| AUNE, subst. fém. A.− Ancienne unité de longueur appliquée surtout au mesurage des étoffes : 1. Mais de tous, celui que Léonard plaignait le plus, c'était Jouques, à cause de la maison de commerce. Ce drap, vendu à l'aune sur la voie publique, révoltait ses habitudes.
Estaunié, L'Empreinte,1896, p. 28. B.− Longueur égale à cette mesure : 2. ... le 22 mars 1417, les libéralités portées sur son testament se montaient à 800 livres environ. Elles s'échelonnaient de « 300 aulnes de bon drap brun » pour les pauvres à diverses aumônes en passant par une somme léguée à sa chambrière Margot...
M. Caron, S. Hutin, Les Alchimistes,1959, p. 15. − Au fig. : 3. Quand le vieux Schulz rentra, la figure longue d'une aune, et qu'il apprit de Salomé, qui venait aussi de rentrer, ce qui s'était passé, il fut dans la désolation : il faillit pleurer.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Révolte, 1907, p. 565. 4. J'aurais pu me demander si j'avais été le premier à imaginer un si bel artifice et si je n'en avais pas déjà vu des exemples. Mais je ne me le demandai pas. Je ne me demandai rien, et les yeux écarquillés et tirant une langue d'une aune, stupide, je contemplai mon ouvrage.
A. France, Le Petit Pierre,1918, p. 36. C.− Bâton carré de cette longueur qui servait au mesurage. Aune ferrée par les deux bouts; aune brisée, étalonnée : 5. Ou bien encore il se serait fait tisserand, car il avait bien des goûts de jeune fille dans le caractère : il aurait lancé et relancé la navette toute la semaine dans la cave, en dessous de la maison, et le dimanche il serait descendu, son aune à la main et son rouleau de toile grise sur l'épaule, reporter aux ménagères le poids du fil qu'elles auraient filé.
Lamartine, Le Tailleur de pierre de Saint-Point,1851, p. 466. − En partic. ,,Signe caractéristique, symbole de la profession de marchand`` (Lar. 19e). − P. iron. Chevalier de l'aune. Marchand, commis marchand, qui mesure, vend des étoffes. ,,Il n'y a que ces chevaliers de l'aune pour aimer la boue au bas d'une robe`` (Balzac ds Lar. 19e). D.− Loc. et proverbes. Mesurer les autres à son aune. ,,Juger autrui d'après soi-même (se prend ordinairement en mauvaise part)`` (Nouv. Lar. ill.). Savoir ce qu'en vaut l'aune. Tout du long de l'aune. ,,Beaucoup, excessivement`` (Ac. 1835-1932). Au bout de l'aune, faut le drap. ,,Toutes choses ont leur fin`` (Littré). PRONONC. − 1. Forme phon. − Cf. aulne1. 2. Homon. : aulne1, aulne2. ÉTYMOL. ET HIST. − Ca 1100 alne « longueur d'une aune » (Roland, 2399, ms. Oxf. ds Gdf. Compl. : Il nen i ad ne veie ne sentier, Ne voide terre ne alne ne plein pied Que il n'i ait o Franceis o paien); 1remoitié xiies. id. « la longueur d'une aune » (Pèlerinage Charlemagne, 606, éd. E. Koschwitz-G. Thurau ds T.-L. : de fer i ait une alne); ca 1180 aune « bâton long d'une aune servant à mesurer » (Renart, éd. M. Roques, branche I, vers 2298 : Si estoit alez querre une aune Dont il voloit un drap auner); ca 1260 savoir ce que vaut l'aune « savoir évaluer les difficultés » (Ménestrel de Reims, éd. Wailly, 222 ds T.-L. : Ils savoient bien combien c'estoit l'aune); xives. au bout de l'aulne fault le drap « toutes choses ont une fin » (Bonum spatium, ms. B.N. lat., 10360 ds J. Morawski, Proverbes français antérieurs au xves., Paris, 1925, p. 7); 1669 tout du long de l'aune « excessivement » (Molière, Tart., I, 1 ds Littré : C'est véritablement la tour de Babylone, Car chacun y babille, et tout du long de l'aune).
Empr. à une lang. germ. anc. prob. l'a. b.frq. *alina « aune » que l'on peut déduire du got. aleina, a. nord. o????ln, ags. oln, a.h.all. elina, m.néerl. elne, mots qui du sens de « avant-bras » ont développé celui de « aune » (Kluge20s.v. Elle). La forme germ. a été latinisée au Moy. Âge en alnus (xies. Polyptique d'Irminon ds EWFS2). Cette hyp. proposée par Gamillscheg ds Z. rom. Philol., t. 43, p. 422 et de Gam. Rom.2, t. 1, p. 293, semble préférable à celle d'un empr. au germ. (FEW, XV1, 1repart., 13 b), étant donné − d'une part la répartition limitée des représentants du mot dans la Romania : aire gallo-rom. (d'où l'ital. mod.; il n'est pas impossible que, de son côté, l'a.prov., xiies. ds Rayn., ait été directement empr. au got.) et cat. − d'autre part l'existence possible en frq. (Gamillscheg ds Z. rom. Philol., loc. cit.) de formes du type *alina, n'ayant pas subi la métaphonie. STAT. − Fréq. abs. littér. : 193. BBG. − Baudhuin 1968. − Bouillet 1859. − Chesn. 1857. − Comm. t. 1 1837. − Esn. 1966. − Gottsch. Redens. 1930, pp. 258-259. − Le Roux 1752. − Pierreh. 1926. − Privat-Foc. 1870. − Rog. 1965, p. 132. |