave garçon, tu as un cœur d'or (Balzac, Pierre Grassou, 1840, p. 442)], de pierre (Karr, Sous les tilleuls, 1832, p. 140), de roche (Sue, Atar Gull, 1831, p. 7), de tigre, de vipère. Subst. + de/du cœur. Bonté, délicatesse, dureté, générosité, qualités, sécheresse de cœur; éducation du cœur. Verbe + le/son cœur. Écouter, endurcir, sécher le/son cœur. Verbe + le/du cœur. Avoir du/n'avoir pas de cœur [Jouer cœur est simple. Il faut en avoir, voilà tout (...) Votre cœur se cache par crainte du ridicule (...) Montrez votre cœur et vous gagnerez (Cocteau, Poésie critique 2, Monologues, 1960, p. 45)], manquer de cœur.
Loc. À votre bon cœur (formule pour solliciter la générosité de quelqu'un). (Donner/offrir/remercier...) de bon/de grand/de mauvais/de tout cœur. Verre d'eau donné de bon cœur (...) rendu au centuple (Claudel, Un poète regarde la Croix,1938, p. 267).Compatis de tout cœur aux difficultés que vous éprouvez (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Les Maîtres, 1937, p. 68).Mauvaise tête et bon cœur (Sardou, Rabagas,1872, IV, 5, p. 177).Avoir le cœur sur la main. Être enclin à une grande générosité. Désir sentimental d'une vie simple, le cœur sur la main, au milieu d'une bonté universelle (Zola, Nana,1880, p. 1367).J'ons le quieur sur la main et la main partout (Colette, La Naissance du jour,1928, p. 58).Être plein de cœur/ sans cœur. Un misérable sans cœur ni âme (Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 479).
P. méton. Personne considérée sous le rapport de sa générosité, de son altruisme. Ce cœur d'acier trempé (...) brigand par amour de l'humanité (About, Le Roi des montagnes,1857, p. 210).Des êtres ruisselants de vertu et qui ont le cœur sur la main? Les « cœurs sur la main » n'ont pas d'histoire (Mauriac, Thérèse Desqueyroux,1927, p. 170).Des riens de rien, des sans-cœur qui se fichaient de moi au lieu de m'aider (Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1519).
d) [Dans les rapports entre l'homme et Dieu (très gén. parlant)]
[En parlant de l'homme priant, s'adressant à Dieu] Prier de tout son cœur. Notre cœur humain (...) étroit palais pour un hôte divin (M. de Guérin, Poésies,1839, p. 69):
64. Ceux-là seuls veillent, ô mon Dieu, qui pensent à vous et qui vous aiment (...). Mais l'homme est-il fait pour jouir ici-bas d'une telle félicité? S'il en était capable, il aurait sa perfection. L'oubli des choses de la terre, et l'intention aux choses du ciel; l'exemption de toute ardeur, de tout souci, de tout trouble et de tout effort; la plénitude de la vie, sans aucune agitation; les délices du sentiment, sans le travail de la pensée; les ravissements de l'extase, sans les apprêts de la méditation; en un mot, la spiritualité pure, au sein du monde et parmi le tumulte des sens : ce n'est que le bonheur d'une minute, d'un instant; mais cet instant de piété répand de la suavité sur nos mois et sur nos années. La religion est la poésie du cœur; elle a des enchantements utiles à nos mœurs; elle nous donne et le bonheur et la vertu. Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 112.
65. Le cœur, comme la raison, poursuit l'infini, et la seule différence qu'il y ait dans ces poursuites, c'est que tantôt le cœur cherche l'infini sans savoir s'il le cherche, et que tantôt il se rend compte de la fin dernière du besoin d'aimer qui le tourmente. Cousin, Du Vrai, du beau et du bien,1836, p. 109.
66. L'esprit de l'homme est une image abrégée, mais fidèle et complète de l'infini. Quand un de ses foyers de vie s'éteint, il s'en rallume un autre plus brillant; c'est que ce principe appartient à Dieu seul. Lélia n'est pas foudroyée parce qu'un homme l'a maudite. Il lui reste son propre cœur et ce cœur renferme le sentiment de la divinité, l'intuition et l'amour de la perfection! Depuis quand perd-on la vue du soleil, parce qu'un des atomes que son rayon avait embrasés est rentré dans l'ombre? G. Sand, Lélia,1839, p. 397.
Spéc., RELIG. CATH.
[En parlant de Jésus-Christ considéré comme aimant l'homme] Cœur sacré/Sacré(-)Cœur (de Jésus) :
67. Dimanche 14 juillet. Fête du Sacré-Cœur. − Vue claire de ce qui fait pour plusieurs la difficulté; c'est qu'on matérialise trop cette admirable dévotion. On attribue trop au cœur matériel, au symbole ce qui ne doit être attribué qu'au cœur spirituel, à l'amour. Sans doute le cœur de chair est adorable, comme le corps de Notre-Seigneur « propter unionem divinam ». Mais il ne s'ensuit pas que ce cœur de chair soit le cœur spirituel, l'amour même, et le principe de l'amour, la source de l'amour. Il en est le symbole, adorable, aimable, comme le cœur d'un Dieu fait homme, comme le cœur d'un père. Dupanloup, Journal intime,1872, pp. 327-328.
68. ... l'école de Paray elle-même hésite parfois entre la dévotion au cœur-amour et la dévotion au cœur-personne. C'est ainsi, remarque le P. Lebrun, que les premiers théologiens jésuites, « qui traitent de la dévotion au Sacré-Cœur, en étendent l'objet » aussi loin (que le P. Eudes) ... D'après le P. de Galiffet, l'élément spirituel qui, avec le cœur de chair de l'Homme-Dieu, constitue l'objet de la dévotion au Sacré-Cœur, ce n'est pas uniquement son amour, mais encore son âme sainte, avec les dons et les grâces qu'elle renferme, les vertus et les affections dont elle est le siège et le principe. Bremond, Hist. littér. du sentiment relig. en France, t. 3, 1921, p. 654.
[En réf. avec la représentation iconographique de ce cœur (enflammé, couronné d'épines, transpercé, etc.)]
Des crucifix (...) des cœurs percés de glaives, flambant par le haut et saignant par le bas (Huysmans, Les Sœurs Vatard,1879, p. 27).Image du Sacré-Cœur (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 279).
P. méton. Lieu de culte ou congrégation vouée au Sacré-Cœur. La basilique du Sacré-Cœur (...) œuvre de vanité plus que de foi (Bloy, Journal,1904, p. 234).Blanche, écœurante comme un fromage, l'énorme provocation du Sacré-Cœur de Montmartre (Aragon, Les Beaux Quartiers,1936, p. 339).Les dames du Sacré-Cœur (Gyp, Souvenirs d'une petite fille,1928, p. 154).L'ordre des prêtres du Sacré-Cœur (Billy, Introïbo,1939, p. 165).
[En parlant de la Vierge Marie considérée comme médiatrice aimante et souffrante] Cœur de Marie :
69. Longtemps, il avait gardé au mur de sa cellule une gravure coloriée du Sacré-Cœur de Marie. La Vierge, souriant d'une façon sereine, écartait son corsage, montrait dans sa poitrine un trou rouge, où son cœur brûlait, traversé d'une épée, couronné de roses blanches. Cette épée le désespérait (...). Il l'effaça, il ne garda que le cœur couronné et flambant, arraché à demi de cette chair exquise pour s'offrir à lui. Ce fut alors qu'il se sentit aimé. Marie lui donnait son cœur, son cœur vivant, tel qu'il battait dans son sein, avec l'égouttement rose de son sang. Il n'y avait plus là une image de passion dévote, mais une matérialité, un prodige de tendresse, ... Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1292.
Prononc. et Orth. : [kœ:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Homon. chœur. Étymol. et Hist. I. Organe central de la circulation. A. Ca 1050 « siège de la vie » (Alexis, éd. Ch. Storey, 445 : Ço'st granz merveile que li mens quors tant duret); 1130-40 (Wace, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 62 : Ele ama Deu et Deu l'ama, Trestot son cuer li adona). B. Ca 1100 au propre (Roland, éd. J. Bédier, 2965 : [Li emperere ad fait] tuz les quers en paile recuillir). C. Ca 1100 p. ext. « la poitrine » (ibid., 3448 : L'escut li freint, cuntre le coer li quasset). D. 1195-1200 « siège des sensations physiques » (Renart, éd. Martin, branche 11, 565 : il avoit a son cuer grant fein); ca 1200 « estomac » (ibid., branche 9, 1724 : A pou que li cuers ne me faut); xiiies. « région épigastrique » (J. Le Marchand, Mir. N.-D. de Chartres, 5 ds T.-L. : a vomir les convenoit Du mal qui au cuer leur venoit); 1508 dire tout ce qu'on a sur le cœur (Eloy d'Amerval, Livre de la Deablerie, 147b ds IGLF); 1633 coucher du cœur sur le carreau « vomir [jeu de mots tiré des cartes] » (Comédie des Proverbes, acte II, scène 2, Anc. Théâtre fr., t. 9, p. 42). E. Fin xiies. « partie centrale » (Mort Aymeri de Narbonne, 607 ds T.-L. : El cuer de France). F. 1340 « objet en forme de cœur » (v. Gay). G. 1585 « as de cœur » (N. Du Fail, Contes d'Eutrapel, t. 2, p. 202 ds IGLF). H. 1600 « sorte de cerise » (Ol. de Serres, Théâtre d'Agric., VI, 26 ds Hug.). II. Centre de la vie intérieure. A. Siège des émotions, de l'affectivité. Ca 1050 (Alexis, 464 : Ne puis tant faire que mes quors s'en sazit); ca 1100 (Roland, 317 : Tro avez tendre coer); 1ertiers xiiies. (Lancelot du Lac, éd. O. Sommer, t. 5, partie 3, p. 353 : il navoit oi noveles ... qui tant li feissent mal au cuer); 1167-70 p. méton. cœur désigne la personne chérie (G. d'Arras, Ille et Galeron, 4160 ds T.-L.). B. Siège du désir, de la volonté. Ca 1050 (Alexis, 166 : Quant tut sun quor en ad si afermét); ca 1162 de son cuer « de toute son ardeur, très sincèrement » (Flore et Blancheflor, 1925 ds T.-L.); début xives. avoir au cuer de (faire qqc.) (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, livre V, 460); 1579 de gayeté de cœur (H. Estienne, Precellence du lang. fr., 359 ds IGLF); 1585 du meilleur de mon cœur (N. Du Fail, Contes d'Eutrapel, t. 2, p. 275). C. Siège du sentiment moral, du courage. Ca 1100 (Roland, 1107 : mal seit del coer ki el piz se cuardet); ca 1220 son cuer reprendre « reprendre courage » (G. de Coincy, Mir., éd. Koenig, I Mir 18, 326); 1508 à cœur vaillant, rien impossible (E. D'Amerval, loc. cit., 138b). D. Siège de l'intelligence. 1130-40 « discernement » (Wace, Ste Marguerite, 431 : Lors cuers, lor sens, fais oscurer); ca 1190 « savoir intuitif » (M. de France, Lais, Guigemar, 547, éd. J. Rychner : Mis quors me dit que jeo vus pert); ca 1220 les ielz dou cuer (G. de Coincy, Mir., éd. Koenig, II Ch 9,3792); cf. au xviies. le cœur en tant que siège de la grâce, permettant la communication avec Dieu (Pascal, Pensées, section IV, 278 et 277, éd. Brunschvicg, t. 13, p. 201 : C'est le cœur qui sent Dieu, et non la raison; le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point; section XII, 793, t. 14, p. 232 : aux yeux du cœur et qui voient la sagesse). E. Siège du souvenir, de la mémoire. Ca 1190 (M. de France, Fables, 70, 61 ds T.-L. : Senz quer fu e senz remembrance); ca 1200 retenir par cuer (Poème moral, éd. Bayot, 1036); ca 1220 savoir par cuer (G. de Coincy, Mir., éd. Koenig, I Mir 11, 757); 1690 (Fur. : On dit aussi, qu'on fait dîner quelqu'un par cœur quand on ne luy a point donné à dîner); 1694 p. ext. de savoir par cœur : apprendre une chose par cœur (Ac.), v. aussi Tobler, Sitzung der philosophisch-historischen Classe vom 27. October 1904, Berlin, p. 1274, 1275. Du lat. class. cǒr (peut-être par l'intermédiaire d'une forme *cǒre, Fouché, p. 656, Bl.-W.1-5) qui, dans la conception antique, est à la fois le siège de la vie et des fonctions vitales, et celui des passions et des émotions, des pensées et de l'intelligence, de la mémoire et de la volonté (cf. gr. κ α ρ δ ι ̓ α « cœur » et aussi « entrée de l'estomac », « siège des passions et des facultés de l'âme »; v. aussi K. Weinberg ds Arch. St. n. Spr., t. 203, 1966-67, pp. 1-31); pour par cœur, v. Bambeck, Lat. rom. Wortstudien, no126. Fréq. abs. littér. : 56 064. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 99 094, b) 84 140; xxes. : a) 80 349, b) 60 462. Bbg. Bergmann (K.). Herz/cœur. Zeitschrift für Deutschkunde. 1935, t. 49, pp. 73-78. − Bruyndonckx (J.M.). Les Emplois du mot cœur d'après quatre aut. du xvies. Louvain, 1967. − Flasche (H.). Der Begriff cœur bei Guez de Balzac. Rom. Jahrb. 1949, t. 2, pp. 224-254; [Cœur]. Philosophia. 1951, t. 8, pp. 31-50. − Goug. Mots t. 1, 1962, pp. 116-117; p. 260. − Lommatzsch (E.). Arch. St. n. Spr. 1912, t. 28, pp. 252-257. − Moles (E.). Pascal's theory of the heart. Mod. Lang. Notes. 1969, t. 84, no4, pp. 548-564. − Schittenhelm. Zur stilistischen Verwendung des Wortes cuer in der altfranzösischen Dichtung. In : [Mél. Ewert (A.)]. Oxford, 1961, p. 179. − Tabachovitz (A.). Vivre − cœur. Vox. rom. 1959, t. 18, pp. 49-93. − Weinberg (K.). Zum Wandel des Sinnbezirks von Herz und Instinkt unter dem Einfluß Descartes. Arch. St. n. Spr. 1966, t. 203, pp. 1-31.