| APOSTUME, subst. masc. MÉD., vx. A.− Abcès, tumeur purulente : 1. Baumugnes! La montagne des muets; le pays où on ne parle pas comme les hommes. Ah, je te vois te rigoler, et tu t'en vas à penser que pour un fils de là-haut je t'en raconte tout seul depuis une heure. Ne t'y fie pas. C'est pas exactement de la parole, maintenant, c'est comme si je saignais. C'est comme d'un mauvais apostume que j'ai crevé du couteau et qui saigne du sang et du pus; voilà ma parole de ce soir, voilà. C'est du mal qui s'en va.
Giono, Un de Baumugnes,1929, p. 26. − P. méton. Pus, suppuration : 2. L'un lève le bras et brise sa lame sur une pierre du mur, l'autre lui cloue la sienne dans la gorge. Sanglans, tailladés, ils jettent des râlemens affreux, et ne semblent plus qu'une masse de sang qui flue et se caille. Déjà des milliers de moucherons et de scarabées impurs entrent et sortent de leurs narines et de leurs bouches, et barbotent dans l'aposthume de leurs plaies.
Borel, Champavert,J. Barraou, le charpentier, 1833, p. 57. B.− P. ext. Toute tumeur, toute enflure : 3. La terre (...) s'essayait à des gestes moins lents avec sa grande pâture de fumier. Elle palpitait comme un lait qui va bouillir. Le monde, trop engraissé de chair et de sang, haletait dans sa grande force. Au milieu des grosses vagues du bouleversement, une vague vivante se gonflait; puis, l'apostume se fendait comme une croûte de pain. Cela venait de ces poches où tant d'hommes étaient enfouis. La pâte de chair, de drap, de cuir, de sang et d'os levait. La force de la pourriture faisait éclater l'écorce.
Giono, Le Grand troupeau,1931, p. 123. Rem. Est donné au fém. ds Littré, Guérin 1892, DG et Lar. encyclop. PRONONC. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [apɔstym]. 2. Forme graph. − Ac. t. 1 1932 et Lar. encyclop. enregistrent uniquement apostume. Rob. donne parallèlement : apostume ou apostème (cf. aussi Pt Lar. 1906 : apostème ou apostume et Quillet 1965). On rencontre aussi aposthume avec th- (cf. supra ex. 2). 3. Hist. − Fér. 1768 précise, s.v. aposthume : ,,et non pas apostème``. Ac. 1798, 1835 et 1878 écrivent : apostume ou apostème. Cf. aussi Land. 1834, Besch. 1845 qui signale : ,,En médecine, on disait ordinairement apostème; dans le langage familier apostume``. Pour cette dernière rem., cf. également Lar. 19eet Nouv. Lar. ill.; s.v. apostume. Guérin 1892 indique : ,,corruption d'apostème``; cf. aussi DG : ,,du lat. apostema, corrompu, dans sa terminaison et son genre, sous l'action du suffixe fém. tume (coutume, etc.). Tend à être remplacé par le mot savant apostème``. DG est le dernier dict. à transcrire la forme apostème : à-pòs'-tèm. (Durée longue sur la dernière syllabe aussi ds Land. 1834, Fél. 1851 et Littré. Fér. Crit. t. 1 1787 qualifie cette syllabe de douteuse). − Rem. Littré et Guérin 1892 réservent tous deux un art. indépendant à apostème et à apostume. Pt Lar. 1906, s.v. apostume renvoie à apostème. Le reste des dict. n'enregistre la vedette apostème que comme vedette de renvoi à aspostume (cf. Ac. 1835, 1878, Nod. 1844, Besch. 1845, Poit. 1860, Lar. 19eet Nouv. Lar. ill., DG, Rob. et Quillet 1965). ÉTYMOL. ET HIST. − 1256 Aldebrant de Sienne, Landouzy-Pépin ds Quem. [sans attest.]; 1278 « tumeur purulente, abcès » (Rose 14562 ds Gdf. Compl. : Sire, ne sai quel maladie, Ou fievre ou goutte ou apostume); emploi fig. a) 1527 « gonflement » (Marot, Ép. au roi pour avoir été dérobé par mon valet 29 ds Hug. : Ce venerable Rillot fut adverty De quelque argent que m'aviez departy, Et que ma bourse avoit grosse apostume); b) 1562 « corruption de l'âme » (Calvin, Serm. sur l'Harmonie Evangelique, 52 [XLVI, 656] ds Hug. : Quand on vient sonder leurs apostumes, et qu'on les vient percer pour en faire sortir l'ordure, et qu'on use de vehemence, alors voyla le venin qui en sort, et desgorgent leurs blasphemes à l'encontre de Dieu); d'où l'expr. crever, découvrir l'apostume « découvrir le mal caché » (Calvin, Serm. sur la 2oà Timothee, 24 [LIV, 292] ibid. : Il faut ... que leurs pechez et offenses soyent descouvertes, qu'on presse la lancette pour crever l'apostume, afin que l'ordure qui est cachee au dedans sorte).
Empr. au lat. apostema (apostème*), avec changement de finale sans doute sous l'influence de mots tels rheuma, moy. fr. reume et phlegma, a. fr. fleume; apostème* devenu aposteume (ca 1240, Vie de St François, éd. A. Schmidt, 4399 ds T.-L.; cf. pic. aposteume, Corblet et norm., id., Moisy) qui détermine le changement de l'inf. apostemer (xvies. ds Hug.) en *aposteumer. Celui-ci se transforme en apostumer* par passage de -eu inaccentué en -u, d'où apostume, Fouché, p. 137 et 429; le passage du lat. apostema au fr. aposteume a pu être favorisé également par l'existence d'un lat. tardif apostōma mentionné par Ern.-Meillet et Du Cange; cette hyp. fait cependant difficulté au point de vue chronol., apostemer étant bien postérieur à apostumer* et apostume*. STAT. − Fréq. abs. littér. : 1. BBG. − Bouillet 1859. − Garnier-Del. 1961 [1958]. − Méd. Biol. t. 1 1970. − Privat-Foc. 1870. − Rheims 1969. |