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AFFREUX, EUSE, adj. et subst.
Qui inspire ou est propre à inspirer tous les degrés de l'horreur ou de l'angoisse douloureuse.
A.− Adjectif
1. Domaine des sens
a) [Dominance de l'idée de terreur] :
1. Autour du gouffre ils n'aperçurent que des rochers stériles hérissant des côtes ténébreuses, ou suspendus en voûtes au-dessus de l'abîme. Des bruits lamentables, d'effrayantes clameurs, d'affreux rugissements, assourdissoient les navigateurs à mesure qu'ils s'enfonçoient dans ces solitudes d'eau et de nuit. F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 484.
2. La peur (et les hommes les plus hardis peuvent avoir peur), c'est quelque chose d'effroyable, une sensation atroce, comme une décomposition de l'âme, un spasme affreux de la pensée et du cœur, dont le souvenir seul donne des frissons d'angoisse. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, La Peur, 1882, p. 798.
b) [Dominance de l'idée de douleur]
[En parlant d'un état, d'un événement etc.] Qui suscite ou exprime une extrême douleur :
3. Nous apprenions ainsi à n'avoir aucune de ces répugnances qui rendent plus tard l'homme faible devant la maladie, inutile à ceux qui souffrent, timide devant la mort. Elle ne nous écartait pas des plus affreux spectacles de la misère, de la douleur et même de l'agonie. A. de Lamartine, Les Confidences,1849, pp. 87-88.
4. Je suis rentré assez tristement, sous la pluie. Le peu de vin que j'avais pris me causait d'affreuses douleurs d'estomac. G. Bernanos, Journal d'un Curé de campagne,1936, p. 1055.
c) [Dominance de l'idée de laideur physique (par réf. à l'idée du Beau)]
[En parlant surtout d'un animé] Qui inspire de la répulsion ou du dégoût :
5. Il y a quelques jours, j'ai rencontré trois pauvres idiotes qui m'ont demandé l'aumône. Elles étaient affreuses, dégoûtantes de laideur et de crétinisme, ... G. Flaubert, Correspondance,1845, p. 178.
6. Le bon Dieu fut vertement tancé pour avoir inventé la barbe. L'homme orné de cette chose fut déclaré bouc. La barbe fut décrétée laide, sotte, sale, immonde, infecte, repoussante, ridicule, antinationale, juive, affreuse, abominable, hideuse, et, ce qui était alors le dernier degré de l'injure, − romantique! V. Hugo, Correspondance,1845, p. 623.
Par hyperb. [En parlant surtout d'un inanimé] Qui blesse les sens, en particulier la vue et l'ouïe :
7. Je demeurai assise toute la journée sur la plage à regarder les baigneurs dans l'eau. Ils arrivaient gros ou minces, tous laids dans leurs affreux costumes; ... G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Enragée? 1882, p. 884.
8. Joli, beau, superbe, merveilleux, idéal ou laid, affreux, mesquin, atroce, insupportable, voilà ce qui sort aussitôt de toutes les bouches, dans une exposition de tableaux, une audition musicale ou dramatique... Griveau, Éléments du beau,1892, p. 5.
2. Domaine moral.[Par réf. à l'idée du Bien]
[En parlant d'un acte répréhensible ou d'une pers. qui commet de tels actes] Qui inspire la réprobation :
9. ... le tumulte et la confusion, les cris et l'horreur étoient au comble, et tous ces attentats affreux se commettoient par des hommes plus affreux encore, et au profit d'un seul homme, auquel la société devoit donner la mort, et qui la méritoit mille fois. H. de Balzac, Annette et le criminel,t. 4, 1824, p. 100.
10. Trouvé le personnage, un interminable vieillard à tête de cheval de bois. Ô le pharisien! l'affreux prêtre! il me déclare tout d'abord, du haut d'un glacier, qu'il ne sait absolument pas ce qui m'amène, ... L. Bloy, Journal,1900, p. 270.
11. La duchesse de Boutteville était une personne d'allure et d'esprit pittoresques, mais non dépourvue d'une certaine modération sereine − qu'elle abandonnait lorsqu'il était question de la République et des Républicains. Pour les qualifier, elle disposait d'un vocabulaire restreint, mais précis : « cet affreux régime » − « cet affreux président » − « ces affreux députés » − « ces affreux scandales, oui mes amis, qui prouvent bien notre décadence ». Parfois des images colorées, d'un style curieusement populaire, venaient rehausser le langage de la duchesse : « cette affreuse Marianne, qui a trempé son bonnet dans le sang des meilleurs Français, parfaitement... » M. de Saint-Pierre, Les Aristocrates,Paris, Livre de poche, 1954, pp. 386-387.
Spéc. Affreux à + inf. :
12. Une chose affreuse à dire, affreuse à voir de ses yeux, m'a chassée des demeures de Loxias, une chose qui ne me laisse ni force, ni stature! P. Claudel, Les Euménides,trad. d'Eschyle, 1920, I, p. 950.
3. P. ext.
a) Souvent par hyperb. [Pour exprimer un jugement de valeur] Très mauvais :
13. Le temps était doux, les chemins affreux. Un soleil pâle éclairait d'une lumière argentine les champs sans verdure et les arbres sans feuillage, et la neige des montagnes brillait faiblement derrière une brume légère. R. Toepffer, Nouvelles genevoises,1839, pp. 324-325.
14. « Alors? Comment ça va? » dit-il dans son affreux français. S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 311.
b) [L'idée superl. seule subsiste] Extrême, excessif :
15. Je n'ai rien reçu d'Isabelle aujourd'hui, bien qu'elle me l'ait promis dans sa dernière lettre. Je ne suis pas inquiet mais triste. J'ai un besoin affreux de la revoir. Il me semble qu'il y a déjà des siècles que je l'ai quittée. J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,lettre de J. R. à A.-F., avr. 1909, p. 86.
4. Emplois affectifs de la lang. surtout parlée
a) Constr. impers., emphatique. C'est affreux, il est affreux de, etc. C'est terrible de..., c'est horrible de (cf. A 3 b) :
16. Andréa porte un cilice... tout son corps n'est plus qu'une horrible plaie... Mmede Kergaz jeta un cri. − C'est affreux! dit-elle, affreux... affreux! P.-A. Ponson du Terrail, Rocambole,t. 2, Le Club, des valets de cœur, 1859, p. 20.
17. ... j'étais avec des camarades de club, nous avions tous ramené une femme, et bien que je n'eusse envie que de dormir, les mauvaises langues avaient prétendu, car c'est affreux ce que le monde est méchant, que j'avais couché avec Odette. M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Prisonnière, 1922, pp. 299-300.
b) Emploi neutre. L'affreux, c'est que... :
18. Chacun tirait un numéro. Qui en attrapait un bon aurait un sort heureux. Cependant leur croyance voulait que sur les treize, d'obligation, se trouvât un damné. Pour le connaître, − c'était là l'affreux, − le sorcier pratiquait une sorte de cérémonie. H. Pourrat, Gaspard des Montagnes,Le Château des sept portes, 1922, p. 226.
19. ... c'est le corps qui souffre. Ma peau me fait mal, ma poitrine, mes membres. J'ai la tête creuse et le cœur soulevé. Et le plus affreux, c'est ce goût dans la bouche. Ni sang, ni mort, ni fièvre, mais tout cela à la fois. Il suffit que je remue la langue pour que tout redevienne noir et que les êtres me répugnent. A. Camus, Caligula,1944, I, 2, p. 26.
c) Par création anton. sur il fait beau (temps). Il fait affreux. Il fait un temps affreux :
20. Été voir Jacques Blanche hier. « Qu'il fait beau! », n'ai-je pu me retenir de lui dire en entrant. Mais lui tout aussitôt : « Oh! comment pouvez-vous dire cela? Il fait affreux. Vous appelez « beau temps » le seul que je ne puisse pas supporter. » De pareils mots m'indignent comme un blasphème. Je ne devrais aller voir Blanche que quand il pleut. A. Gide, Journal,1906, p. 206.
B.− Emploi subst.
1. Dans le lang. parlée très fam. [Désigne toujours une pers. présente] :
21. Il questionnait même ceux qu'il n'avait jamais vus : − Eh! toi, l'affreux, ça t'plaît comme ça d'pourrir ici? R. Benjamin, Gaspard,1915, p. 121.
Rem. Une nuance affective s'attache toujours à cet emploi; de même que vilain, affreux peut à la limite fonctionner comme un hypocoristique.
2. [Par ell. d'un subst. ant.] Rare et littér. :
22. Ô spectacle sacré! l'ombre secourant l'ombre, L'âme obscure venant en aide à l'âme sombre, Le stupide, attendri, sur l'affreux se penchant; ... V. Hugo, La Légende des siècles,t. 2, Le Crapaud, 1859, p. 738.
Rem. V. Hugo parle ici du crapaud qu'il oppose à l'âne le stupide, attendri.
Prononc. : [afʀø], fém. [-ø:z]. Enq. : /afʀø1, -ø2z, D/.
Étymol. ET HIST. − 1. a) Av. 1520 « épineux, âpre, sauvage (d'un paysage) » (Seyssel, trad. Appian, 129 [1544] ds Quem. t. 1 1959 : Une campagne seiche, affreuse et sterile); 1539 « id. » (R. Estienne, Dict. françois-lat. : voir ci-dessous); b) 1524-1585 « hirsute (d'une pers.) » (Rons., 630 ds Littré : Sautant du lict elle s'est resveillée : Nuds pieds, sans robe, affreuse [en désordre, d'apr. Littré] eschevelée...); 2. 1539 « qui cause de l'effroi, terrible, horrible » (R. Estienne, op. cit. : Affreux, Sentus, Horridus, Perhorridus. Affreux et espouantable a regarder, Toruus); 3. 1690 « laid (d'une pers.) » (La Bruyère, Les Caractères de Théophraste, etc., III, Des femmes, 6, 5eéd. : ... je leur prononce [aux femmes], de la part de tous les hommes ou de la plus grande partie, que le blanc et le rouge les rend affreuses et dégoûtantes); 4. 1712-1778 « méchant, cruel (d'une pers.) » (Rousseau de Genève ds Fér. Crit. t. 1 1787 : J'ai vu des hommes affreux pleurer de douleur aux aparences d'une année fertile). Dér. de affre*; suff. -eux*.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 6 168. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 10 928, b) 7 573; xxes. : a) 10 397, b) 6 594.
BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bonnaire 1835. − Bruant 1901. − Canada 1930. − Dup. 1961. − Éd. 1967. − Gramm. t. 1 1789. − Guiraud (P.). Mélanges d'étymologies argotiques et populaires. Cah. Lexicol. 1967, t. 10, no1, p. 16. − Guizot 1864. − Laf. 1878. − Lav. Diffic. 1846. − Le Breton Suppl. 1960. − Mat. Louis-Philippe 1951, p. 195. − Matoré (G.). Proust linguiste. In : [Mélanges Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, p. 286. − Pamart (P.), Riverain (J.). Mots dans le vent. Vie Lang. 1969, no212, p. 616. − Sandry-Carr. 1963. − Sommer 1882. − Synon. 1818.