| AISÉ, ÉE, adj. A.− Commode. 1. Vx, rare. a) [En parlant de choses (cf. aisance A 2 b)] Où l'on est à l'aise. Souliers aisés, vêtements aisés (Littré); voiture aisée (Ac. 1798-1878) : 1. Toute idée sage tient l'homme à sa place dans l'univers, la lui fait sentir et la lui fait aimer, comme un lieu natal, aisé, commode, accoutumé.
J. Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 283. 2. Je vais reprendre mes travaux ordinaires et m'avancer de tout mon pouvoir vers le but que je me suis donné. J'en suis séparé par une assez forte distance, et le chemin n'est pas des plus aisés; ...
M. de Guérin, Correspondance,1835, p. 228. 3. ... il exécuta mon fantassin, celui que je voulais proposer à la compagnie comme idéal. Voici à quoi nous nous arrêtâmes : guêtres d'ordonnance; pantalon bleu, aisé, sans sous-pieds, avec bande jaune et deux lisérés jaunes; ourson à plaque jaune, orné d'une torsade jaune, comme les chasseurs de la garde impériale; épaulettes jaunes; frac à boutons jaunes et aiguillettes jaunes.
L. Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 176. b) [En parlant d'une pers. ou de son caractère] Accommodant. Cet homme est aisé à vivre (Besch. 1845); cet homme n'est pas aisé : ,,il est d'une humeur, d'un caractère difficile``. (Poit. 1860). 2. [En parlant d'une tâche] Qui peut se faire sans peine. Anton. malaisé : 4. Certes, aller chercher dans les bas-fonds de l'ordre social, là où la terre finit et où la boue commence, fouiller dans ces vagues épaisses, poursuivre, saisir et jeter tout palpitant sur le pavé cet idiome abject qui ruisselle de fange ainsi tiré au jour, ce vocabulaire pustuleux dont chaque mot semble un anneau immonde d'un monstre de la vase et des ténèbres, ce n'est ni une tâche attrayante ni une tâche aisée. Rien n'est plus lugubre que de contempler ainsi à nu, à la lumière de la pensée, le fourmillement effroyable de l'argot.
V. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 188. 5. Théâtre. L'auteur au critique :
− Vous feriez bien mieux d'écrire de bonnes pièces!
− Vous aussi, répond le critique.
La critique est aisée et l'art est difficile, et les deux ne sont pas commodes.
J. Renard, Journal,1907, p. 1108. Rem. 1. Syntagmes. Aisé s'applique de préférence à des tâches intellectuelles : tâche aisée; travail −; expérience aisée; la critique est aisée; œuvre aisée (G. Duhamel, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, p. 209). 2. ,,Aisé, facile. Le premier se rapporte à l'état des choses en elles-mêmes; ce qui est aisé n'offre dans sa nature même aucun obstacle sérieux. Le second se rapporte plutôt à la position de celui qui veut faire quelque chose; si les personnes qui l'entourent ou les circonstances dans lesquelles il se trouve n'opposent point d'obstacles, la chose à faire est pour lui facile : l'entrée d'un port est aisée lorsqu'elle est large et commode à passer; elle est facile lorsque personne n'arrête au passage.`` (Nouv. Lar. ill.); ,,pour le style, aisé indique le naturel, facile marque plutôt le relâchement`` (Lar. 20e). − Spéc. Aisé + prép. + inf. ♦ Aisé à + inf. (notamment des verbes de perception ou d'action : concevoir, faire, sentir, voir).Cela vous est bien aisé à dire (Besch. 1845); une chose plus aisée à dire qu'à faire (Besch. 1845) : 6. Ce n'est pas sans peine que j'ai su l'anglais, quoiqu'on ait pris la mauvaise habitude de dire qu'il n'y a rien de si aisé à apprendre. L'étude de la langue la plus aisée est toujours difficile, quand on veut vraiment la savoir. Ce n'est qu'au bout de trois ans que j'ai joui du fruit de mes peines. Et, cependant, sans avoir une facilité extraordinaire, je ne manque pas d'aptitude pour apprendre.
É.-J. Delécluze, Journal,1827, p. 380. 7. Nul ne peut vouloir sans faire. (...) J'entends que l'exécution doit précéder le vouloir. Comment cela? rien n'est plus simple ni plus aisé à comprendre si l'on considère l'homme tout entier, l'homme dans la situation de l'homme, tel qu'il est né, tel qu'il a grandi. Que l'homme agisse avant de vouloir, c'est ce qui est évident par l'enfance.
Alain, Propos,1932, p. 1075. 8. Il importait dès lors, pour combattre la thèse spontaniste, de reproduire les expériences de Spallanzani, mais dans des conditions telles qu'on ne pût imputer au manque d'oxygène la stérilité des infusions chauffées (...). Expérience fort aisée à concevoir, mais assez difficile à réaliser de façon irréprochable.
J. Rostand, La Genèse de la vie,1943, pp. 75-76. ♦ Il est aisé de + inf. : 9. Plus tard, il [l'Empereur] observait combien, après tout, il était tout à la fois aisé et difficile de l'approcher, d'avoir affaire à lui, de s'en faire juger; combien il tenait peu avec lui de faire sa fortune ou de la manquer.
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 2, 1823, p. 53. B.− [En parlant de pers. ou de leur niveau de vie] Qui a de l'aisance, qui vit dans l'aisance (cf. aisance B). Les classes aisées : 10. Après avoir pris soin de nos chevaux, ce brave colon nous montra, avec une espèce de vénération, la souche du premier pin qu'il avoit renversé quelques années auparavant, nous fit observer ce qu'il avoit déjà fait, et ce qu'il lui restoit encore à faire avant de devenir aisé et opulent.
J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'État de New-York,t. 1, 1801, p. 45. 11. Un petit nombre d'hommes des classes aisées et privilégiées, dévore la subsistance d'une grande multitude; (...) pendant ce temps, les hommes et les femmes de la classe pauvre, à qui on enlève journellement une partie considérable du fruit de leurs travaux, sont affaiblis par une fatigue excessive, languissent dans la misère, et sont vieux avant le temps.
A.-L.-C. Destuit de Tracy, Commentaire sur l'Esprit des lois de Montesquieu,1807, p. 379. 12. Daudet reproche à sa femme, gentiment et d'une manière philosophique, de ne pas connaître la pitié pour le malheur. Elle répond très franchement que cela n'est plus, mais que cela était autrefois, quand elle était toute jeune, toute bien portante, toute vivante dans le bonheur d'une existence facile et aisée, et qu'alors il n'y avait dans la charité qu'elle faisait aucun attendrissement, rien de son cœur.
E. et J. de Goncourt, Journal,mars 1877, pp. 1175-1176. 13. Les rapports de l'homme avec Dieu m'ont de tout temps paru beaucoup plus importants et intéressants que les rapports des hommes entre eux. Il était du reste assez naturel que, né dans une situation aisée, je n'aie pas eu à me préoccuper beaucoup de ceux-ci. Si mes parents avaient eu à gagner péniblement leur vie, il n'en eût sans doute pas été de même.
A. Gide, Ainsi soit-il,1951, pp. 1175-1176. Rem. 1. Aisé est associé à opulent, riche et s'oppose à pauvre. 2. Syntagmes. Aisé caractérise souvent le possesseur d'une terre : colon aisé; paysan − (G. Sand, Histoire de ma vie, t. 3, 1855, p. 203); cultivateurs aisés (H. de Balzac, Le Médecin de campagne, 1833, p. 106); paysans aisés (A. de Lamartine, Les Confidences, 1849, p. 93); propriétaire − (J.-B. Say, Traité d'économie politique, 1832, p. 130). On relève encore existence facile et aisée; situation aisée; vie aisée (H. de Balzac, op. cit., p. 64); les classes aisées et privilégiées; les familles riches ou aisées (J.-A. de Gobineau, A. de Tocqueville, Correspondance, lettre de J.-A. de G. à A. de T., 15 janv. 1856, p. 248). 3. Emploi subst., vx (Ac. 1835). Les aisés. Les riches (Ac. 1798, 1835); la taxe des aisés; on l'a mis sur le rôle des aisés (Ac. 1835). C.− [En parlant d'une pers. ou de son comportement] Qui a de l'aisance, du naturel (cf. aisance C). 1. [En parlant du corps, des mouvements et des attitudes d'une pers.] Taille aisée; démarche aisée; gestes aisés; voix aisée; vol aisé (Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869, p. 309) : 14. Marthe avait de très-petits pieds, et les pieds d'une Parisienne, de petits pieds remuants, coquets, presque spirituels. Elle avait aussi de petites mains avec des fossettes et des ongles roses, et toutes sortes de jolis gestes au bout des doigts. Sa taille était libre, aisée et ronde.
E. et J. de Goncourt, Charles Demailly,1860, p. 224. 15. Il était fort élégamment mis, en tenue légère, avec une cravate un peu lâche et des habits larges, tels qu'il aimait à les porter, surtout en été. Il avait cette démarche aisée, cette façon libre de se mouvoir dans des habits flottants qui lui donnaient à certains moments comme un air fort original de jeune homme étranger, soit anglais, soit créole.
E. Fromentin, Dominique,1863, p. 89. 16. À part son regard, il est calme, naturel, presque bonhomme... Ses gestes sont aisés, sa voix ne tremble plus... Je me tais... Et Joseph, reprenant le journal qu'il avait posé sur la table, se remet à lire le plus tranquillement du monde...
O. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 179. 17. Papa disait d'une voix fort aisée : − Vous pouvez compter sur moi. Mes hommages, Madame. Oui, Madame. Au revoir, Madame. Une créancière. Je connaissais trop bien cette voix de papa, faussement aisée. Quelle histoire encore?
P. Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie,1939, p. 306. 2. [En parlant des qualités d'expr. intellectuelle ou morale] Style aisé, vers aisé (Ac. 1798-1932) : 18. Je ne puis écouter ni concevoir qu'avec effort, cela me donne un air contraint et sérieux. Je n'ai pas le bonheur de porter dans les affaires, même courantes, ce ton aisé et dégagé que je vois aux hommes qui ont l'habitude des affaires et qui disposent de leurs facultés, etc.
Maine de Biran, Journal,1816, p. 234. 19. ... je sentis bien que j'étais vaincu par Venise. Au contact de la loi que sa beauté révèle, la loi que je servais faillit. J'eus le courage de me renoncer. Mon contentement systématique fit place à une sympathie aisée, facile, pour tout ce qui est moi-même.
M. Barrès, Un Homme libre,1889, p. 171. 20. ... j'arrivai vite à comprendre que les choses réputées les pires (le mensonge, pour ne citer que celle-là) ne sont difficiles à faire que tant qu'on ne les a jamais faites; mais qu'elles deviennent chacune, et très vite, aisées, plaisantes, douces à refaire, et bientôt comme naturelles.
A. Gide, L'Immoraliste,1902, p. 404. 21. Ce style fabriqué et faux, dit-on encore; ou bien : ce style naturel et aisé; ces pages pleines de rhétorique ou ces pages pures de rhétorique... ainsi de suite.
Je ne voudrais pas donner à la dispute des critiques plus de gravité qu'elle n'en a. Pourtant, comment ne point observer qu'elle trahit ici une divergence plus grave que celle que l'on a pu soupçonner jusqu'à présent : une divergence de langage.
J. Paulhan, Les Fleurs de Tarbes,1941, pp. 192-193. Rem. 1. Aisé est associé à dégagé, naturel, facile. 2. Syntagmes langue aisée, ton aisé, style −, sympathie aisée, politesse aisée (N.-E. Restif de La Bretonne, Monsieur Nicolas, 1796, p. 110). Avec une nuance péj. dévotion aisée (Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 338); morale aisée (Littré). Prononc. : [εze] ou [e-]. Passy 1914, Dub. transcrivent la 1resyllabe avec [ε] ouvert, Grég. 1923, Harrap's 1963 et Pt Rob. avec [e] fermé. Warn. 1968 donne les 2 possibilités de prononc. D'apr. Warn. 1968, la prononc. en [ε] relève du lang. soutenu, la prononc. en [e] du lang. cour. (= harmonisation vocalique). Cf. aussi Grammont Prononc. 1958, p. 41. − Rem. Land. 1834, Nod. 1844, Littré et DG transcrivent la 1resyllabe avec [ε]; Fér. 1768, Fér. Crit. t. 1 1787, Gattel 1841 et Fél. 1851 notent [e]. Étymol. ET HIST. − 1170 « qui se fait sans peine » (Livres des Rois, ms. des Cord., fo67a ds Gdf. : Il n'est plus aised a estre a curt); 1272-1309 « content, satisfait » (Joinville, St Louis, p. 139, Michel, ibid. : L'ame de li en va en plus aisié cors qu'elle n'estoit devant).
Part. passé adjectivé de l'a. fr. aisier « mettre à l'aise, fournir ce qui est nécessaire », attesté dep. ca 1180 sous la forme eisier (Horn ds Gdf.), dér. de aise*, et qui a peu à peu remplacé l'a. fr. aaisier qui avait donné parallèlement à aisié, aisé, l'a. fr. aaisié attesté à la fin du xiies. au sens de « qui a du bien, puissant » (Chrestien de Troyes, Perceval le Gallois, éd. Potvin, 3101 ds T.-L. : Poissans et aaisiés et rices) et au sens de « satisfait, heureux » fin xiies.-début xiiies. (Jourd. de Blaivies, 65, Hofm. ds Gdf. : Il le vit bel et molt bien aaisié). [L'a. français heiser (Garn., Vie de S. Thom.) classé par Gdf. s.v. aisier est en réalité une mauvaise lecture pour aeiser.] STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 701. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 3 323, b) 1 730; xxes. : a) 2 028, b) 2 250. BBG. − Bailly (R.). 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Boiss.8. − Bonnaire 1835. − Bruant 1901. − Dub. Pol. 1962, p. 14, 18. − Dup. 1961. − Fér. 1768. − Girard 1756. − Gottsch. Redens. 1930, p. 209. − Guizot 1864. − Kold. 1902. − Laf. 1878. − Lav. Diffic. 1846. − Le Roux 1752. − Noter-Léc. 1912. − Sardou 1877. − Sommer 1882. − Synon. 1818. |