| ASSIÉGER, verbe trans. A.− [Le suj. du verbe est un ensemble de pers. ou, p. méton., leur chef] 1. MILITAIRE a) Assiéger un lieu. Mettre le siège devant ce lieu (une place forte ou quelqu'autre lieu dont on désire s'emparer par la force des armes). Assiéger un château, une place forte, une forteresse : 1. Frères, nous allons faire une belle expédition. Nous sommes des vaillants. Assiéger l'église, enfoncer les portes, en tirer la belle fille, la sauver des juges, la sauver des prêtres, démanteler le cloître, brûler l'évêque dans l'évêché, ...
Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 458. 2. Julien accourut à son [l'empereur d'Occitanie] aide, détruisit l'armée des infidèles, assiégea la ville, tua le calife, coupa sa tête, et la jeta comme une boule par-dessus les remparts. Puis il tira l'empereur de sa prison, et le fit remonter sur son trône, en présence de toute sa cour.
Flaubert, Trois contes,La Légende de st Julien l'Hospitalier,1877, p. 104. PARAD. Assiéger une ville, la presser, la harceler, la prendre d'assaut, l'envahir, la réduire, la mettre à merci, la détruire. b) Assiéger qqn dans un lieu. L'y tenir prisonnier pour qu'il se rende : 3. ... César n'hésita point d'assiéger cette grande armée. Il entoura la ville et le camp gaulois d'ouvrages prodigieux. D'abord trois fossés, chacun de quinze ou vingt pieds de large et de profondeur, un rempart de douze pieds, huit rangs de petits fossés, dont le fond était hérissé de pieux et couvert de branchages et de feuilles, des palissades de cinq rangs d'arbres, entrelaçant leurs branches.
Michelet, Hist. romaine,t. 2,1831, p. 249. 4. ... comment alors pourraient-ils empêcher les pirates de débarquer? Cyrus Smith sentait bien cela, et il se demandait ce qu'il était possible de faire. Avant peu, il serait appelé à prendre une détermination. Mais laquelle? Se renfermer dans Granite-house, s'y laisser assiéger, tenir pendant des semaines, pendant des mois même, puisque les vivres y abondaient? Bien! Mais après?
Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 446. SYNT. 1. Assiéger le roi dans sa capitale, le prince dans son château; assiéger qqn depuis neuf ans. 2. Être assiégé par des cavaliers, par les Allemands. 2. P. métaph. et souvent p. plaisant. a) Assiéger qq. endroit. L'entourer, le cerner. Assiéger l'ambassade, le train, les restaurants, les tramways; assiéger la porte de qqn : 5. ... coup sur coup il vint encore deux enfants, deux fillettes, l'une de trois ans, l'autre de huit, qui assiégèrent le fauteuil du grand'père, lui tirèrent les bras, se pendirent à son cou; ...
Zola, L'Argent,1891, p. 98. 6. Tous crient : « Vive la France! » Dès qu'un des chars s'arrête, une horde l'entoure, l'assiège! Des enfants y montent et prennent place à côté des triomphateurs.
Gide, Journal,1943, p. 236. b) Assiéger qqn (souvent au passif). Être assiégé de visites; être assiégé par les admirateurs, par les créanciers, par les fantômes : 7. clérambard. − Vous êtes idiote, ma pauvre femme, comme toujours, et pourquoi ne pas manger du chat? En 1457, mon aïeul Onuphre de Clérambard, assiégé dans la place de Blémont, a mangé du rat et du hibou. Et croyez que s'il en avait eu à suffisance, il n'aurait jamais capitulé!
louise. − Votre aïeul a été admirable, mais je pense qu'il ne faisait pas son ordinaire de rat ni de hibou. S'il s'est résolu à en manger, c'est qu'il était assiégé.
clérambard. − Moi aussi, je suis assiégé! Le château de mes pères a été vendu à l'encan, toutes mes terres y ont passé. Et dans le vieil hôtel des comtes de Clérambard, où j'ai dû me replier avec les miens, je suis assiégé par les créanciers, les huissiers, les porteurs d'hypothèques. Je me défends pied à pied à force de labeur, en espérant le miracle qui préserverait cette demeure de l'injure de tomber dans des mains étrangères.
Aymé, Clérambard,1950, I, 2, p. 17. 3. P. anal. Entourer (un lieu) en menaçant de l'envahir; (des personnes) en constituant un danger pour leur bien-être, leur sécurité : 8. La ville, faute d'un assez grand nombre d'habitants, est mélancolique; l'herbe et le chardon assiègent ses faubourgs : ...
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 4,1848, p. 192. 9. ... Bachelin trouve dans la maison même la racine de la rêverie de la hutte. Il n'a qu'à travailler un peu le spectacle de la chambre de famille, qu'à écouter, dans le silence de la veillée, le poêle qui ronfle, tandis que la bise assiège la maison, ...
Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 46. SYNT. Être assiégé par le froid, l'orage, le soleil, la mer, les sables, les neiges, la nuit, les loups. B.− Au fig. [En parlant de difficultés, de maux, etc.,] Presser, poursuivre, obséder : 10. Je sortis de cette maison de malheur : vainement je m'étais cru incapable de partager désormais les peines de la jeunesse car les années m'assiègent et me glacent; je me fraye à peine un passage à travers elles, ainsi qu'en hiver l'habitant d'une cabane est obligé de s'ouvrir un sentier dans la neige, tombée pendant la nuit à sa porte, pour aller chercher un rayon de soleil.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 4,1848, p. 543. 11. Comment traitez-vous, ou plutôt comment vous traite la goutte, le catharre [sic], la crachomanie, la prisomanie, la mouchomanie, en un mot le cortège innombrable des maux qui vous assiègent depuis tantôt quarante-cinq ans que j'ai le bonheur de vous connaître?
G. Sand, Correspondance,t. 1,1812-76, p. 67. 12. Il y avait de l'ennui qui cernait la maison, qui assiégeait les êtres, qui filtrait au travers des murs : ...
Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 221. SYNT. Être assiégé par le malheur, les chagrins, les dangers, les ennuis, les maladies. Rem. Le sens propre prédomine au xixes.; le sens fig. au xxesiècle. PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [asjeʒe], j'assiège [ʒasjε:ʒ]. Passy 1914 donne pour la 2esyll. de l'inf. la possibilité d'une prononc. avec [ε'] ouvert mi-long : asjε'ʒe ou [e'] fermé mi-long : asje'ʒe. Pour la prononc. avec [ε] ouvert, cf. aussi Littré. 2. Forme graph. : cf. abréger et abroger. ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Ca 1100 milit. aseger (Roland, éd. Bédier, 476 : Si ceste acorde ne volez otrier, En Sarraguce vus vendrat aseger); 1174 assiegier (G. de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. C. Hippeau, 5079 ds T.-L.); 1440-75 part. prés. substantivé « celui qui assiège » (G. Chastell., Chron., ch. XXIII ds Gdf. Compl.); 2. fig. xiiies. asijer « solliciter, tourmenter, accabler » (Dial. B. Ambr. ms. Epinal, ibid. : Asijez de miseres); a) 1536 (en parlant de choses) assieger (Calvin, Institution chrestienne, I, chap. 17, 10 ds Dict. hist. Ac. fr. t. 4, p. 88); b) 1565 « (en parlant de pers.) se presser autour de » d'où « importuner » (E. Pasquier, Recherches de la France, II, 10, ibid., p. 87); 3. xives. assegier « entourer, tenir enfermé dans » (E. Deschamps,
Œuvres, publ. p. marquis de Queux de Saint-Hilaire, t. 4, p. 105 : Enfans lever et froit m'ont prins au piege. Assegier sui en la maison des champs : Mi bon ami, venez lever le siege); 1568 assieger (Garnier, Porcie, acte II, 490 ds Dict. hist. Ac. fr. t. 4, p. 88).
Prob. empr. au lat. pop. *assedicare, dér. de *sedicare (siège*). Le lat. obsidere « assiéger » a pu l'influencer, mais son intervention n'est pas évidente; assiéger a, en effet, postérieurement à « faire le siège », signifié en a. fr. « asseoir, établir » (B. de Ste-Maure ds Gdf.), les deux notions étant extrêmement voisines : cf. le lat. class. adsidēre « être assis, placé auprès de » et « camper auprès de, assiéger ». STAT. − Fréq. abs. littér. : 521. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 096, b) 643; xxes. : a) 508, b) 629. |