| BLOQUER1, verbe trans. A.− [Correspond à bloc1] Réunir en bloc, mettre ensemble : 1. Debout près d'une sorte de gérant, le garçon chauve, bon liquidateur, institua un compte rapide, bloquant les deux notes, pour plus de sûreté dans le recouvrement :
− Ce monsieur et vous deux, avez consommé quarante-quatre francs vingt-cinq.
Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 327. − Au fig. Grouper : 2. Moi qui ai fait, et jusque dans les zones les plus profanes, la part si immense à l'influx de grâce, voici que dans l'événement capital de ma vie je me refuse à lui en accorder aucune. Le paradoxe est si fort, si monstrueux que j'imagine que cela ne peut être que parce que, en ce paradoxe seul, sont bloquées en faisceaux toutes mes autres résistances, ...
Du Bos, Journal,1927, p. 240. − P. ext. [Bloquer est suivi d'un compl. déterminatif souvent introd. par sur] Réunir en un point. Synon. concentrer : 3. Contre l'élan qui soulevait Raboliot, Bourrel bloquait son vouloir et sa force, ses rancunes amoncelées, son uniforme, ses tribunaux et sa prison.
Genevoix, Raboliot,1925, p. 316. 4. ... il est obligé de bloquer toutes ses objections concernant mon livre sur le seul thème pédérastique...
Du Bos, Journal,1928, p. 169. − Spécialement 1. ARTILL. Bloquer la culasse (cf. Dorgelès, Les Croix de bois, 1919, p. 277). 2. IMPRIMERIE a) ,,Mettre à dessein, dans une composition typographique, une lettre renversée ou retournée à la place de celle qui devrait y être, mais qui manque dans la casse`` (Éd. 1913). b) ,,Remplacer un article, un titre ou un cliché qui ne sont pas encore prêts, par un bloc de plomb de mêmes dimensions pour pouvoir continuer à monter la page`` (Voyenne 1967). 3. MAÇONN. ,,Maçonner ou remplir en blocage`` (Barb.-Cad. 1963). Mettre en guise de blocage. B.− [Correspond à bloc2] Arrêter, immobiliser. 1. Serrer à bloc, ne pas laisser de jeu. Bloquer une pièce (R. Champly, Nouv. encyclop. pratique,t. 2, 1927, p. 209). − Spéc. Bloquer les freins ou absol. bloquer. Synon. freiner à fond : 5. J'accélère à fond, j'embraye, je braye, je débraye, je vire au frein, je bloque, je lâche tout et je passe de justesse.
Aymé, Travelingue,1941, p. 214. ♦ P. ext. Bloquer un attelage : 6. Le conducteur de la voiture bloqua les deux mules d'un coup de rênes.
Giono, Le Grand troupeau,1931, p. 101. 2. P. ext. et fig. a) Barrer, boucher, obstruer. − Bloquer la route, un carrefour. Empêcher la circulation dans/sur : 7. Les chantiers du métro, qui se dressaient un peu partout comme des forteresses de terre glaise et de planches, armées d'une artillerie de grues, achevaient d'étrangler les rues, de bloquer les carrefours.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre 1932, p. 30. − Bloquer la bouche de qqn. La fermer (afin d'empêcher les cris, etc.). [En parlant de l'émotion, etc.] Bloquer la gorge. Étrangler, nouer la gorge (de sorte qu'aucun son ne peut plus en sortir) l' émotion lui bloqua la gorge, (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 295). b) Arrêter, immobiliser. − [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose concr. (un mécanisme, un organe, etc.) ou abstr.] Entraver la marche, le bon fonctionnement de : 8. Le premier choc, impossible à prévoir, ni à parer, de telle pensée tout à coup surgie, en apparence inoffensive, mais qui ne quittait plus le champ de la conscience, refusait de passer, arrêtait net le déroulement des idées et des images, ainsi qu'un corps étranger bloque un rouage délicat...
Bernanos, L'Imposture,1927, p. 452. 9. L'arrêt se prolonge. La colonne paraît sérieusement bloquée. Même les trains d'artillerie, sur la gauche, sont immobilisés.
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 750. ♦ MÉD. Bloquer le cœur (cf. J. Godlewski [F. Widal, P.-J. Teissier, G.-H. Roger, Nouv. traité de méd., fasc. 8, 1920-24, p. 366]). ♦ Spéc. Bloquer le crédit. En empêcher la libre disposition. Bloquer les salaires, les prix. En empêcher l'augmentation : 10. ... bloquer à la fois les avoirs, les billets, les salaires et les prix, ce serait faire sauter la chaudière. Cela impliquerait d'écrasantes contraintes, dont on voit mal comment les supporterait des secousses sociales incompatibles avec la nécessité de ranimer la production et de réparer les ruines; ...
De Gaulle, Mémoires de guerre,L'Unité, 1956, p. 180. − Fam., SP. (boxe). [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers.] Empêcher de se mouvoir. Bloquer qqn à terre (Céline, Mort à crédit,1936, p. 528): 11. ... ayant esquivé les coups de l'adversaire, il le bloque et le travaille de près...
Sports, boxe,1926. ♦ Spéc., PSYCHOL. Bloquer sa vie ou sa pensée sur un point. Arrêter l'épanouissement de sa vie ou de sa pensée en la concentrant sur un seul point à l'exclusion de tout autre : 12. L'égocentrisme bloque la vie du moi sur l'image du moi, une image figée, déjà morte, privée de la mise en perspective continuelle qu'opèrent le contact d'autrui et la référence aux valeurs supérieures; nous ne pouvons nous empêcher d'être sourdement irrités par cette immobilisation contrainte, ...
Mounier, Traité du caractère,1946, p. 688. c) Emplois techn. − CHASSE. [En parlant du chien de chasse] Fixer, fasciner le gibier jusqu'à ce que le chasseur soit en position pour le tirer à l'envol ou au démarrage (d'apr. Burn. 1970). ♦ Cour., fam. [En parlant du chasseur] Arrêter le gibier dans sa fuite d'un coup de fusil : 13. C'était de ce côté que les lapins étaient le plus nombreux; vers les broussailles de la lisière, ils traînaient des fuites gauches, risquaient d'infirmes évasions. Les plombs de Raboliot les bloquaient presque tous, ...
Genevoix, Raboliot,1925, p. 256. − CH. DE FER. Bloquer un train. ,,L'arrêter au moyen de signaux, l'empêcher de continuer sa route`` (Ac. 1932). Bloquer la voie, une section (Ch. Bricka, Cours de chemins de fer,t. 2, 1894, p. 177). − CHIM. (Cf. M. Bariéty, Ch. Coury, Hist. de la méd., 1963, p. 752 et Hist. gén. des sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 746). − JEUX, absol. : 14. J'ai compris que t'en avais dans l'aile et j'ai bloqué à deux cent mille, sans quoi tu lui rabattais encore cent billets.
Aymé, La Tête des autres,1952, p. 150. ♦ Billard. ,,Pousser droit une bille dans une des blouses`` (Mots rares 1965). Bloquer la boule (Montherlant, Les Olympiques,1924, p. 242). − SP. Bloquer le ballon, une passe; bloquer un coup, une attaque (boxe) : 15. Peyrony se lève, comme mû par un ressort, et s'élance. Il arrête le ballon dans la cavité du ventre rentré, tout le corps se creusant pour envelopper, maîtriser l'objet. Puis il le bloque avec la semelle, dans l'attitude de David posant un pied sur la tête de Goliath.
Montherlant, Les Olympiques,1924, p. 292. ♦ Absol. Bloquer pour bloquer le ballon. Bloquer au corps (A.-O. Grubb, French sports neologisms,1937, p. 20). ♦ P. ext., fam. Arrêter dans sa trajectoire un objet quelconque : 16. Elle [la Méhoule] trébucha sur un escabeau et, en s'écroulant, eut la vision de Finocle qui traversait la cuisine en trois enjambées, bloquait avec une incroyable précision la bouteille et le soulier, au milieu de leurs funestes trajectoires.
Aymé, La Rue sans nom,1930, p. 30. d) Emploi pronom. Se bloquer.Synon. s'arrêter, s'immobiliser (sur/contre), se coincer : 17. La femme lâcha la bouteille qui roula sur le plancher avec un bruit boiteux sans toutefois se fêler, buta contre un pied de table, s'y bloqua et se tut.
A. Arnoux, Roi d'un jour,1956, p. 48. − P. compar. et p. métaph. : 18. ... on eût juré que Jacques, tout à coup, éprouvait le besoin d'expulser de lui quelque harassant secret; sa bouche remuait, il semblait au bord même de l'aveu; puis, soudain, comme si les paroles se bloquaient dans sa gorge, il stoppait net.
R. Martin du Gard, Les Thibault,La Sorellina, 1928, p. 1226. 19. Je me demande même si l'énorme machine militaire ne se bloquera pas dès les premiers tours de roue.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, p. 114. − [En parlant d'un cheval] :
20. ... devant la rivière, elle refusa, le mauvais refus, l'arrêt brutal, (...). Il la ramena trois fois à l'éperon, à la cravache, et quand la bête se bloquait, il la châtiait rudement.
Vercel, Capitaine Conan,1934, p. 184. − Au fig. : 21. Manouche vit son visage [de Roger] de nouveau se fermer, se bloquer (...). La tristesse, la pitié remontèrent, une longue vague molle qui l'envahit toute.
Genevoix, Les Mains vides,1928, p. 168. C.− [Fréquemment au passif] Investir par un blocus, faire le blocus (d'une ville, d'un port, d'une position occupée par l'ennemi) : 22. Vous savez qu'au commencement de la guerre de 1870 je fus enfermé dans Bézières, que ce nègre appelle Bézi. Nous n'étions point assiégés, mais bloqués. Les lignes prussiennes nous entouraient de partout, hors de portée des canons, ne tirant pas non plus sur nous, mais nous affamant peu à peu.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Tombouctou, 1883, p. 220. − Bloquer une flotte, une armée, etc. Empêcher le passage de : 23. Don Pèdre, pour bloquer plus étroitement la flotte aragonaise, fit couler dans le chenal trois de ses navires.
Mérimée, Histoire de Don Pèdre Ier, roi de Castille,1848, p. 386. − P. ext. Synon. cerner, encercler, enfermer : 24. Je vous écris, Mademoiselle du Mont-Saint-Michel (...). En ce moment, je suis bloqué par la mer qui entoure le mont.
Hugo, Correspondance,1836, p. 549. 25. Ce n'étaient pas les hôtels qui manquaient : ils bloquaient la gare, de tous côtés; ...
R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 644. ♦ P. métaph. : 26. Le 26. − Mon âme se contracte et se roule sur elle-même comme une feuille que le froid a touchée; (...). Me voilà circonscrit et bloqué jusqu'à ce que ma pensée, gonflée par une nouvelle inondation, surmonte la digue et s'étende librement sur toutes ses rives.
M. de Guérin, Journal intime,1834, p. 217. ♦ Arg. [surtout au passif] Mettre au bloc* : 27. [Le tailleur aura contrevenu au blocus continental.] Le fils. Le blocus continental! qu'est-ce que ça veut dire papa...? (...). Le père. Ça veut dire que le tailleur va pt'être bien être bloqué [= mis au bloc].
F. Vidocq, Mémoires de Vidocq,t. 2, 1828-29, p. 238. Rem. Les dict. d'arg. donnent un verbe bloquir(e) « vendre (des objets volés) » (cf. F. Vidocq, Mémoires de Vidocq, t. 2, 1828-29, p. 227 et Les Vrais mystères de Paris, t. 4, 1844, p. 16). Prononc. : [blɔke], (je) bloque [blɔk]. Enq. : /blok/ (il) bloque. Étymol. ET HIST. − 1. Ca 1450 « consolider avec de la pierraille » (Greban, Myst. de la Pass., éd. G. Paris, 24847); xvies. fauconn. « planer au-dessus de la perdrix (du faucon) » (Jodelle d'apr. FEW t. 15, 1, p. 165b); 1680 impr. (Rich.); 2. début xviies. « investir une place par un blocus » (D'Aub., Hist. I, 282 dans Littré); début xviies. « enfermer qqn par un blocus » (Id., ibid., II, 300, ibid.).
1 dér. de bloc1* étymol. 2 « amas de choses matérielles considérées comme faisant un tout » en partic. 1437 maçonn. (Comptes Manoir Rouen, 165 dans IGLF Techn.); 2 avec infl. de blocus*; dés. -er. STAT. − Fréq. abs. littér. : 180. BBG. − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 12. |