| BOIRE1, verbe trans. et subst. masc. I.− Verbe trans. A.− [Le suj. désigne une pers. ou, pour certains emplois, un animal] Avaler un liquide. 1. [Le compl. dir. est exprimé] Boire de l'eau, un verre; le matin, il prend de la viande et boit du vin (Renard, Journal,1900, p. 594): 1. Donc, nous allons boire le coup du départ. C'est émouvant, le coup du départ. On quitte sa famille, ses amis, ses clients. On part pour les mers inconnues d'où l'on est presque sûr de ne pas revenir. Alors on prend son verre d'une main qui ne tremble pas. On boit le dernier coup sur la terre ferme... le coup du départ... C'est émotionnant... à votre santé...
Pagnol, Marius,1931, IV, 3, p. 214. ♦ Boire une somme d'argent. La dépenser en boissons : 2. Un des traits dominants du caractère de l'indigène est son absence de « réserve ». Le peu qu'il a, il le dépense aussitôt, le boit, le mange ou le joue.
Gide, Le Retour du Tchad,1928, p. 924. − Fam. Boire la tasse, boire un bouillon. Avaler de l'eau en quantité plus ou moins grande au cours d'un bain de mer. P. euphémisme. Boire à la grande tasse. Se noyer dans la mer. − [Avec un suj. désignant une boisson] Emploi pronom. à valeur passive. Se boire. a) Être bu (habituellement). Tisane qui se boit chaude, qui se boit froide; vin qui se boit au dessert (Besch. 1845). b) Pouvoir être bu. ... cela ne valait pas le vin du Rhin, mais cela se buvait et tout le monde avait soif (P. Féval dansGuérin1892). 2. Emploi abs. a) [Le compl. non exprimé peut désigner toute espèce de boissons] :
3. À l'encontre des hommes qui buvaient par lampées dans des tasses de faïence grossière d'un blanc crayeux, cru, et parfois aussi dans des bols qu'ils voulaient servis à la rasade, quelle qu'en fût la grandeur, la jeune femme aimait boire à petites gorgées, dans une tasse de fantaisie qu'elle n'emplissait jamais jusqu'au bord.
G. Guèvremont, Le Survenant,1945, p. 12. SYNT. Boire chaud, frais; boire à la régalade, à longs traits; boire à sa soif, boire tout son soûl; boire dans un verre, boire à la fontaine; faire boire qqn; mener boire un animal; donner, servir, verser à boire. Interj. à boire! b) Spéc. Boire du vin ou des boissons alcoolisées. En partic. avoir coutume d'en boire avec excès, être alcoolique. ... le bonhomme Grandgousier, (...), bon gaillard en son temps, aimant à boire sec et à manger salé (Sainte-Beuve, Tabl. hist. et crit. de la poésie fr. et du théâtre fr. au XVIes.,1828, p. 269). − Emploi passif, pop. Il est bu. Il est ivre. (Attesté dans Thomas 1956, Lar. encyclop., Colin 1971) : 4. Ceux que l'on rencontrait maintenant étaient trop « bus », pour que l'on pût penser encore à discuter (...) On tâchait seulement de les asseoir par terre, sans trop les abîmer : un soulard, c'est sacré!
R. Rolland, Colas Breugnon,1919, p. 226. c) Locutions − Chansons, airs à boire. Chansons que l'on chante à la fin d'un repas et dans lesquelles on célèbre le vin. ... un pot-pourri de bribes de chorals, de « lieder » sentimentaux, de marches belliqueuses et de chansons à boire (R. Rolland, Jean-Christophe,L'Aube, 1904, p. 50. − Boire à la santé de qqn, boire à qqn, à qqc. : 5. ... chaque fois les dîneurs, levant leurs verres, buvaient à sa santé.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Bécasse, 1882, p. 5. − Vieilli ♦ Après boire. Après avoir bu. Rem. Encore attesté au xxes. par DG, Ac. 1932 et Rob. ♦ Donner pour boire. Donner une gratification à un travailleur salarié. Je promets pour boire au cocher (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 1, 1848, p. 385). Rem. Cette loc. encore usitée au xixes. n'apparaît plus auj. que sous sa forme substantivée : un pourboire. d) Proverbes et loc. proverbiales (gén. péj.) ♦ Le vin est tiré, il faut le boire. Il faut poursuivre une affaire dans laquelle on s'est trop engagé pour pouvoir reculer. On ne saurait faire boire un âne s'il n'a pas soif. On ne peut forcer une personne entêtée à faire ce qu'elle n'a pas envie de faire. Qui a bu boira. On ne se corrige jamais de certains défauts. ♦ C'est la mer à boire (fam.). C'est une entreprise qui présente des difficultés insurmontables. Rem. Plus souvent à la forme négative : Ce n'est pas la mer à boire. ♦ Il y a à boire et à manger (fam.). C'est une chose qui présente divers aspects contradictoires, de bons et de mauvais côtés. − MAN. Cheval qui boit dans son blanc. Cheval qui a le nez blanc, le reste du corps étant d'une autre couleur. 3. P. anal. [Le suj. désigne un corps perméable ou poreux] Absorber un liquide; se laisser pénétrer, imprégner par lui : 6. ... j'arrête ici cette lettre, griffonnée, comme vous le pouvez voir, sur je ne sais quel papyrus égyptien plus poreux et plus altéré qu'une éponge. Voici un supplice que j'enregistre parmi ceux que je ne souhaite pas à mes pires ennemis : écrire avec une plume qui crache sur du papier qui boit.
Hugo, Le Rhin,1842, p. 378. ♦ Boire la lumière : 7. Les pigeons de Jenny voletaient perpétuellement sur la pente des toits de tuiles, et les murs étaient restés enduits d'un vieux crépi rose vif qui buvait la lumière comme un badigeon italien.
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Belle saison, 1923, p. 952. − COUT. Faire boire une étoffe. La coudre de manière lâche. Faire boire un ourlet, un surjet. ♦ P. anal., vocab. de la mar. Faire boire la ralingue, la voile. B.− Au fig., littér. dans la plupart de ses emplois [Le suj. désigne gén. une pers.] 1. Recevoir un bien d'ordre physique, moral ou intellectuel et en jouir ou en tirer parti intensément. C'est à la vraie source de sa vie que son âme va boire (Massis, Jugements,1923, p. 240): 8. L'œil! Songez à lui! L'œil! Il boit la vie apparente pour en nourrir la pensée. Il boit le monde, la couleur, le mouvement, les livres, les tableaux, tout ce qui est beau et tout ce qui est laid, et il en fait des idées.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Un Cas de divorce, 1886, p. 1068. SYNT. Boire l'oubli, boire (à) la coupe des plaisirs, boire le bonheur à longs traits; boire à pleine bible (Gide, Si le grain ne meurt, 1924, p. 499); boire le sommeil (Romains, Les Hommes de bonne volonté, La Douceur de la vie, 1939, p. 49). ♦ Boire qqn du regard, des yeux. Le regarder intensément : 9. Peut-être eût-il été sage aussi d'amollir cette tension du regard, la fixité dont il buvait ses gestes, et de ne pas croire suffisante la discrétion qu'il mettait à maintenir ses ardents yeux tristes, le plus souvent possible au-dessous des siens.
Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 197. ♦ Boire les paroles de qqn. Les écouter avec passion ou avec une admiration sans réserve, les savourer, s'en délecter : 10. Je buvais ses paroles; elles ne dérangeaient pas mon univers, elles n'entraînaient aucune contestation de moi-même, et pourtant elles rendaient à mes oreilles un son absolument neuf.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 180. ♦ Boire du lait (fam.). Voir ou entendre quelque chose avec un plaisir extrême. ♦ Péj. Boire la sueur de qqn. Tirer injustement profit de son travail, l'exploiter : 11. C'était l'heure où le vieux coquin accusait les riches de boire la sueur du peuple. Il avait des emportements superbes contre ces messieurs de la ville neuve, qui vivaient dans la paresse et se faisaient entretenir par le pauvre monde.
Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 143. 2. Surmonter une difficulté. − MAN. Cheval qui boit l'obstacle. Qui le franchit très facilement. 3. Supporter quelque chose de pénible, d'humiliant. Boire l'amertume, un affront, la honte : 12. ...
Avec, pour vivre, un seul moyen
Boire son mal, taire sa rage;
Les pieds usés, le cœur moisi,
Les gens d'ici,
Quittant leur gîte et leur pays,
S'en vont, ce soir, par les routes, à l'infini.
Verhaeren, Les Campagnes hallucinées,1893, p. 90. − [P. réf. à la mort de Socrate] Boire la ciguë. Subir une peine, un malheur généralement causé par la malveillance d'autrui : 13. Mais toi, tout de suite, celui que tu aimes ou qui t'aime, tu le transformes en esclave, et s'il n'assume point les charges de cet esclavage tu le condamnes. Alors l'autre, parce qu'un ami lui faisait cadeau de son amour, a changé ce cadeau en devoirs. Et don de l'amour devenait devoir de boire la ciguë et esclavage. L'ami n'aimait point la ciguë.
Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 641. − [P. réf. à la passion du Christ] Boire le calice jusqu'à la lie. Endurer une souffrance jusqu'au bout : 14. ... accumulez outrage sur outrage, ne vous gênez pas, Monsieur, je vous connais, rien ne m'étonnera, je suis résignée à tout, j'accomplirai mon devoir jusqu'au bout, je boirai le calice jusqu'à la lie, jusqu'à la mort.
Flaubert, La 1reÉducation sentimentale,1845, p. 129. − Littér. (Avoir) toute honte bue. Être inaccessible à la honte pour en avoir connu toutes les formes. − Fam. Boire un bouillon. Échouer dans une entreprise; subir une perte. Rem. On rencontre dans la docum. le composé boit-sans-soif, subst. masc. (D. Poulot, Le Sublime ou le Travailleur comme il est en 1870 et ce qu'il peut être, 1872, p. 92). Mot attesté également dans Rob. Suppl. 1970. II.− Emploi subst. masc. (au sing. seulement, et précédé de l'art. déf.). Action de boire; ce que l'on boit. ... le buveur ne regarde guère que le boire (Valéry, Eupalinos ou l'Architecte,1923, p. 108): 15. Nous aimons ces changements, ces triomphes de l'animalité au retour de la chasse, ces coups de fouet de fatigue, cette griserie des fonctions physiques, où le boire, le manger, le dormir deviennent comme des félicités divines de bêtes.
E. et J. de Goncourt, Journal,1867, p. 391. − Loc. fig. En oublier, en perdre le boire et le manger. Être accaparé tout entier par une préoccupation, un souci, une passion. Je sens que je vais en rêver, de ce Courbet. Je sens (...) que je vais en perdre le boire et le manger (G. Duhamel, Chronique des Pasquier,La Nuit de la Saint-Jean, 1935, p. 26). Prononc. : [bwa:ʀ]. (je) bois [bwa] (Barbeau-Rodhe 1930 [bwa]). Enq. : /bwa/ (il) boit. Étymol. ET HIST. − A.− Verbe. 1. xes. « absorber un liquide quelconque (ici un poison) » (Passion, éd. D'Avalle, 461); xiies. cont. relig. (Eucharistie) (Li Epistle Saint Bernard a Mont Deu, ms. Verdun 72, fo58 rodans Gdf. Compl.); ca 1200 fig. (Roman de Renart, éd. M. Roques, 9674); 2. 1180-1185 « prendre des boissons alcoolisées » (Huon de Rotelande, Ipomedon, 4577, dans Gdf. Compl.); 3. 1550 p. anal. « absorber en parlant d'un corps poreux » (Ronsard, Odes, IV, 31 dans Hug.). B.− Subst. xes. bewre (St Léger, 200 dans A. Henry, Chrestomathie, p. 12); 1160 beivre (Wace, Rou, éd. Andresen, III, 9637 dans T.-L.); début xiiies. boire (Amadas et Ydoine, 553, ibid.).
A du lat. bibere attesté aux sens propre et fig. dep. Plaute (TLL s.v., 1959). La voyelle rad. [œ] des formes faibles s'est peu à peu fermée en [ü], beuvons est encore empl. à côté de buvons par Ramus 1562 (Fouché, p. 429), l'inf. a.fr. beivre, boivre est devenu boire d'apr. croire, verbe dont l'ind. prés. 3 croit a été rapproché de boit. B substantivation de A. STAT. − Fréq. abs. littér. : 10 787. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 11 595, b) 18 377; xxes. : a) 18 475, b) 15 025. BBG. − Boire ... Déboire. Vie Lang. 1962, p. 292. − L. (J.). Boire un bouillon. Vie Lang. 1955, p. 96. − Martin (E.). Explication de la signif. et de la constr. de : avoir ses hontes bues. Courrier (Le) de Vaugelas. 1878, p. 172. − Sain. Lang. par. 1920, p. 428. |