| BÉGUEULE, adj. et subst. A.− Emploi adj. [En parlant d'une pers., plus spéc. d'une femme] Qui est d'une excessive pruderie : 1. Ce fut d'abord un grand haro parmi les amis de Rodolphe lorsqu'ils apprirent son mariage; mais comme Mademoiselle Mimi était fort avenante, point du tout bégueule, et supportait sans maux de tête la fumée de la pipe et les conversations littéraires, on s'accoutuma à elle et on la traita comme une camarade.
Murger, Scènes de la vie de bohème,1851, p. 157. 2. Quand ils dînaient, tous les quatre, il paraît que leur conversation prenait une allure si effrayante, si abominable que, bien des fois, le maître d'hôtel, qui n'était pas bégueule pourtant, eut l'envie de leur jeter les plats à la figure...
Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 118. − P. méton. : 3. Eh bien, précisément parce que c'est raide de fond et embêtant pour les bourgeois, j'enlèverais deux choses, qui ne sont pas mauvaises du tout, (...). Après quoi le goût le plus bégueule n'aurait rien à vous reprocher.
Flaubert, Correspondance,1879, p. 364. B.− Emploi subst., habituellement au fém. Femme d'une délicatesse ou d'une pruderie excessive et/ou affectée : 4. Isabelle, pour sa résistance honnête, eût paru une mijaurée et une bégueule; la vertu des femmes de théâtre comptant beaucoup de Thomas incrédules et de Pyrrhons sceptiques.
T. Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 355. 5. Foin des bégueules et des béjaunes : pourquoi n'écrirais-je pas tout net que nous avons connu à Trèves l'angoisse sordide et quotidienne du torche cul?
Ambrière, Les Grandes vacances,1946, p. 51. ♦ Faire la bégueule. Se donner des airs de vertu, faire la fine bouche : 6. Eh bien, voyez comme vous avez eu tort de faire la bégueule! Car les trois cent mille francs que vous avez noblement refusés sont dans l'escarcelle d'une autre.
Balzac, La Cousine Bette,1846, p. 286. − Rare, au masc. : 7. Il a voulu mettre une scène pareille au théâtre; tous les bégueules du parterre ont outrageusement sifflé la scène comme immorale. J'ai dit : tous, car en fait de bégueulisme, les femmes ne passent qu'après les hommes.
Soulié, Les Mémoires du diable,t. 2, 1837, p. 303. PRONONC. ET ORTH. : [begœl]. Passy 1914 donne également la possibilité de prononcer [begø:l]. Besch. 1845 enregistre encore bée-gueule : ,,Vieille orthographe de Bégueule.`` ÉTYMOL. ET HIST. − 1. 1690 (Fur. : Bégueule. Injure populaire qu'on dit aux femmes de basse condition qu'on taxe de niaiserie, et d'avoir toujours la gueule bée ou ouverte); 1718 (Ac. : Begueule [...] se dit d'Une femme folle et impertinente. Cette fille, cette femme, est une vraye begueule); ces deux emplois tendant à disparaître au xviiies. au profit de 2. 1746 « prude » (Angola, II, 45 dans Brunot t. 6, p. 1097 : quelqu'une de nos femmes de la cour assés bégueule pour vous réduire à l'assiéger dans les formes); 1747 (Gresset, Méchant, ibid.).
Composé de bée part. passé fém. de béer* et de gueule*; dès 1470 bée gueulle terme d'injure « celui qui tient la bouche ouverte » (Litt. remiss. ann. 1470 ex Reg. 195. Chartoph. reg. ch. 428 dans Du Cange, s.v. beare : Le suppléant soy voyant injurié sans cause, respondit à icellui compaignon, que vaulx-tu Bée-gueulle); les syntagmes béer la geule et geule bee sont très fréq. dès le xiies. (T.-L.). STAT. − Fréq. abs. littér. : 82. |