| AGACEMENT, subst. masc. Action d'agacer ou de s'agacer. État qui résulte de cette action. A.− [En parlant d'une sensation phys.] Légère douleur irritante. 1. [Avec un compl. prép. de, indiquant la cause de l'irritation] :
1. ... la soif s'étanche aussi bien par l'agacement d'une groseille aux dents que par l'eau de toute la cruche; et si, pour trouver de l'ouvrage, il faut essuyer les injures du temps, tout de même le voyage a ses moments de plaisir, et l'ombre sur la route fait oublier le chaud.
A. de Lamartine, Cours familier de littérature, 40eentretien, 1859, pp. 256-257. 2. Sous l'agacement du bruit, il arrive une espèce de maladie nerveuse de l'oreille. L'acuité de la perception devient douloureusement infinie; elle ne souffre pas seulement du bruit, mais de la prévision et de l'attente du bruit; et le bruit fait, elle souffre de ce qui est si long à mourir dans les ondes sonores.
E. et J. de Goncourt, Journal,févr. 1868, p. 404. 3. Germaine Baader dort d'un sommeil suffisamment régulier et profond. Elle n'est pas très sensible au léger agacement de la lumière; car il règne dans la chambre une obscurité très imparfaite. Le jour extérieur, dont la clarté s'avive encore des scintillements de la Seine, passe par-dessus les volets mal ajustés et les doubles rideaux, met au plafond une large bande blanche qui ressemble à un tremblement de pierreries, et envoie vers la tête du lit un reflet.
J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,Le 6 octobre, 1932, p. 36. 2.− Emploi abs. : 4. Une odeur sui generis est une sensation comprise dans le genre très naturel des odeurs; mais elle ne nous est guère mieux connue pour cela, si nous ne l'avons pas ressentie, que telle autre sensation qui ne rentre pas dans la catégorie des impressions reçues par un des sens spéciaux et qu'on ne sait dès lors comment distribuer en genres : par exemple, l'agacement nerveux que le frôlement de certains corps produit chez quelques personnes, et non chez d'autres.
A. Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances,1851, p. 343. − Au plur. : 5. La malade ressent des douleurs et des agacements dans tous les membres, ...
P. Janet, Les Obsessions et la psychasthénie,1903, p. 10. B.− Domaine psychol.Irritation à la fois nerveuse et morale. Stylistique − Le mot est gén. péj. Except. il peut désigner une excitation légère, mais agréable :
18. La semaine d'avant, son flirt avec Minne lui procurait un agacement délicieux...
Colette, L'Ingénue libertine, 1909, p. 177.
19. Je tripote les fards et les crayons sur la tablette, avec cet agacement gourmand, ce prurit du maquillage, connu de tous ceux qui ont abordé le plateau...
Colette, La Vagabonde, 1910, p. 126.1. Emploi gén. abs. : 6. La lecture de l'acte d'accusation ne va pas sans nous causer quelque étonnement. On s'attendait à plus, à mieux; devant l'importance de certains détournements, que les jurés se rappelaient l'un à l'autre avant l'ouverture de la séance, les chaparderies reprochées aux prévenus nous paraissent des peccadilles, et l'étonnement cède vite à l'ennui, à la fatigue, et même, pour quelques-uns des jurés, à l'agacement, à l'exaspération, au cours de l'interrogatoire.
A. Gide, Souvenirs de la Cour d'assises,1913, pp. 667-668. 7. ... la fréquentation de la crapule, la profonde habitude qu'a celle-ci de ne pas répondre à une lettre, de manquer à un rendez-vous sans prévenir, sans s'excuser après, lui donnait, comme il s'agissait souvent d'amours, tant d'émotions et, le reste du temps, lui causait tant d'agacement, de gêne et de rage, qu'il en arrivait parfois à regretter la multiplicité de lettres pour un rien, l'exactitude scrupuleuse des ambassadeurs et des princes, lesquels, s'ils lui étaient malheureusement indifférents, lui donnaient malgré tout une espèce de repos.
M. Proust, À la recherche du temps perdu,Sodome et Gomorrhe, 1922, p. 1067. 8. Augustin parlait bas, pleurait d'émotion, d'agacement, de désarroi, de dépit et de joie, cœur contraint et consentant.
J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 2, 1933, p. 484. 9. ... il ajoute cette parole étonnante : heureux ceux qui ne sont pas scandalisés en moi, c'est-à-dire qui ne trouvent pas les actes miraculeux et bienfaisants que je répands autour de moi une occasion de scandale (c'est-à-dire de toutes les nuances de la colère, depuis l'indignation jusqu'à un sourd agacement). Cette parole vaut la peine d'être approfondie.
P. Claudel, Un Poète regarde la Croix,1938, p. 23. 10. De temps en temps, la porte du laboratoire s'ouvrait. Laurent tournait aussitôt la tête, en un geste qui manifestait de l'agacement, de l'inquiétude et même un peu d'anxiété.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Combat contre les ombres, 1939, p. 13. 11. Je pensai avec agacement : voilà ce qu'ils ont trouvé : la synchronisation! comme si ça prouvait quelque chose; comme si ça pouvait tenir lieu d'entente. Même si nous jouissions ensemble, en serions-nous moins séparés? Je sais bien que mon plaisir n'a pas d'écho dans son cœur, et si j'attends le sien avec impatience, c'est seulement pour être délivrée.
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 75. − [Compl. d'un subst. indiquant s'il s'agit d'un état durable ou d'une réaction momentanée, etc.] :
12. Allé au journal. Lu les journaux. Corrigé mon feuilleton dans un état d'agacement et d'impatience vraiment incompréhensible.
J. Barbey d'Aurevilly, Deuxième Memorandum,1839, p. 269. 13. C'était miracle qu'elle réussit à se tenir debout sur ses ridicules petits souliers de velours trempés d'eau, et elle devait repousser du pied, en marchant, avec un geste d'agacement puéril, un pan déchiré de la longue jupe.
G. Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1402. 2. Au plur., emploi gén. abs. Agacements provoqués ou subis; contrariétés, vexations, ennuis légers mais désagréables parce que répétés et continus : 14. Puis l'article, le sonnet et la bouquetière lui semblèrent insipides et fastidieux. Il traîna encore une semaine d'agacements et s'en alla...
A. France, Jocaste,1879, p. 122. 15. Berthe rattachait aux habitudes religieuses de sa mère les réveils maussades imposés à la maison en pleine nuit, et aussi cette atmosphère de léthargie où finissait la soirée. Ces agacements quotidiens tournaient contre la religion son esprit d'analyse et elle ne laissait guère de répit aux croyances de sa mère.
J. Chardonne, L'Épithalame,1921, p. 35. 16. Votre article a fait ici beaucoup d'impression, on voudrait même le traduire dans une revue locale. Ce n'est pas un article de polémique, c'est une exécution définitive. Méprisez tous ces petits agacements. Vous avez dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, car il n'y a personne dans le fond qui n'ait pour l'abject et stupide épilogueur du Mercure le mépris qu'il mérite.
P. Claudel, A. Gide, Correspondance,lettre de P. C. à A. G., 1899-1926, pp. 144-145. 17. Je ne sais pourquoi, mais, perché tout là-haut, je me sens tout autre. Dominant les toits bleus de La Belle Angerie et uniquement dominé par le vent d'ouest ou les ramiers qui tournent longuement autour de leurs nids, je me détache de ma vie. Les mille agacements, les mille vétilles dont nous souffrons beaucoup plus que d'une grande blessure, les voilà qui tombent, les voilà qui tapissent les sous-bois très au-dessous de moi, comme les aiguilles brunes de sapin.
H. Bazin, Vipère au poing,1948, p. 228. Rem. Assoc. paradigm. fréq. a) Synon. anxiété, contrariété, crispation, désagrément, douleur, énervement, ennui, exaspération, excitation, fatigue, gêne, impatience, inquiétude, irritation, nervosité, picotement, taquinerie; b) Anton. adoucissement, agrément, apaisement, calme, consolation, plaisir, soulagement. Prononc. : [agasmɑ
̃]. Enq. : /agasmã/. Étymol. ET HIST. − Apr. 1400 agassement « irritation » (La Nef de santé, fo33 vo, ds Gdf. Compl. : Agassement); 1539 agacement « id. » (R. Estienne, Dict. François lat., s.v. Agacer. Agacement : Agacement, Irritatio); 1549 agacement de dens « irritation ou engourdissement des dents » (Id., ibid. s.v. Agacer : Agacement, Irritatio, Prouocatio. Agacement de dens, Stupor dentium, vel Hebetatio); emploi fig. 1718 agacement « irritation » (Ac. : Agacement [...] Il se dit figurément de toutes les petites choses qu'on dit ou qu'on fait pour picquer quelqu'un, soit en raillerie, soit autrement).
Dér. du verbe m. fr. agasser, agacier (fr. mod. agacer*); suff. -ement (-ment1*). À signaler l'existence en a. fr. du subst. masc. aacement « agacement », 1256 (Alebrand, Regime, Richel. 12021, fo37 vods Gdf. : Se vous voles removoir le aacement des dens), dér. de l'a. fr. aacier les denz, 1231, agacer*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 193. BBG. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Boiss.8. − Dup. 1961. − Lar. méd. 1970. − Littré-Robin 1865. − Nysten 1814-20. |