| AMONCELER, verbe trans. I.− Emploi trans. Réunir plusieurs choses en un ensemble important formant un monceau, un grand tas. A.− [L'obj. désigne une chose concr.] Amonceler des papiers, de l'or : 1. À la ganterie, toute une rangée de dames étaient assises devant l'étroit comptoir, tendu de velours vert, à coins de métal nickelé : et les commis souriants amoncelaient devant elles les boîtes plates, d'un rose vif, qu'ils sortaient du comptoir même, pareilles aux tiroirs étiquetés d'un cartonnier.
É. Zola, Au Bonheur des dames,1883, p. 484. 2. Donc ayant achevé d'amonceler les provisions, de clouer les caisses, de nouer les sacs, tu passais royal parmi les bêtes, flattant l'une, gourmandant l'autre, t'aidant du genou pour serrer un peu telle courroie de cuir, et t'enorgueillissant, une fois hissé le chargement, de ne le voir glisser ni vers la droite ni vers la gauche...
A. de Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 929. B.− [L'obj. désigne une chose abstr.] 3. On trouve dans certains livres des lumières artificielles, assez semblables à celles des tableaux, et qui se font par la même sorte de mécanisme, en amoncelant les obscurités dans certaines parties, et en les délayant dans d'autres.
J. Joubert, Pensées,t. 2, 1824, p. 96. − Rare, littér. [Le compl. d'obj. est un sing. désignant une chose qui comporte des degrés] Faire grandir de manière à rendre insurmontable : 4. Pour moi, voici deux ans que j'ai commis le péché de voir le rêve dans sa nudité idéale, tandis que je devais amonceler entre lui et moi un mystère de musique et d'oubli. Et maintenant, arrivé à la vision horrible d'une œuvre pure, j'ai presque perdu la raison et le sens des paroles les plus familières.
S. Mallarmé, Correspondance,1868, p. 270. 5. Cependant, la tension de se maintenir d'une seule main sur ce cheval véhément, de le guider, de surveiller la vache, de soutenir la lourde pique, de viser, amoncelaient en lui une telle fatigue qu'enfin il fallut se décider. La pique trop faiblement poussée, dévia; la vache rua de côté, le cheval fit un écart.
H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 409. Rem. Dans ces emplois amonceler est une sorte de superlatif, par figure étymol., de verbes comme faire grandir, accumuler (cf. accumuler de la fatigue). II.− Emploi pronom. [En parlant de choses, plus rarement de pers., de groupes de pers.] Se réunir en un ensemble important ne formant plus qu'un tout. A.− [Le suj. désigne une chose concr.] :
6. Les armoires, les manteaux héraldiques, la mitre la couronne, le chapeau électoral, le chapeau cardinal, les sceptres, les épées, les crosses abondent, s'entassent et s'amoncellent sur ces monuments, et s'efforcent de recomposer devant l'œil du passant cette grande et formidable figure qui présidait les neuf électeurs de l'empire d'Allemagne et qu'on appelait l'archevêque de Mayence.
V. Hugo, Le Rhin,1842, p. 244. 7. Le vent sifflait par les vastes chambres, à travers les carreaux brisés; des lames de parquet étaient pourries de pluie; la poussière s'amoncelait dans les angles, noirs d'araignées...
É. Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 269. − P. anal. : 8. C'était une belle matinée d'Océanie, tiède et tranquille; il n'y avait pas un souffle dans l'atmosphère; cependant des nuages lourds s'amoncelaient tout en haut dans les montagnes...
P. Loti, Le Mariage de Loti,1882, p. 200. B.− [Le suj. désigne des pers. ou un coll., au plur. ou au sing.] :
9. Toute cette foule vient enfin déferler, s'amonceler et geindre dans le carrefour où s'ouvrent les trous du poste de secours.
H. Barbusse, Le Feu,1916, p. 303. 10. Sise au bord de l'Adour, à la limite du Gers, des Landes et des Basses-Pyrénées, Barcelonne est renommée pour ses foires. Périodiquement, comme une marée, un peuple s'y amoncelle et s'en écoule...
J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 1, 1921, p. 74. 11. C'est que le destin les attendait un peu plus outre, à vingt kilomètres, dans les plaines de Barcelone, sous les murs d'Aire, qui avait déjà vu venir Alaric et les Sarrasins courant s'amonceler à Poitiers, sous le marteau sanglant de D'Héristal, − les attendait pour les faire buter là, et s'abattre sur un tapis d'herbe nouvelle, et mordre enfin le sol.
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 1, 1925, p. 104. C.− Au fig. : 12. L'apostat sentoit intérieurement que les haines publiques s'amonceloient sur sa tête : c'est ainsi que dans la crainte de soulever le peuple en faveur d'un vieux prêtre des dieux, il avoit laissé Démodocus errer obscurément au milieu de Rome.
F.-R. de Chateaubriand, Les Martyrs,t. 3, 1810, p. 128. 13. Les expressions de son amour s'amoncelaient aussi sous son front, mais rien que là. Alors Ninon le baisa goulûment, comme si elle l'eût voulu manger...
R. Boylesve, La Leçon d'amour dans un parc,1902, p. 131. 14. Mais, maintenant, je ne peux plus. Les objections s'amoncellent autour de moi; presque chaque jour, j'en rencontre une nouvelle!
R. Martin du Gard, Jean Barois,1913, p. 235. III.− Vx. MAN. Amonceler, s'amonceler. ,,Se dit d'un cheval bien ensemble, bien sous lui, et qui marche sur les hanches sans se traverser.`` (Littré). Rem. Attesté ds la plupart des dict. gén. du xixesiècle. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [amɔ
̃sle], j'amoncelle [ʒamɔ
̃sεl]. Passy 1914 note une durée mi-longue pour la 2esyllabe du mot, Barbeau-Rodhe 1930 une durée longue pour la 2esyllabe de l'inf. et une durée mi-longue dans le cas de la forme conjuguée. 2. Forme graph. − Pour l'alternance [ə] muet/[ε] ouvert dans la conjug., cf. acheter. Littré précise pour la forme conjuguée : ,,quelques-uns mettent un accent grave et une seule l : j'amoncèle, j'amoncèlerai``. Étymol. ET HIST. − 1. 1125 trans., propre « mettre en monceau, entasser » (Grant mal fist Adam, str. 126ads Gdf. Compl. : Por nient travaillum E amuncelum E l'or e l'argent); 1erquart xiiies. fig. (Renclus de Moil., Miserere, CCXX, 5, ibid. : Les maus ke t'as amonchelé?); 2. av. 1300 amonceler les pieds « les rapprocher en les serrant pour qu'ils ne forment qu'un seul ensemble » (Guiteclin de Sassoigne, Ms. de Gaignat, fo251, Vecol. 2 : A tant ez vous Guifier, le Seignor de Bourdèle Deseur le blanc Liart qui les piez amoncèle); d'où 1690 man. (Fur. : [...] On dit quelquefois au Manege, qu'un cheval amoncele, pour dire, qu'il est bien sous luy, qu'il marche sur les hanches, et sans se traverser).
Dér. de l'a. fr. moncel, monceau*; préf. a-1*, dés. -er. STAT. − Fréq. abs. litt. : 418. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 695, b) 808; xxes. : a) 585, b) 395. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bonnaire 1835. − Caput 1969. − Dup. 1961. − Fér. 1768. − Guizot 1864. − Laf. 1878. − Lav. Diffic. 1846. − Noter-Léc. 1912. − Prév. 1755 [s.v. amonceller]. − Sardou 1877. − Sommer 1882. − Synon. 1818. |