| * Dans l'article "BOUCHE,, subst. fém." BOUCHE, subst. fém. Cour. [Chez l'homme] . Cavité située à la partie inférieure de la tête, délimitée à l'extérieur et à l'avant par les lèvres, à l'intérieur par la langue en bas, le palais en haut, le gosier à l'arrière, renfermant avec les mâchoires les gencives et les dents, les organes sécréteurs de la salive et ceux, récepteurs, du goût; constituant l'orifice initial du tube digestif; communiquant avec les voies respiratoires et contribuant à l'émission de la voix articulée, de la parole : 1. Et si la parole est une nourriture, c'est ainsi que divers aliments nous ont été donnés. Car il en est que l'homme fabrique lui-même, comme le pain, de crus et d'autres qu'il faut cuire; il en est que l'on broie et mâche, d'autres où la langue seule fait son œuvre; et d'autres comme le lait, et d'autres qui fondent d'eux-mêmes dans la bouche comme le beurre et le sucre. Et moi, pressé par le bruit intérieur, je voulais proposer au monde un mot soluble et délectable, afin de repaître comme un profond estomac la mémoire et l'intelligence comme une bouche bordée de lèvres avec ses dents.
Claudel, La Ville,1901, I, p. 434. 2. Je t'approche, je te touche, tu m'inondes de ton visage, je vois ta bouche avec ce qu'elle a mangé et bu, avec les paroles qu'elle a dites et que j'ai oubliées, et les paroles dites et retenues, et celles qui n'ont pas été dites, les secrètes, les roses de ta nuit.
Montherlant, Le Songe,1922, p. 211. − ANAT. HUM. ,,1. Syn. de cavité buccale. 2. Ensemble formé par la cavité buccale et les structures qui la délimitent : lèvres, langue, voile du palais, face interne des joues. 3. Orifice externe de la cavité buccale`` (Méd. Biol. t. 1 1970). Rem. Cf. cavité* buccale. I.− [La bouche en tant que partie apparente du visage humain dont les lèvres constituent la limite et le dessin extérieurs] :
3. ... c'était une figure, c'était une vraie figure, avec deux yeux, un nez et une bouche; et elle lui riait contre.
Ramuz, Aimé Pache, peintre vaudois,1911, p. 182. A.− [Cette partie du visage du point de vue de son aspect, de son dessin] Une grande bouche, une petite bouche : 4. Le bas du visage était moins pur de lignes, plus sensible aussi : une bouche irrégulière, vivante, mobile, aux lèvres minces, au sourire facile, tendre, souvent malicieux; ...
R. Martin du Gard, In memoriam,1921, p. 563. SYNT. Une belle, une jolie bouche; une bouche large, charnue; mince, fine, pincée; une bouche bien dessinée, au dessin enfantin; une bouche fendue jusqu'aux oreilles, une bouche fendue en tirelire; une bouche un peu de travers, tordue; une bouche ferme, molle; une bouche fraîche, humide, saine; une bouche aux lèvres épaisses, aux dents blanches, aux dents gâtées; une bouche bien meublée, mal garnie, démeublée, édentée; une bouche moustachue, barbue, rasée; une bouche fardée, maquillée, peinte; une bouche rose, rouge, vermeille, de corail; une bouche en cœur; le contour de la bouche; les (deux) coins, les (deux) côtés, les plis, les commissures de la bouche; pli, rides au coin de la bouche. Les coins tombants, pendants de la bouche; la pipe, une cigarette à la bouche; avoir, garder, rester la bouche ouverte, grande ouverte; se dessiner une fausse bouche; retirer, ôter sa pipe de la bouche. B.− [Cette partie du visage en tant qu'expressive d'une émotion, d'un sentiment, d'un état d'âme, etc.] Une bouche expressive : 5. Je ne vois que des faces abruties par l'ignorance, des bouches fielleuses crispées par la haine...
Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 62. 6. Elle secoua la tête en fronçant la bouche, signe fréquemment employé par les gens pour répondre qu'ils n'iront pas, que cela les ennuie, à quelqu'un qui leur a demandé : « Viendrez-vous voir passer la cavalcade, assisterez-vous à la revue? »
Proust, Du côté de chez Swann,1913, p. 362. SYNT. Une bouche souriante; la bouche mauvaise, crispée, douloureuse, amère, sarcastique, soupçonneuse, boudeuse; une bouche froncée de méfiance, contractée par la douleur, tordue par la rancœur; le pli amer de la bouche; le sourire à la bouche; rire à pleine bouche, prendre une bouche pincée; bouche qui tremble de fatigue, de colère; les coins de la bouche qui frémissent, se tirent, se pincent, se contractent. − Partic. [Cette partie du visage en tant qu'elle sert à embrasser ou à être embrassée; spéc., en tant que région du corps intervenant dans le processus, la manifestation, l'expression de la sexualité et de l'amour] S'embrasser sur la bouche : 7. cyrano
Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer;
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d'un peu se respirer le cœur,
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme!
Rostand, Cyrano de Bergerac,1898, III, 9, p. 135. 8. Tu crois que moi j'avais pas de tout comme les autres femmes : des mamelles et un ventre, et une bouche avec la langue pour l'embrasser, pour le garder, pour lui faire du plaisir!
Giono, Regain,1930, p. 42. 9. J'aurais bien voulu comprendre par quel mécanisme le contact de deux bouches provoque la volupté : souvent, regardant les lèvres d'un garçon ou d'une fille, je m'étonnais, (...). L'enseignement de Madeleine était toujours baroque; elle m'expliqua que le plaisir dépendait des goûts de chacun (...). Avec curiosité, avec malaise, je me demandais si mon propre corps recélait des sources cachées d'où jailliraient un jour d'imprévisibles émois.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 165. SYNT. Une bouche caressante, amoureuse, voluptueuse, provocante, tentante, savante, gourmande; une bouche altérée, assouvie; la bouche aimée, adorée; bouche à bouche, bouche contre bouche; contact bouche à bouche, de deux bouches; bouche qui appelle le baiser, bouches qui s'unissent, désir qui joint les bouches; embrasser la bouche de qqn; se baiser, se donner un baiser sur la bouche; embrasser, baiser qqn sur la bouche; coller, appuyer, mettre sa bouche sur la bouche de qqn; coller sa bouche à, contre la bouche de qqn; écraser la bouche de qqn sur la sienne, sous un baiser; prendre la bouche de qqn; plaquer ses lèvres sur la bouche de qqn; effleurer la bouche de qqn; embrasser qqn à la bouche (rare); baiser qqn de, à la bouche; recevoir un baiser en bouche; une bouche pleine de baisers. ♦ Loc. À pleine bouche. Embrasser, baiser qqn à pleine bouche; s'embrasser, donner des baisers, échanger un baiser à pleine bouche. À bouche que veux(-)tu; s'embrasser, baiser qqn à bouche que veux(-)tu. (Se) donner de très nombreux baisers, (,,à pleines lèvres`` Guérin 1892). Ironique : 10. Monsieur trompe Madame à bouche que veux-tu.
Toulet, La jeune fille verte,1918, p. 9. Fig. Embrasser qqc. à pleine bouche : 11. Il [Copeau] paraît rajeuni, plus Diderot que jamais, embrassant chaque projet neuf à pleine bouche et de plein cœur.
Gide, Journal,1914, p. 474. − FÉOD. [En parlant d'un vassal] Devoir à son seigneur la bouche et les mains. Pour lui rendre l'hommage lige, avoir à lui embrasser la bouche en signe de fidélité et à lui présenter les deux mains, jointes dans les siennes en signe de dévouement. C.− [Cette partie du visage en tant que révélatrice d'un (trait de) caractère] Une bouche volontaire, une bouche sévère : 12. C'est la face qu'elle [l'âme] choisit pour se manifester au dehors : là, elle spiritualise la chair, pour la rendre transparente aux clartés intérieures de la pensée; elle dessine les traits avec une infinie délicatesse; elle crée la physionomie; elle fait les derniers efforts pour orner et embellir les deux endroits par où surtout elle se révèle, les yeux et la bouche. On pourrait les appeler les deux balcons, où la reine qui habite l'édifice humain se montre souvent, quoique voilée.
Ozanam, Essai sur la philos. de Dante,1838, p. 129. 13. Lorsque, dans un visage humain, le bas l'emporte sur le haut, c'est qu'une transformation profonde s'est opérée dans l'être, la volonté et les appétits l'emportant sur l'esprit, et d'une façon générale sur ce qu'il y a en nous de meilleur. Il ne faut pas que la bouche et la mâchoire triomphent des yeux et du front.
Green, Journal,Le Bel aujourd'hui, 1955-58, p. 246. SYNT. Une bouche énergique, autoritaire; une bouche sérieuse, pincée, dédaigneuse, arrogante, pure, ingénue, loyale; une bouche tendre, sensuelle; une bouche rieuse, joviale; une bouche avide, soumise; une bouche mielleuse, obséquieuse; une bouche veule, vénale; une bouche moqueuse, narquoise, gouailleuse, mauvaise. D.− Expr. et loc. 1. Usuel [Pour exprimer une attentive admiration, la stupéfaction ou l'incompréhension, une attente anxieuse] La bouche ouverte, béante. Bouche bée; rester (là) la bouche ouverte, béante; écouter (qqn), admirer (qqn, qqc.) (la) bouche béante; contempler (qqn, qqc.) bouche bée; être bouche bée (devant qqn). Plus rare. [Pour marquer la stupéfaction, l'incompréhension] Ouvrir la bouche toute ronde : 14. − Ho! J'ouvre la bouche toute ronde... Comment, il est marié, mon dogue écossais, étrangleur d'ours et de boërs? Et marié à cela, à cette duchesse de Van Dyck ou du Titien? Non!
Farrère, L'Homme qui assassina,1907, p. 82. 2. Loc. fam. − La bouche en cœur. ♦ En donnant à sa bouche et, p. ext., à sa physionomie, à ses façons, une expression affectée, mignarde, généralement dans l'intention de plaire : 15. ... Et c'est là cependant
Que toi, mon seul amour, toi, mes seules délices,
Tu brames tous les soirs d'infâmes ritournelles
Et que, la bouche en cœur, l'œil clos, le bras pendant,
Tu souris aux voyous, ô la Reine des belles!
Huysmans, Marthe,1876, p. 14. 16. Et par là-dessus un beau jour mon époux a disparu. Il est froidement parti avec une tournée de passage, comme ça, dans la nuit, la bouche en cœur, sans rien me dire.
Queneau, Loin de Rueil,1944, p. 220. ♦ En faisant le doucereux, en minaudant, en simulant − par des jeux de physionomie, des manières, une façon de parler affectés, mignards − une candeur, une amabilité excessives, dans le but de plaire. Avoir, faire la bouche en cœur. Néol., p. méton. [Pour désigner une pers.] :
17. Le docteur ... n'eut aucun succès avec ses manières paternes, ses belles phrases de bouche-en-cœur.
A. Daudet, Le Nabab,1877, p. 133. Néol., en emploi adj. : 18. Mais ces crébillonnades, si séduisantes en leur prose à talons rouges dans les vieux petits bouquins où on les lit, me semblent parler au théâtre une langue la bouche-en-cœur, une langue, selon l'expression du peuple, tourne-gueule, fatigante, agaçante, d'une préciosité attaquant les nerfs.
E. et J. de Goncourt, Journal,1890, p. 1103. Proverbe. Cœur en bouche, bouche en cœur : 19. La garnison de M. de Nevers est partie ce matin... J'étais fier de notre cuisine. Nous nous sommes quittés cœur en bouche, bouche en cœur.
R. Rolland, Colas Breugnon,1919, p. 36. − La bouche en cul(-)de(-)poule. La bouche arrondie et pincée en une moue peu naturelle, par recherche, pour plaire... Faire la bouche en cul(-)de(-)poule : 20. Voilà un type de bonté féminine sur lequel il n'y a pas à se tromper : le teint un peu tiqueté de rousseur et les lèvres épaisses, la bouche entr'ouverte comme un gros bouton de fleur, la bouche en cul de poule.
E. et J. de Goncourt, Journal,1866, p. 274. − Rare. La bouche enfarinée ♦ Naïf au point d'être ridicule. Avoir la bouche enfarinée. ♦ Avec des sentiments qui ne sont que simulés : 21. Toujours est-il que... J'y retourne ce soir [chez Léa] la bouche enfarinée.
G. Augier, Paul Forestier,1868, p. 94. II.− [La bouche humaine en tant que cavité interne] A.− 1. [Cette cavité en tant qu'orifice initial du tube digestif où s'accomplissent l'ingestion, l'insalivation, la mastication des aliments, où s'opère leur gustation et leur déglutition] :
22. Ce n'est pas seulement la nausée, c'est l'impossibilité presque complète d'avaler quoi que ce soit de solide, les glandes se refusant à saliver, les muscles à déglutir; et les muqueuses de la langue et de la bouche se tapissent d'une sorte de sécrétion salée, comme isolante. Arriver à ne pas vomir, mais à force de restrictions.
Gide, Journal,1889-1939, p. 100. SYNT. Porter (un aliment, les morceaux, son verre) à la bouche, à sa bouche; avoir la bouche pleine (de qqc.); parler la bouche pleine; manger, mordre, croquer à pleine bouche; s'essuyer, se rincer la bouche; avoir, rendre la bouche sèche, amère, pâteuse; sentir mauvais de la bouche; délicatesse de bouche; plaisirs de la bouche; joies de bouche; une cuillerée à bouche (de qqc.); ustensiles de bouche; consommation de bouche; mauvaise odeur de la bouche; affections de la gorge et de la bouche; vaccination par la bouche; administrer un médicament par la bouche. − P. métaph. : 23. Le petit Pablo le regardait avec gravité... Mathieu se sentit gêné, sans savoir pourquoi. Il avait l'impression d'être englouti par les yeux de l'enfant. « Les mômes, pensa-t-il, c'est des petits voraces, tous leurs sens sont des bouches. »
Sartre, L'Âge de raison,1945, p. 43. 2. P. méton. [Pour désigner ce qui est en rapport avec la bouche : domaine de la nourriture, de la table] a) [Dans la catégorie de l'inanimé] ♦ Provisions, munitions, dépenses de bouche. Provisions, dépenses faites pour se nourrir. ♦ Exigences de bouche. Exigences alimentaires. Excès de (la) bouche. Excès alimentaires. Synon. excès de table. ♦ Prendre sur sa, sur la bouche. Économiser en restreignant les dépenses alimentaires. Rem. Attesté dans la plupart des dictionnaires. ♦ HIST. [Sous l'Ancien Régime] Avoir bouche à (la) cour, en cour. Être admis à l'une des tables de la maison royale. b) [Dans la catégorie de l'animé] Personne, par rapport à ses besoins alimentaires. Avoir (tant de) bouches à nourrir : 24. Ça me faisait honte et peine de voir tant de travail, tant de misère et tant de bouches à la maison.
Lamartine, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,1851, p. 452. ♦ Bouche inutile. [Dans un cont. de guerre] Personne inapte au combat dont la nourriture cependant est prélevée sur les vivres de la communauté; p. ext., péj. individu dont la subsistance incombe à une personne ou à une collectivité : 25. « Les maires de chaque commune seront tenus d'établir dans les huit jours une liste des malades, vieillards, enfants et bouches inutiles en général, en vue de leur évacuation vers la France... »
Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 29. ♦ Fine bouche. Personne exigeante et raffinée en matière de nourriture. Synon. gourmand, gourmet, bec fin (fam.).Être une fine bouche : 26. ... les gourmets ne sont pas d'accord sur le point de savoir s'il vaut mieux griller la tartine avant ou après que les rillettes y ont été étendues; (...). D'autres personnes, je dois le confesser, se bornent à les manger à froid, sans préparation aucune; celles-là sont indignes de savourer ce précieux mets; quant aux fines bouches, elles refuseraient d'y toucher s'il n'était conditionné d'après la formule que voici : ...
Huysmans, L'Oblat,t. 1, 1903, p. 115. ♦ HIST. [Sous l'Ancien Régime] Les officiers de la bouche (du roi), le service de la bouche (du roi) ou, absol., la bouche (du roi). L'ensemble des services de la table du roi (cf. Ac. gastr. 1962 et Mont. 1967). 3. Expr. et loc. (le plus souvent fig.) − Faire la petite bouche. Faire le difficile face aux plaisirs de la table et, p. ext., face à quelque chose qui est apprécié ordinairement : 27. Dans un dîner d'hommes de lettres, quelqu'un a prononcé le nom de Valéry et à ma très grande surprise j'ai vu un écrivain faire la petite bouche et il a dit que les textes de ce poète ne signifiaient pas grand-chose et qu'au fond il ne savait presque rien.
Green, Journal,1949, p. 264. Rem. Selon Rob., Lar. encyclop. et Lar. Lang. fr., on dit également dans ce sens faire la fine bouche. ♦ Partic., vieilli. [Dans le domaine de la parole] Faire la petite bouche sur/de qqc. Ne pas s'exprimer librement sur un sujet : 28. Mon ami Lévêque ... est un vieux grognard qui pense comme nous ... et on n'a pas besoin [quand on ne veut pas des Bourbons] de faire la petite bouche avec lui.
L.-F. Raban et Marco Saint-Hilaire, Mémoires d'un forçat,1828-29, t. 2, p. 282. ♦ Néol. d'aut., emploi adj. Petite bouche : 29. Il paraît qu'en fait de germanisme, le goût anglo-saxon lui-même ne peut pas tant porter; mais il est plus robuste, il est moins petite bouche que le nôtre, et il permet de mordre davantage.
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 3, 1863-69, p. 269. ♦ P. méton., dépréc. [Pour désigner une pers.] Petite bouche : 30. Ô vous, qui ne connûtes jamais du monde que des couleurs et des sons sans substance, cœurs sensibles, bouches lyriques où l'âpre vérité fondrait comme une praline − petits cœurs, petites bouches − ceci n'est point pour vous. Vos diableries sont à la mesure de vos nerfs fragiles, de vos précieuses cervelles...
Bernanos, Sous le soleil de Satan,1926, p. 153. − En avoir l'eau à la bouche. Avoir la salive qui vient à la bouche à la vue ou à la seule idée d'un aliment appétissant. Synon. En saliver.L'eau m'en vient à la bouche. Faire venir l'eau à la bouche (de qqn). ♦ Fig. Faire venir, mettre l'eau à la bouche (à qqn) (de qqc.). Susciter (chez quelqu'un) la forte envie (de quelque chose). L'eau m'en vient à la bouche. L'envie m'en prend : 31. ... l'argent qu'un autre recevait excitait en lui une curiosité incompressible et lui faisait venir l'eau à la bouche. Pendant ces courts instants, il avait l'air attentif et fiévreux d'un enfant qui lit un roman de Jules Verne, ...
Proust, Sodome et Gomorrhe,1922, p. 1025. − Retirer, ôter, enlever, arracher à qqn le pain ou le(s) morceau(x) de la bouche : 32. Tout en se faisant caressante, elle avait pris les tartines de son frère, qu'elle mordait à belles dents. Elle en avait achevé une; elle entamait la seconde, lorsque la Teuse s'en aperçut :
− Mais ce n'est pas à vous, ce pain-là! Voilà que vous lui retirez les morceaux de la bouche, maintenant!
Zola, La Faute de l'Abbé Mouret,1875, p. 1428. ♦ Fig. Le frustrer du nécessaire : 33. Pauvre rue dépareillée et sous-alimentée
On t'a retiré le pain de la bouche
On t'a arraché les ovaires
On t'a coupé l'herbe sous le pied
On t'a rentré tes chansons dans la gorge
On t'a enlevé ta gaîté
Et le diamant de ton rire s'est brisé les dents sur le
Rideau de fer de la connerie et de la haine...
Prévert, Paroles,1946, pp. 245-246. ♦ Se retirer, s'ôter le pain ou le(s) morceau(x) de la bouche. Se priver de nourriture et, p. ext., du nécessaire, pour en faire profiter quelqu'un d'autre le plus souvent : 34. Pourquoi vivrais-je maintenant que j'ai perdu mes chers écus que j'avais si soigneusement amassés et que j'aimais plus que mes propres yeux. Mes écus que j'avais épargnés en me retirant le pain de la bouche, en ne mangeant jamais à ma faim! Mes écus!
Camus, Les Esprits,adapté de P. de Larivey, 1953, p. 496. − Fam. Avoir la bouche pleine (de qqc.). En parler beaucoup, avec délectation, enthousiasme, vanité, etc. En avoir plein la bouche (de qqc.) : 35. Vous qui avez la bouche pleine de vos classiques, souvenez-vous de votre Corneille : « Moi seul, et c'est assez! »
R. Rolland, Jean-Christophe,Le Buisson ardent, 1911, p. 1274. − Bonne, mauvaise bouche. a) Avoir bonne, mauvaise bouche. Avoir un bon, un mauvais goût dans la bouche. [En parlant d'un aliment] Faire, donner, laisser bonne ou mauvaise bouche (à qqn). Figuré : 36. Il y avait je ne sais quoi de misérable et de lugubre dans cet étal en plein vent de fruits et de gâteaux, douceurs de mourants, viatiques de malades ... et que des mains de travail, toutes noires, prenaient en passant pour porter à l'hôpital et faire bonne bouche à la mort.
E. et J. de Goncourt, Germinie Lacerteux,1864, p. 255. b) Laisser qqn sur la bonne bouche. Terminer le repas qu'on lui a servi par quelque chose de particulièrement savoureux. Fig. Le laisser sur une impression finale agréable. c) Rester, demeurer sur la bonne ou la mauvaise bouche. Cesser de manger après un aliment qui a donné bonne ou mauvaise bouche. Fig. Rester, demeurer sur la bonne bouche. S'arrêter après quelque chose d'heureux en pensant que seule une déception pourrait suivre. d) Garder, réserver qqc. (un aliment) pour la bonne bouche. Garder pour la fin du repas ce qui est le meilleur. Fig. Garder le plus agréable pour la fin. P. iron., garder le plus désagréable pour la fin : 37. − Vraiment, monsieur le conseiller, vous me gardiez ceci pour la bonne bouche! Est-ce tout ce dont je suis accusé...
G. Sand, Les Beaux Messieurs de Bois-Doré,t. 2, 1858, p. 23. − Attendre que qqc. tombe tout rôti dans la bouche. Attendre, sans y aider d'aucune façon, que quelque chose se fasse. Tomber tout rôti dans la bouche de qqn. − Fig. Ouvrir la bouche trop grande. Vouloir plus qu'on ne peut obtenir. Synon. Avoir les yeux plus grands que le ventre : 38. Car l'armistice sera rompu, les Balkaniques ouvrent la bouche trop grande : les Turcs ne marcheront pas...
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Cécile parmi nous, 1938, p. 118. − [Dans le domaine de la table] À bouche(-)que(-) veux-tu. À profusion, sans compter. ♦ Figuré : 39. Dans les rues de Yokohama ... quelle mascarade à faire pitié. Chapeaux melons de tous les styles, petits complets couleur puce ou couleur queue de rat, tous les vieux stocks de costumes invendables en Europe, déversés à bouche que veux-tu sur ces seigneurs, qui naguère encore se drapaient de soie.
Loti, La Troisième jeunesse de Madame Prune,1905, p. 271. ♦ Traiter qqn à bouche que veux-tu. Lui offrir un très bon repas, le traiter de la meilleure façon. Rem. Attesté dans la majorité des dictionnaires. ♦ Fig. Être à bouche que veux-tu. Ne manquer de rien, avoir tout ce que l'on souhaite. Rem. Attesté dans Lar. 19e, Nouv. Lar. ill., Littré, DG et Rob. − Vieilli. Être (porté) sur sa bouche. Être sujet à la bouche (vx). Aimer boire et manger, être porté sur les plaisirs de la table. B.− [Cette cavité en tant qu'elle communique avec les voies respiratoires et donne passage à l'air] 1. [La bouche servant à respirer] :
40. Il marchait difficilement, la bouche ouverte pour mieux souffler. Il aurait pu jouer Éole dans un ballet mythologique, et l'on entendait de vingt pas sa respiration d'ogre.
Champfleury, Les Souffrances du professeur Delteil,1855, p. 61. SYNT. Respirer la bouche ouverte; aspirer l'air, souffler à pleine bouche; le souffle de la bouche. − P. métaph. : 41. La terre inépuisable dans l'étreinte de toutes les racines de ton être
Et le ciel infini avec le soleil, avec les astres dans le mouvement de l'année,
Où tu t'attaches avec cette bouche, faite de tous tes bras, avec le bouquet de ton corps, le saisissant de tout cela en toi qui respire,
La terre et le ciel tout entiers, il les faut pour que tu te tiennes droit!
Claudel, Tête d'Or,2eversion, 1901, p. 183. 42. Si je m'étais obstinée à dormir dehors, la puissante bouche qui souffle le froid, le sec, qui éteint toute odeur et anesthésie la terre, l'ennemi du travail, de la volupté et du sommeil, m'eût arraché draps et couvertures qu'il sait façonner en longs rouleaux.
Colette, La Naissance du jour,1928, p. 10. 2. a) [La bouche contribuant à la modulation des sons produits par le larynx et à l'émission de la voix articulée, de la parole] :
43. Je te conjure par la force des lettres,
Les voyelles que l'âme expulse du corps qui s'ouvre jusqu'au fond,
Les graves et les aiguës, l'a et l'i,
Et les consonnes par qui la bouche donne passage de ses trois portes, la langue, les lèvres et les dents!
Entends les éléments! Formant les lettres une à une, comme on apprend aux enfants à épeler, j'applique ma bouche à ton oreille.
Entends, mort, le langage vivant, entends le langage humain!
Claudel, Le Repos du septième jour,1901, I, p. 807. 44. ... la cavité buccale cumule les fonctions de générateur de son et de résonateur. Si la glotte est largement ouverte, aucune vibration laryngienne ne se produit, et le son qu'on percevra n'est parti que de la cavité buccale (...). Si au contraire le rapprochement des cordes vocales fait vibrer la glotte, la bouche intervient principalement comme modificateur du son laryngé. Ainsi, dans la production du son, les facteurs qui peuvent entrer en jeu sont l'expiration, l'articulation buccale, la vibration du larynx et la résonance nasale.
Saussure, Cours de ling. gén.,1916, p. 68. 45. Quand on s'arrête à la façon par exemple dont sont formés et proférés les mots, elles ne résistent guère nos phrases au désastre de leur décor baveux. C'est plus compliqué et plus pénible que la défécation notre effort mécanique de la conversation. Cette corolle de chair bouffie, la bouche, qui se convulse à siffler, aspire et se démène, pousse toutes espèces de sons visqueux à travers le barrage puant de la carie dentaire, quelle punition! Voilà pourtant ce qu'on nous adjure de transposer en idéal. C'est difficile.
Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 417. SYNT. Bouche qui prononce (un mot, des paroles, etc.,); parler du coin de la bouche; ouvrir la bouche pour parler, pour adresser la parole à qqn, pour dire qqc. à qqn, pour questionner, pour répondre, pour crier; mot qui écorche la bouche de qqn; mot, paroles... déplacé(es) dans la bouche de qqn; paroles qui expirent sur la bouche de qqn. ♦ Mots, paroles, etc., qui sortent, (s')échappent, coulent, tombent de la bouche de qqn. ,,La vérité sort de la bouche des enfants`` (Ac.1878-1932).Cela m'est sorti de la bouche. Je l'ai dit sans y avoir pensé, je n'ai pu me retenir de le dire : 46. − C'est vrai qu'il a l'air honnête et franc et que, s'il parlait, il ne sortirait de sa bouche que des paroles de vérité.
A. France, Le Lys rouge,1894, p. 228. ♦ Mots, paroles, etc., qui viennent, montent, échappent à la bouche de qqn; phrases qui viennent dans la bouche de qqn; dire tout ce qui vient à la bouche. Parler très librement ou parler sans réfléchir : 47. Il arrive même qu'il fasse ce qu'il ne veut pas faire et dise ce qu'il ne veut pas dire, simplement parce que l'idée lui est venue en tête ou le mot à la bouche.
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 665. ♦ Apprendre qqc. de (plus rarement : par) la (propre) bouche de qqn; recueillir (des mots, un discours, etc.,) de la bouche (même) de qqn. Tenir, savoir, entendre qqc. de la bouche de qqn; obtenir (un récit) de la bouche de qqn; avoir de la bouche de qqn, l'assurance que... : 48. Peut-être aussi leur en aurais-je fait grief si je n'avais pas appris la vérité de leur bouche : en reconnaissant qu'ils m'avaient dupée, ils me convainquirent de leur franchise.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 23. − P. métaph. : 49. Notre passé, c'est notre secret promulgué par la bouche des années, c'est l'image la plus mystérieuse de notre être, surprise et gardée par le temps.
Maeterlinck, Le Temple enseveli,1902, p. 222. 50. Ce que veut arracher l'art tragique à coups de résurrections barbares, c'est d'abord le poing imposteur dont la civilisation clôt la bouche de la destinée.
Malraux, Les Voix du silence,1951, p. 538. ♦ Par allégorie, poét. La Déesse aux cent bouches. La Renommée : 51. Mais ses funérailles seront celles du phénix, seigneur, et malgré l'inconstance des hommes et le temps oublieux il revivra et sera célébré après sa mort dans toutes les bouches de la renommée!
Camus, Le Chevalier d'Olmedo,adapté de F. Lope de Vega, 1957, p. 816. P. allus. : 52. Aussi c'est un très mauvais signe lorsque chacun agit et d'abord pense par imitation; lorsque règne l'opinion aux cent bouches, qui n'est que du bruit, sans aucune pensée. Abdication de tous.
Alain, Propos,1921, p. 237. b) P. méton. − [Pour désigner la personne qui parle] :
53. Soudain une clameur immense éclata. Dix mille bouches chantaient la Marseillaise. Puis tout se tut.
Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 219. ♦ Une bouche amie, une bouche ennemie. Une personne bien ou mal disposée à l'égard d'une autre : 54. ... il fit observer au roi, qu'ayant eu le malheur de déplaire à la reine, il serait barbare de lui faire porter cet ordre par une bouche ennemie, et il engagea le roi à donner cette commission à M. De Machaut, qui était des amis de Madame De Pompadour, ...
Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 91. − [Pour désigner ce qui est dit] :
55. Mais ils ont aperçu un bel homme à cheval, la loyauté sur son visage, la sincérité dans la bouche et alors le mot tromper a couru jusqu'au fond des ondes...
Giraudoux, Ondine,1939, II, 2, p. 139. ♦ Être maître de sa bouche. Être maître de ses paroles. c) Expr. et loc. − Ouvrir la bouche. Parler, prendre la parole. Empêcher qqn d'ouvrir la bouche, ouvrir la bouche de qqc. à qqn, ouvrir la bouche sur qqc. − Ouvrir la bouche à qqn. ♦ Parler à quelqu'un : 56. Il n'a vu que son enfant. Il l'a tenu longtemps dans ses bras lui parlant, lui souriant; il ne nous a pas ouvert la bouche, ni à sa mère ni à moi.
Ponson Du Terrail, Rocambole,t. 2, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 447. ♦ Faire parler quelqu'un. Synon. délier la langue de qqn : 57. Mais écoute : le vin, par toi-même versé, m'ouvre la bouche. Ainsi, puisque j'ai commencé, entends ce que peut-être il eût mieux valu taire. Excuse enfin ma langue, excuse ma prière; car du vin, tu le sais, la téméraire ardeur souvent à l'excès même enhardit la pudeur.
Chénier, Bucoliques,Le Mendiant, 1794, p. 208. ♦ RELIG. CATHOL. Ouvrir la bouche aux cardinaux. ,,Donner aux cardinaux la permission de parler dans le consistoire, ce qu'ils ne peuvent faire avant l'accomplissement de certaines cérémonies par lesquelles le pape leur concède cette faculté`` (Lar. 19e). Rem. 1. Attesté dans la majorité des dict. 2. V. également infra fermer la bouche à qqn. − Fermer, clore la bouche à (plus rarement de) qqn. Le faire taire en le décidant, en l'acculant ou en le contraignant au silence. P. ext. ou p. personnification. Fermer la bouche à quelque chose : 58. ... elle voulut protester, mais il lui ferma la bouche par un : − « C'est bien! » très sec, et il sortit...
Theuriet, La Maison des deux barbeaux,1879, p. 127. ♦ RELIG. CATHOL. Fermer la bouche à un cardinal. ,,Se dit du pape, qui met un doigt sur la bouche des cardinaux nouvellement élus, pour leur indiquer qu'il leur est interdit de prendre la parole dans le consistoire, jusqu'à ce qu'il leur ait ouvert la bouche par une autre cérémonie`` (Lar. 19e). Rem. 1. Attesté dans la majorité des dict. 2. Cf. un emploi métaph. ex. 50. ♦ Fam. Boucler la bouche de qqn; ferme ta grande bouche. P. ell., pop. Ta bouche! Ta bouche, bébé! Tais-toi! Synon. vulg. Ta boîte! Ta gueule! 59. − J'ai aussi quelque chose à dire. Mon expérience personnelle...
− Ferme ta grande bouche, Mac, fit quelqu'un, et laisse-le finir.
Green, Moïra,1950, p. 53. − Bouche close, bouche cousue (fam.). ♦ Bouche silencieuse : 60. ... la marche triomphale s'achevait en défilé entre des bouches cousues...
A. Arnoux, Roi d'un jour,1956, p. 365. ♦ Silence! Pas un mot à ce sujet! Avoir, demeurer, rester bouche close, (la) bouche cousue. Garder le silence, tenir une chose secrète. P. métaph. : 61. Lyon était devenu complice de sa vie, de son travail : la bouche cousue des maisons, le noir secours des traboules, l'absence d'élégance et de frivolité de ces grands murs lépreux, et ce qui se tisse de luxe derrière eux, ce qui s'y amasse de trésors, ce qui s'y trame à voix basse...
E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 76. ♦ Loc. adv. À bouche close. Intérieurement : 62. Et moi, je l'invective [la Carmencita] à bouche close...
Colette, L'Entrave,1913, p. 102. − Souvent péj. N'avoir qu'un mot, qu'une chose à, dans la bouche. Ne pas cesser d'employer un mot, faire continuellement référence à une chose, au point d'irriter son auditoire. Avoir souvent, toujours, à tout propos, un mot à, dans la bouche. N'avoir plus que l'injure à la bouche. − Mettre, placer (des mots, un discours, etc.) dans la bouche de qqn. Attribuer certains propos à quelqu'un ou faire dire par son truchement quelque chose qu'on ne peut dire soi-même : 63. ... Dieu qui se sert de tout pour accomplir ses desseins, et qui se plaît à employer de préférence les plus faibles instruments, a mis dans ma bouche je ne sais moi-même quelles paroles qu'il voulait vous faire entendre, ...
Lamennais, Lettres inédites ... à la baronne Cottu,1818, p. 2. − Prendre bouche avec qqn. Entrer en relation avec lui. Synon. prendre langue avec qqn. − Être suspendu à la bouche de qqn. L'écouter parler avec attention, admiration. Synon. plus courants : être suspendu aux lèvres de qqn, boire les paroles de qqn. − Enlever à qqn les mots de la bouche. Le précéder pour exprimer une idée que lui-même s'apprêtait à exprimer et avec les mêmes mots. − Arracher qqc. de la bouche de qqn. Décider, non sans difficulté, ou contraindre une personne qui s'y refuse, à parler. − Ne pouvoir tirer un mot de la bouche de qqn. Ne pas réussir à le faire parler. − Rester bouche bée. Rester muet de stupeur. Synon. rester la bouche ouverte (M.-G. Braun, Apôtres de la violence, Paris, Fleuve noir, 1962, p. 170). − Fam. Être fort en bouche. Parler avec beaucoup d'assurance et une hardiesse volontiers impudente. Rem. Rob. enregistre l'expr. donner de la bouche en renvoyant à crier, gueuler. − Dans la bouche de (qqn). ♦ Prononcé par, venant de, de la part de (telle personne) : 64. Toutes ces formules suffisamment vagues dans la bouche du général Eisenhower ne conviennent plus dans celle d'Eisenhower, homme politique...
Combat,19-20 janv. 1952, p. 4, col. 7. ♦ Selon les propres termes, selon l'appréciation de (telle personne) : 65. ... le petit peuple, dans votre bouche, c'est le peuple des échelons inférieurs à celui que vous occupez dans l'échelle de la société; vous, vous n'en êtes pas, ...
Toepffer, Nouvelles genevoises,1839, p. 184. ♦ Exprimé, exposé, dit par (telle personne) : 66. Tu n'as jamais jugé que selon la haine que tu décorais du nom de loi. Et même les meilleurs lois ont pris mauvais goût dans ta bouche, c'était la bouche aigre de ceux qui n'ont jamais rien aimé.
Camus, L'État de siège,1948, p. 256. − Par la bouche de (qqn). Par le truchement de (telle personne). Synon. par la voix de.Parler, dire qqc. par la bouche de (qqn). − De bouche en bouche. Transmis oralement, d'une personne à une autre. Mots, paroles, nouvelles... qui passent, volent, circulent, vont, courent... de bouche en bouche. ♦ [Dans le même sens] Être dans, sur toutes les bouches. Être le sujet conversation de tout le monde; être public, célèbre. Synon. être sur toutes les lèvres. − De bouche à oreille. Oralement et en confidence : 67. ... et cette science venait d'où dans les îles de la mer d'Irlande (...) sinon de ces femmes folles de religion qui se la transmettaient oralement, de bouche à oreille, comme un grand secret venu de la mer.
Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 363. ♦ Néol. d'aut. Le bouche à oreille : 68. ... je l'entendais ... le joyeux bouche à oreille du canton : « Vous savez? ... La mère après la fille et peut-être en même temps... Comme famille tuyau de poêle, on ne fait pas mieux! »
H. Bazin, Qui j'ose aimer,1956, p. 204. − Bouche à bouche. Oralement et sans intermédiaire, en face. Parler, répondre à qqn bouche à bouche : 69. « Je n'obéirai pas, dit-il, au commandement du roi; mais je vais promptement à Paris avec toute ma puissance, et pour lors je lui répondrai bouche à bouche ». Cependant, mieux avisé, il fit écrire une réponse à tous les articles des instructions du sire de Canny, la lui remit, et lui recommanda de ne la rendre qu'aux mains du roi.
Barante, Hist. des ducs de Bourgogne,t. 4, 1821-24, p. 134. − Vieilli. De bouche. Verbalement : 70. « On vous a écrit, aux environs du 1erdécembre, une lettre de congé, par laquelle on vous priait de vous tenir chez vous? » (silence; grand étonnement!) « C'est moi qui l'ai libellée; je l'ai dit ensuite à Sara; elle m'en a remercié de bouche, et... par écrit. Voilà son billet ».
Restif de La Bretonne, M. Nicolas,1796, p. 222. − À pleine bouche. ♦ Dire qqc., crier, chanter, sacrer à pleine bouche. Dire quelque chose, crier, chanter, sacrer avec force, conviction : 71. Et il jurait, tout le long des marées, cassait sa pipe entre ses dents, bourrait son équipage; et, ayant sacré à pleine bouche avec tous les termes usités et contre tout ce qu'il connaissait, il expectorait ce qui lui restait de colère au ventre sur les poissons et les homards tirés un à un des filets, ...
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Le Noyé, 1888, p. 1152. ♦ Vx, rare. Dire qqc. à pleine bouche. Le dire ouvertement : 72. L'Allemagne nous dit à pleine bouche qu'ayant tout dépassé et tout épuisé d'un Occident émasculé, elle veut se mettre à l'école de l'Asie.
Barrès, Une Enquête aux pays du Levant,t. 1, 1923, p. 210. − À bouche que veux-tu. Avec abondance : 73. Le capitaine Sommerive partit une heure avant l'aurore en sacrant à bouche que veux-tu.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Le Mal d'André, 1883, p. 385. Rem. La loc. à pleine bouche se rencontre avec le même sens : 74. Avais l'intérêt de me faire écouter de ces yeux violettes des bois perlées de rosée qui ont de si belles épaules. Dit des faussetés à pleine bouche, ...
Barbey d'Aurevilly, 2eMemorandum,1839, p. 369. − [P. allus. à saint Jean Chrysostome] C'est un saint Jean bouche d'or. (C'est) une personne qui s'exprime avec éloquence ou qui parle franc et net. ♦ Bouche d'or. Bouche d'où ne sortent que de belles, de bonnes, de sages paroles. Parler comme une bouche d'or. P. méton. [Pour désigner un poète] :
75. Avec une angoisse toute nouvelle, elle regardait la belle bouche de Suzanne, cette belle bouche d'or qui formait tant de paroles harmonieuses, ...
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne et les jeunes hommes, 1941, p. 294. d) [En opposition paradigmatique] − [De nature anton., avec cœur (allié parfois à esprit, âme) dans le cadre de comparaisons − se ramenant le plus souvent à une opposition − entre les paroles prononcées par le locuteur et ses pensées, ses sentiments réels] :
76. ... janséniste d'esprit et de cœur, catholique de bouche, disent les uns. Janséniste de bouche, reprennent les autres, catholique d'esprit et de cœur. Pauvre Nicole, pris entre deux feux également meurtriers!
Brémond, Hist. littér. du sentiment relig. en France, t. 4, 1920, p. 446. Rem. Un certain nombre de dict. enregistrent, dans le même ordre d'idées, le proverbe : Il dit cela de bouche, mais le cœur n'y touche. ,,Il parle contre sa pensée`` (Ac. 1878), et les expr. : ,,Son cœur n'était point d'accord avec sa bouche`` (Ac. 1835-1932). Avoir le cœur sur, à la bouche. ,,Parler comme on pense`` (Littré). − [De nature anton., avec âme, opposant la parole − moyen d'une communication superficielle − à l'âme − moyen de la communication profonde] :
77. L'œil humide de joie, au banquet elle oublie et les mets et la table, et se nourrit en paix du plaisir de vous voir, de contempler vos traits. Sa bouche ne dit rien, mais ses yeux, mais son âme vous parlent; ...
Chénier, Élégies,1794, p. 127. 78. ... ils marchaient, s'arrêtaient, parlaient, s'interrompaient, et, pendant les silences, leurs bouches se taisant, leurs âmes chuchotaient.
Hugo, Les Contemplations,t. 2, 1856, p. 57. Rem. Lar. 19eet Nouv. Lar. ill. signalent le proverbe Qui garde sa bouche garde son âme (« ... traduction de ces paroles de Salomon : ... il faut veiller soigneusement sur ses paroles ») où bouche et âme se trouvent en rapport synon. cette fois. − [De nature anton., avec tête, opposant la parole à la pensée] :
79. M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une petite ville où il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu de têtes qui pensent.
Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 9. − [De nature synon., avec main, la bouche et la main étant deux des moyens d'expression du commandement] :
80. Si dans le rang où le destin remet votre Robert, ou ma bouche ou ma main commandait quelque acte oppresseur, (il remet son poignard à Forban) prenez ce fer, frappez; ...
La Martelière, Robert, chef de brigands,1793, V, 9, p. 72. C.− [La bouche en tant que siège de troubles psychosomatiques] :
81. ... le réveil de M. Jérôme désengourdissait la maison. C'était l'heure de ses yeux gonflés, de sa bouche amère où sa conception du monde atteignait au plus sombre.
Mauriac, Le Baiser au lépreux,1922, p. 153. 82. La sainte racontait ce jour de Pâques où, à l'instant même où ses lèvres avaient reçu l'hostie, elle sentit son cœur livré à l'appel de la mort et où ce goût de cendres et de néant, emplissant sa bouche, lui laissa l'affreux souvenir du plomb.
Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire?1934, pp. 502-503. 83. ... quelle que soit la voie que je doive suivre, je ne peux pas comme vous aller à la vie avec tout moi-même; au moment où j'existe avec le plus d'intensité, j'ai encore le goût du néant dans la bouche!
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 275. III.− [En parlant des animaux] A.− Cour. Cavité buccale des animaux montés ou attelés, des grenouilles, de certains poissons : 84. C'était la foire, et le sommeil troublé par des meuglements, des hennissements coupés court comme si le paysan étouffait de ses mains la bouche du cheval ou du bœuf, ...
Giraudoux, Suzanne et le Pacifique,1921, p. 23. Rem. Ne se dit pas, dans la lang. cour., de la cavité buccale des animaux pour laquelle l'usage a imposé un autre terme, bec pour les oiseaux, gueule pour la plupart des carnassiers. − Spéc. [La bouche du cheval par rapport à l'action du mors] Assurer la bouche d'un cheval. ,,L'accoutumer à endurer le mors`` (Lar. 20e). Cheval qui a une bonne bouche, une bouche ,,qui reçoit du mors une impression modérée`` (Lar. 20e), la bouche sensible ou tendre, une bouche ,,qui souffre trop de l'action du mors`` (Lar. 20e), la bouche dure ou forte, une bouche qui n'est pas suffisamment sensible à l'action du mors. Égarer la bouche d'un cheval. ,,En diminuer la sensibilité par brutalité`` (Lar. 20e). Cheval qui n'a pas de bouche, ,,qui ne sent pas le mors`` (Lar. 20e). Être fort en bouche. ,,Ne point obéir au mors`` (Lar. 20e). B.− Dans le lang. sc. [En parlant de tout organisme animal] Orifice antérieur − ou unique − du canal alimentaire : 85. Leur bouche est un bec revêtu de corne, sans lèvres, ni dents, ni gencives, dont les deux mandibules sont mobiles.
Cuvier, Leçons d'anat. comp.,t. 1, 1805, p. 69. IV.− P. anal. Orifice d'une cavité, d'un objet creux, ouverture à l'air libre d'un lieu (en particulier lorsque l'orifice, l'ouverture sert à l'entrée ou à la sortie de quelque chose) : 86. En de plus hauts parages cherchons-nous mémoire? ... ou s'il nous faut chanter l'oubli aux bibles d'or des basses feuillaisons? ... Nos fièvres peintes aux tulipiers du songe, la taie sur l'œil des pièces d'eau et la pierre roulée sur la bouche des puits, voilà-t-il pas beaux thèmes à reprendre, comme roses anciennes aux mains de l'invalide de guerre? ...
Saint-John Perse, Exil,1942, pp. 247-248. SYNT. La bouche d'une jarre, d'un pot, d'un four, d'une fontaine, d'un abri, d'une galerie, d'un tunnel, d'une caverne, d'un gouffre, d'un volcan (bouche volcanique); la (les) bouche(s) d'une mine. A.− ARTILL. Orifice de l'âme d'une pièce d'artillerie et, p. ext., du canon d'une arme à feu. La bouche d'un canon, d'un mortier; la bouche d'un pistolet, d'un browning, d'un hammerless; chargement par la bouche; onde de bouche; se charger par la bouche. − P. méton. Bouche à feu. Pièce d'artillerie. ♦ Poét. Bouche d'airain, bouche de cuivre : 87. Gustave au désespoir veut affronter le sort.
Vainement contre vous ce désespoir le guide,
Il n'obtient pour les siens qu'une mort plus rapide,
Et cent bouches d'airain sur ses pâles soldats
Du haut de votre camp vomissent le trépas.
Constant, Wallstein,1890, I, 6, p. 31. B.− BÂT. et TRAV. PUBL. − Bouche de chaleur. ♦ Ouverture ménagée dans un appareil de chauffage (poêle, calorifère, cheminée) pour livrer passage à l'air chaud. ♦ Bouche de chaleur ou bouche d'air. Ouverture ménagée dans un mur ou un plancher pour permettre la diffusion, dans un local, de l'air chaud provenant d'une chaufferie. ♦ Bouche d'eau (plus rarement : à eau), bouche d'arrosage, bouche d'incendie. Robinet de prise d'eau prévu sur une canalisation de la ville, se trouvant en bordure de la voie publique ou dans un jardin et auquel peut s'adapter une lance à incendie ou un tuyau d'arrosage. ♦ Bouche d'égout. Orifice d'un regard d'égout permettant de le visiter et de le nettoyer; ouverture ménagée en bordure des trottoirs pour la réception des eaux des canivaux. ♦ Bouche de, du métro. Ouverture permettant aux voyageurs d'accéder aux couloirs souterrains ou d'en sortir. C.− CHASSE. Bouche de terrier. Entrée, à un ou plusieurs orifices d'un terrier. D.− GÉOGR. [En parlant d'un cours d'eau, en partic. d'un fleuve] Synon. de embouchure.La bouche d'un fleuve, d'une rivière, d'une source. − Au plur. Embouchure à plusieurs bras d'un fleuve. Les bouches du Rhône, du Rhin : 88. ... la fleur des Cavaliers
Pénétra jusqu'au fond des bois de Côte-Riche
...
Et vers l'Est atteignit, malgré de grands naufrages,
Les bords où l'Orénoque, enflé par les orages,
Inondant de sa vase un immense horizon,
Sous le fiévreux éclat d'un ciel lourd de poison,
Se jette dans la mer par ses cinquante bouches.
Heredia, Les Trophées,1893, p. 175. − Au sing. ou au plur. Entrée, simple ou multiple, d'un golfe ou d'un détroit. La bouche du golfe de Venise (Lar. 19e-20e), les bouches de Bonifacio (Lar. 19e, Lar. Lang. fr.), les bouches du Cattaro. E.− MUSIQUE − Instruments à bouche. Instruments à vent qui ,,résonnent par l'action d'un courant d'air se brisant sur le bord tranchant d'une petite ouverture circulaire ou longitudinale appelée bouche`` (Gevaert, Traité d'instrumentation, 1885, p. 5). Flûte à bouche latérale, à bouche biseautée. − Jeux à bouche. Jeux de l'orgue ,,ainsi nommés d'après le mode de construction de leurs tuyaux, qui parlent à l'aide d'une bouche formée d'une lèvre supérieure faisant biseau, contre laquelle le vent vient se heurter, et d'une lèvre inférieure qui lui livre passage et le conduit du pied du tuyau à son extrêmité supérieure`` (M. Brenet, Dict. pratique et hist. de la mus., 1926, p. 216). Orgue à bouche; bouche d'un tuyau d'orgue; tuyau d'orgue à deux bouches. Rem. On rencontre dans la docum, le composé bouche-béer, néol. d'aut. Demeurer, rester (la) bouche bée. [Devant l'habit d'Arlequin qu'est son habit de philosophe] Laisse aboyer les sycophantes Et bouche-béer les badauds (J. Richepin, Mes Paradis, 1894, p. 47). PRONONC. : [buʃ]. Enq. : /buʃ/. ÉTYMOL. ET HIST.
I.− Bouche 1. a) ca 1040 buce « cavité buccale chez l'homme et certains animaux » (Alexis, éd. Chr. Storey, strophe 97a); b) 1660 « personne à nourrir » (Oudin Fr.-Esp.); 2. a) ca 1150 boche « ouverture quelconque » (Hist. Joseph, 1318 dans T.-L.); b) fin xiies. spéc. boche « embouchure d'un fleuve » (Thomas, Tristan, 2645, ibid.).
II.− Boubouche 1889 (Verlaine, L'Impénitent, Parallèlement, Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, 1962, p. 511).
I du lat. class. bŭcca « joue », le plus souvent au plur., dep. Plaute (TLL s.v., 2225, 61) puis p. ext. « bouche » dans le lang. fam., dep. Caton (ibid., 2226, 21). À rapprocher de 2 a : ixe-xes., Anonymorum geometriae, I, 3, 20 dans Mittellat. W. s.v., 1599, 38 : super buccam putei; et de 2 b : 1027, Vernier, Chartes de Jumièges, I, p. 39, no12 dans Nierm. : buca vivarii. La substitution du lat. bucca à os dans les lang. rom. est due à l'expressivité du mot (cf. a. fr. bec « bouche ») plutôt qu'à l'homonymie (os « visage » ayant disparu dès l'époque préromane et os, ossis « os » ayant été remplacé par ossum dès le iiies.) ou au monosyllabisme (v. Renson, p. 663). II est formé sur bouche par réduplication de la 1resyll. À rapprocher du pic. (St-Pol-sur-Ternoise) bubuk « bouche des enfants » (FEW t. 1, p. 584b, s.v. bucca). STAT. − Fréq. abs. littér. : 13 390. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 14 785, b) 19 187; xxes. : a) 24 533, b) 19 293. DÉR. Bouchelle, subst. fém. pêche.,,Entrée par laquelle le poisson engagé dans une bordigue pénètre dans une des tours, lorsqu'il veut revenir en arrière`` (DG). Également attesté dans la plupart des dict. gén. du xixes. et dans Quillet 1965.− Dernière transcr. dans DG : bou-chèl. − 1resattest. a) 1619 « engin à pêcher » (Chartes de Hainaut, CXXXIV, 8 dans Nouv. coutumier gén., II, 150), attest. isolée; b) 1771 « entrée par laquelle le poisson pénètre dans une des tours de la bordigue » (J. J. Schmidlin, Catholicon cité par Behrens dans Z. fr. Spr. Lit., t. 23, p. 16); dér. de bouche, suff. -elle* (v. bouchot). BBG. − Canart (P.). Homonymics : French walloon and chinese. AUMLA. 1954, no2, p. 34. − Darm. Vie 1932, p. 51, 164. − Ernout (A.). Les N. des part. du corps en lat. In : Philologica. 2. Paris, 1957, p. 62, 64. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 111. − Quem. 2es. t. 3 1972, p. 24. − Richter (E.). Etymologisches Boche. Z. fr. Spr. Lit. 1919, t. 45, p. 129. − Rog. 1965, p. 22. − Tournemille (J.). Au jardin des loc. fr. Vie Lang. 1964, p. 713. |