| ANCRE, subst. fém. I.− MAR. Pièce d'acier qui fait partie du gréement et qu'on laisse tomber à l'aide d'une chaîne ou d'une haussière au fond de l'eau, où elle s'accroche de manière à retenir le bateau. Mouiller l'ancre, mettre le navire à l'ancre : 1. Une ancre à jet élongée derrière n'ayant eu aucun succès, nous mîmes la chaloupe à la mer et nous envoyâmes dans la même direction une ancre de poste que nous eûmes le soin d'emponneller, et sur laquelle nous virâmes avec force et à plusieurs reprises sans faire bouger la corvette de place.
Dumont d'Urville, Voyage au Pôle Sud et dans l'Océanie,t. 6, 1844, p. 276. 2. Le navire avait quatre ancres, la grosse ancre, la seconde ancre qui est l'ancre travailleuse, working-anchor, et deux ancres d'affourche. Ces quatre ancres, mouillées avec des chaînes, étaient manœuvrées, selon les occasions, par le grand cabestan de poupe et le petit cabestan de proue.
V. Hugo, Les Travailleurs de la mer,1866, p. 102. 3. John fit ses dispositions pour l'appareillage. Il ordonna de lever l'ancre. Mais les pattes de l'ancre, sous les secousses du câble, s'étaient profondément incrustées dans le sable. Sans guindeau, et même avec les palans que Wilson installa, il fut impossible de l'arracher.
J. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 3, 1868, p. 74. 4. Au bout d'un instant, il fut réveillé par un bruit de chaînes; les matelots mouillaient une nouvelle ancre. Dans tout le port c'était l'agitation qui précède la tempête; on amenait des voiles et des mâts, on arrimait des câbles, des ancres grinçaient.
A. Maurois, Ariel ou la Vie de Shelley,1923, p. 340. Rem. 1. L'ancre traditionnelle est composée d'une barre droite appelée tige ou verge, terminée d'un côté par un anneau appelé organeau et de l'autre par deux bras prolongés d'une patte (ex. 3) dont la pointe se nomme le bec. Sur la verge, dans un plan perpendiculaire à celui des bras se trouve le jas ou jouail. 2. Selon Le Clère 1960 : ,,jeter l'ancre est une formule livresque qui ne s'emploie jamais dans la pratique; on dit toujours mouiller l'ancre``. 3. Chasser se dit d'une ancre qui ne parvient pas à « mordre » c'est-à-dire à prendre sur le fond. On dit de même que le bateau chasse sur ses ancres : 5. ... l'impulsion du navire est si forte, que nous craignons de briser nos câbles en jetant l'ancre : enfin l'ancre est tombée; elle chasse quelques brasses et mord le fond. Nous sommes sur une mer encore clapoteuse, mais dont les vagues ne font que nous bercer sans péril; ...
A. de Lamartine, Voyage en Orient,t. 2, 1835, p. 319. 6. L'ancre sauva le vaisseau quand il eut chassé sur ses autres ancres, au milieu des coraux des îles Sandwich.
F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 1, 1848, p. 255. Rem. Autres syntagmes être à l'ancre, couper l'ancre, laisser tomber l'ancre, lever, virer l'ancre. ♦ Maîtresse-ancre, ou ancre de miséricorde, ancre sacrée, ancre de salut. La plus forte des ancres d'un bateau, à laquelle on a recours en cas de danger : 7. Le vaisseau s'approche doucement de la rive, où s'élevoit une chapelle chrétienne abandonnée. On précipite au fond de la mer des sacs remplis de pierres, attachés à un câble de Tyr, et l'ancre sacrée, dernière ressource dans les naufrages.
F.-R. de Chateaubriand, Les Martyrs,t. 3, 1810, p. 120. 8. À mer étale nous allons mouiller la maîtresse ancre droit par le travers.
Dumont d'Urville, Voyage au Pôle Sud et dans l'Océanie,t. 9, 1846, p. 345. 9. Il en est de même pour les ferrures; j'avais eu l'idée pour les forger de couper un morceau du jas de l'ancre de miséricorde mais nous finissons par trouver un boulon de rechange (...) qui pourra servir.
J.-B. Charcot, Le« Pourquoi-Pas? » dans l'Antarctique, deuxième expédition antarctique française, 1910, p. 246. Rem. Autres syntagmes ancre de corps mort, ancre flottante, ancre de touée. − Au fig. A.− Ce qui fixe, ce qui rend stable, solide : 10. Le christianisme a été la grande ancre qui a fixé tant de nations flottantes, et retenu dans le port, ces États, qui se briseront peut-être, s'ils viennent à rompre l'anneau commun où la religion les tient attachés.
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 2, 1803, pp. 79-80. 11. Pas d'autre philosophie en lui [Leconte de Lisle] qu'un désespoir (...) qui a pour ancres l'orgueil, la misanthropie, la haine...
A. Thibaudet, Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours,1936, p. 517. B.− Locutions 1. Ancre de salut (et plus rarement ancre de miséricorde). Dernière ressource, ultime secours : 12. La confusion et l'anarchie n'eussent donc pas manqué d'être aussitôt dans l'État. Alors toutes les classes des citoyens, toutes les factions auraient vu avec plaisir dans Napoléon une ancre de salut, un point de ralliement, seul propre à sauver tout à la fois et de la terreur royale et de la terreur démagogique.
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 1, 1823, p. 757. 2. À l'ancre. − [En parlant d'un inanimé concr.] Qui est fixé, qui demeure immobile en un point : 13. L'air est presque tiède. Il n'y a pas encore de vent. Ça fait trois jours qu'à la barrière de l'horizon, au Sud, un grand nuage est à l'ancre, dansant sur place.
J. Giono, Regain,1930, pp. 54-55. 14. Il existe, près de Nancy (...) un quartier (...) où les errants mettent quelque temps à l'ancre les roulottes : c'est Tomblaines [sic]. Tout un peuple vit là (...) parmi les choux tristes et les clapiers momentanés (...). Il [Lerson] habitait une baraque rapetassée...
P. Vialar, La Mort est un commencement,Les Morts vivants, 1947, p. 47. − Lang. région. [En parlant d'une pers.] Sans emploi, dans l'inaction : 15. Ils [les gens du village] sont à l'ancre et il n'y a rien à faire pour moi (...) ils me disent que, dans tout ce village ouvert, il n'y a rien à faire pour moi nulle part.
J. Giono, Les Grands chemins,1951, p. 200. 3. Jeter l'ancre. S'établir, se fixer dans un lieu, dans une situation, dans un état : 16. Ceux-là ne cherchent plus la griserie du voyage, parce que cette terre est trop parfumée, où ils se sont arrêtés. Ceux-là ne navigueront plus sur les mers mauvaises, parce qu'ils ont trouvé le port et que l'ancre a été jetée dans l'incomparable béatitude.
E. Psichari, Le Voyage du centurion,1914, pp. 191-192. ♦ Jeter l'ancre + compl. de nom. Fixer, arrêter l'évolution (mauvaise) de : 17. ... peut-être en ces jours déplorables, au milieu des tempêtes civiles, vivaient et mouraient obscurs quelques-uns de ces hommes de génie, qui, par le poids de leurs œuvres, auraient pu fixer la langue, et, en quelque sorte, jeter l'ancre de notre littérature.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Tableau hist. et crit. de la poésie française et du théâtre français au XVIesiècle,1828, p. 108. 4. Lever l'ancre. Quitter un lieu, s'éloigner, partir : 18. Par un tel temps, ce n'est pas à Gabès, à Tozeur ou Nefta que je me souhaite, c'est ailleurs et partout, errant, flottant, sans attaches... Mieux vaut se cramponner au travail et ne consentir à lever l'ancre que lorsque la suite de mon livre sera mieux précisée.
A. Gide, Journal,1934, p. 1199. II.− Autres domaines techn. (p. anal. avec le sens I). A.− AÉRON. Instrument formé de plusieurs crochets articulés servant à l'atterrissage des aérostats : 19. L'ancre du ballon captif est une ancre-chaîne formée de dix éléments articulés l'un avec l'autre, et dont la longueur varie de 23 à 10 cm.
A. Ledieu, E. Cadiat, Le Nouveau matériel naval,t. 2, 1899, p. 339. B.− BÂT. Barre de fer en forme de croix ou de lettres (I, S, T, X ou Y), apparente ou noyée dans le mur, passant dans l'œil d'un tirant et destinée à empêcher l'écartement des murs, à maintenir les tuyaux de cheminée élevés ou à affermir les pilots de garde dont on garnit les devants d'un quai ou d'une jetée : 20. Dans toute construction faite pour durer, le fer employé en chaînages ne devrait être considéré que comme des brides dont les extrémités seules seraient agrafées fortement. Et alors pour ces agrafes ou ancres, la peinture ne doit être appliquée que comme un palliatif très-insuffisant : il faut avoir recours au galvanisme par le zinc ou le cuivre, avec scellements en mastics gras.
E. Viollet-le-Duc, Entretiens sur l'architecture,t. 2, 1872, p. 44. Rem. A pour synon. ancrure (cf. Lar. 19eet Lar. 20e). C.− HÉRALD. Meuble représentant une ancre de marine et ,,dont la tige se nomme stangue, la traverse trabe, et le câble, lorsqu'il y en a un, gumène``. (Grandm. 1852) : 21. C'est Bartolomé Ruis, prince des vieux pilotes, Qui, sur l'écu royal qu'elle enrichit encor, Porte une ancre de sable à la gumène d'or.
J.-M. de Heredia, Les Trophées,1893, p. 114. − Spéc. Insigne officiel de la Marine marchande, de la Marine militaire et de l'Armée coloniale. D.− HORLOG. Pièce d'horlogerie ayant la forme d'une ancre et servant à régler l'échappement d'une montre ou d'une horloge : 22. La précision et la sûreté des montres ne sont devenues réalisables sur une large échelle qu'avec l'introduction de l'échappement libre à ancre (...). Cette importante amélioration fut imaginée par Th. Mudge en 1775. Depuis plus d'un siècle, l'emploi du mouvement à ancre constitue la règle pour toutes les montres.
E. von Bassermann-Jordan, Montres, horloges et pendules,1964, p. 172. Rem. Guérin 1892 et Quillet 1965 notent que ,,les horlogers font ce mot du masculin``. E.− ICONOGR. CHRÉT. Symbole de l'espérance, souvent représenté sur les monuments des premiers chrétiens. Prononc. − 1. Forme phon. : [ɑ
̃:kʀ
̥]. Enq. : /ãkʀ/. 2. Homon. : encre. Étymol. ET HIST. − 1160-1174 mar. (Wace, Rou, 2ep., 1158 ds Gdf. Compl.); p. anal. 1616, 18 nov. archit. (Reg. aux délibérations des consaulx d'apr. La Grange, Docum. relatifs à quelques monum. de Tournai, 39 ds Gdf. Compl. : Sera tenu livrer soixante ancres avecq clefs a deux costez qui servira pour clauwer aux sommiers du deuzieme estaige); 1534 fig. à l'ancre « dans l'inaction, dans l'impuissance » (Rabelais, II, 2 ds Hug. : Toute la contree estoit à l'ancre); 1546 ancre sacre « dernier recours, dernier refuge » (Id., III, 7, ibid. : En laquelle souloit comme en l'ancre sacre constituer son dernier refuge contre tous naufraiges d'adversité).
Empr. au lat. ancora « ancre » au sens propre dep. Afranius, Com., 139 ds TLL s.v., 30, 27; emploi fig. dep. Varron, Rust., 17, 7, ibid., 31, 10; fig. « appui, dernier refuge » : Ovide, Pont., 3, 2, 6, ibid., 31, 14. STAT. − Fréq. abs. litt. : 666. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 1 380, b) 1 293; xxes. : a) 579, b) 612. BBG. − Archéol. chrét. 1924. − Arts Mét. 1766. − Bach.-Dez. 1882. − Barb.-Cad. 1963. − Barber. 1969. − Baudr. Pêches 1827. − Bible 1912. − Bouillet 1859. − Canada 1930. − Chabat t. 1 1875. − Chesn. 1857. − Comm. t. 1 1837. − Dheilly 1964. − Encyclop. méthod. Mécan. t. 1 1782. − Foi t. 1 1968. − Galiana Déc. sc. 1968. − Gottsch. Redens. 1930, pp. 263-264. − Goug. Lang. pop. 1929, p. 94. − Goug. Mots t. 1 1962, p. 211. − Gougenheim (G.). La Relatinisation du vocab. fr. Annales de l'Univ. de Paris. 1959, t. 29, no1, p. 8. − Grandm. 1852. − Gruss 1952. − Guilb. Aviat. 1965. − Jal 1848. − Jossier 1881. − Lacr. 1963. − Lavedan 1964. − Le Clère 1960. − Le Roux 1752. − Marcel 1938. − Noël 1968. − Pope 1961 [1952], § 1173. − Prév. 1755. − Privat-Foc. 1870. − Séguy 1967. − Soé-Dup. 1906. − Viollet 1875. − Will. 1831. − Zastrow (D.). Entstehung und Ausbildung des französischen Vokabulars der Luftfahrt mit Fahrzeugen ,,leichter als Luft`` (Ballon, Luftschiff) von den Anfängen bis 1910. Tübingen, 1963, p. 287, 294, 320, 497. |