| BOUSCULER, verbe trans. A.− Usuel 1. Bousculer qqn ou qqc. a) Heurter quelqu'un ou quelque chose avec violence et vivacité en le renversant ou non. Synon. culbuter, renverser, secouer.Elle était toute verte de colère, et bousculait ses marmites en parlant (Erckmann-Chatrian, Le Conscrit de 1813,1864, p. 40): 1. ... jurer l'union, jouer le double jeu politique de la vigilance et de la force, bousculer, bâtonner, fouetter ceux qui se moquent ou qui seulement refusent de saluer, c'est partie gagnée d'avance.
Alain, Propos,1928, p. 775. ♦ P. compar. : 2. Stéphane était un grec des Îles... un nez busqué rouge comme un piment, des sourcils charbonneux... Il parlait d'une voix tonitruante qui faisait rouler des r, comme la Kicking Horse river bousculait les galets dans ses crues.
Genevoix, Éva Charlebois,1944, p. 75. b) Heurter violemment de manière à renverser : 3. ... Les tramways, ces mastodontes beuglants qui vont tout droit sans s'inquiéter de ce qu'ils bousculent, de ce qu'ils tuent!
Fargue, Le Piéton de Paris,1939, p. 29. − [Dans un cont. milit] Bousculer une troupe. La vaincre par une attaque violente et rapide qui la désorganise : 4. ... la veille à Saint-Quentin, il [le Général Lanrezac] m'avait exprimé son intention, dès qu'il serait sorti de la zone boisée où l'emploi de son artillerie était difficile, de bousculer par une contre-offensive vigoureuse les troupes allemandes qui le suivaient.
Joffre, Mémoires,1931, p. 322. − Pop. [Dans un cont. érotique] Bousculer une femme : 5. Allons donc! Le pauvre diable qui bouscule sa bonne amie sur la mousse, un soir de printemps, est tenu par vous en état de péché mortel, ...
Bernanos, Journal d'un curé de campagne,1936, p. 1221. c) Renverser en créant le désordre. Il (...) bouscula mes livres, bouleversa mes papiers, renversa mon encrier (A. France, La Vie en fleur,1922, p. 437).Bousculer des meubles. Synon. bouleverser, déranger. Anton. ordonner, ranger. 2. Bousculer qqn. a) Heurter involontairement (quelqu'un). Dans le couloir, je bousculai un peu une fille qui entrait (Abellio, Heureux les pacifiques,1946, p. 16).Quelqu'un le bouscula de l'épaule (Aragon, Les Beaux-quartiers,1936, p. 496). ♦ Loc. verbale. Se faire, se laisser bousculer. Voilà le tramway (...) Juliette se précipita (...) se laissa bousculer (E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 83): 6. ... il y eut aussi une place vide tout à coup dans cet autobus de la ligne S presque complet parce qu'il était midi, place qu'occupa bientôt le jeune homme au long cou et au chapeau ridicule, place qu'il convoitait parce qu'il ne voulait plus se faire bousculer sur cette plate-forme d'autobus, un jour, vers midi.
Queneau, Exercices de style,1947, p. 53. − P. ext. Secouer, ballotter : 7. Cette vive allure pour laquelle la voiture avec ses ressorts durs n'était pas faite avait pas mal bousculé les voyageuses.
Giono, Bonheur fou,1957, p. 76. b) Écarter, par des poussées plus ou moins violentes, les personnes d'une foule afin de se frayer un passage : 8. Le clos était noir de monde. On se pressait autour du monticule, des bavards, des curieux que Pascuali dut bousculer, un cercle de chasseurs consternés qui discutaient le coup, ...
Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 132. ♦ P. métaph. : 9. Dans une démocratie, tout petit bourgeois peut et veut s'élever, et c'est une ruée, chacun devient féroce, bouscule les autres...
Zola, Fécondité,1899, p. 30. ♦ P. anal. : 10. ... en Andalousie, c'étaient les taureaux, les plus sages parce que les plus forts, qui rentraient les premiers, docilement. Et derrière, comme là-bas, les vaches s'affairaient et se bousculaient, aussi puériles d'esprit que leurs veaux.
Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 569. − Emploi pronom. : 11. J'allai avec lui et avec Pradelle voir passer en Sorbonne les oraux du concours : on se bousculait pour entendre la leçon de Raymond Aron, ...
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 272. ♦ P. métaph. : 12. J'aimais la façon dont les mots se bousculaient dans sa bouche [de Lewis].
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 328. ♦ Loc. fig. Se bousculer au portillon. Utiliser tous les moyens possibles pour atteindre un but : 13. Un Français capable de se réjouir aussi vertueusement à la perspective de voir son pays à jamais écrasé sous la botte, cela dépassait le but poursuivi et relevait si évidemment du coup de pied au cul que les Allemands se refusaient à employer, sinon une fois, et peut-être par surprise, de si maladroits complices. D'ailleurs, passé le début, où les idiots et les traîtres se bousculaient au portillon nazi, le recrutement devint difficile.
Ambrière, Les Grandes vacances,1946, p. 145. 3. Emplois métaph. Renverser, détruire afin de renover des systèmes devenus routiniers. Bousculer les habitudes, les idées, les institutions, les traditions : 14. ... mes parents ne plaisantaient pas avec la religion, maman avait bien trop peur de s'y laisser prendre, de tomber dans un piège et de bousculer toute sa conception du monde qu'elle maintenait avec tant de peine et d'application!
E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 275. 15. Mais lui [Spears], pour bousculer les routines, mettait au jeu son intelligence, la crainte qu'inspiraient les morsures de son esprit, enfin le charme qu'il savait montrer, à l'occasion.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1954, p. 85. B.− Emplois fig. 1. [L'accent est mis sur la violence de la blessure morale] Synon. rudoyer, maltraiter : 16. Elle [Catherine] n'avait plus que le désir de vivre jusqu'au bout avec celui-là, s'il voulait seulement ne pas la bousculer si fort.
Zola, Germinal,1885, p. 1402. 17. Annie aimait sortir avec lui parce que, comme je te l'ai dit, ils faisaient un très beau couple. (...) il avait des opinions sur tout : la politique, la poésie, le théâtre, le cinéma, la musique, l'amour même et il exigeait d'elle qu'elle partageât ses opinions, il la bousculait (en paroles, pas comme toi avec Chloé), il était intransigeant, implacable, méprisant.
Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 103. 2. [L'accent est mis sur la vivacité, la hâte] Contraindre une personne à se presser : 18. ... nous n'eûmes même pas le temps de faire honneur à ce bon déjeuner, Ricordi nous bousculant, tant son amour de se mêler aux grands était intempestif, ...
Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 122. 19. Ils [les enfants] ne se dépêchaient point comme elle le voulait; ils s'attardaient à picorer dans les plats, à chercher leurs effets. Alors Rose-Anna se prit à les bousculer un peu; ...
G. Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 440. − Emploi pronom. : 20. Ce sont des choses que, quand j'y pense, je suis là pour me bousculer comme un bègue : « Eh, si tu ne peux pas le parler, siffle-le ».
Giono, Un de Baumugnes,1929, p. 161. 21. Je fais tout très lentement. J'aime ça. Si on se bouscule pour quoi que ce soit, je m'en vais, quitte à ne pas attraper ce que les autres attrapent.
Giono, Voyage en Italie,1953, p. 168. 3. Déranger quelqu'un dans ses occupations : 22. Alexis défendait catégoriquement qu'on fasse le ménage là où il travaillait, (...). L'apparition d'une femme de ménage le bousculait immédiatement de ses effluves étrangers, si bien qu'Alexis en avait pour des heures à s'en remettre.
E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 122. 4. Au passif [L'accent est mis sur l'énervement causé par le grand nombre de choses qui accaparent l'attention d'une pers.] Être très occupé par diverses affaires qui demandent un règlement rapide. Être bousculé par qqc. − Absolument : 23. Le visage de Lambert s'assombrit et Henri ajouta : − Écoute, laisse-moi huit jours. En ce moment je suis trop bousculé, mais j'irai lui parler tout de suite après la générale; ...
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 359. Rem. On rencontre dans la docum. l'adj. bousculatoire. Qui bouscule. On ne bercera jamais assez les enfants, du temps de leur prime jeunesse. Et même je serais d'avis qu'on usât, pour les calmer, les endormir, d'appareils profondément bousculatoires (Gide, Voyage au Congo, 1927, p. 683). PRONONC. : [buskyle], (je) bouscule [buskyl]. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1798 « mettre sens dessus dessous » (Ac.); 2. 1798 « pousser en tout sens » (Ac.), qualifié de ,,familier`` par Ac. 1835 et 1878; spéc. 1833 « défaire, battre (une armée) » (Balzac, Le Médecin de campagne, p. 175); 1852 « malmener, tourmenter » (Flaubert, Correspondance, p. 156).
Composé tautologique formé : 1 du m. fr. bousser « heurter » 1416 (Du Cange, s.v. boutare), terme largement attesté dans les domaines lorr. et franco-prov. (FEW t. 15, 1, pp. 231-232) empr. au m. h. all. bôzen « frapper, heurter » corresp. à l'a. b. frq. bôtan, v. bouter. − 2 de culer « marcher à reculons » (1482 G. Flamang dans DG) dér. de cul* et dés. -er (P. Guiraud dans Z. rom. Philol., t. 77, p. 444 et Structures étymologiques du lexique fr., Paris, 1967, p. 11). L'hyp. d'une altération de l'a. fr. bouteculer « chercher en retournant » xiiies. (Renart, 4516, Méon dans Gdf.) sous l'infl. du m. fr. bousser (EWFS2et FEW t. 2, p. 1521) ne semble pas à retenir étant donné la rareté extrême du mot en a. fr. (v. T.-L.). Même objection contre l'hyp. d'une altération de bouteculer par pousser remplaçant mod. de bouter, tous deux confondus dans la forme bousser (J. Orr dans Mélanges Dauzat, pp. 245-256). L'hyp. d'une altération de bouteculer d'apr. basculer (Cor., s.v. masculillo; Dauzat 1973) n'est pas plus probable, basculer, mentionné une seule fois en 1611 (Cotgr.), n'étant bien attesté qu'à partir de Littré 1863. STAT. − Fréq. abs. littér. : 646. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 24, b) 754; xxes. : a) 1 547, b) 1 391. BBG. − Orr (J.). Qq. mises au point étymol. In : [Mél. Dauzat (A.)]. Paris, 1951, pp. 245-247. − Pinchon (J.). Questions de vocab. Fr. Monde. 1968, no60, p. 54. |