| ACQUÉRIR, verbe trans. I.− Emploi trans. A.− [Le suj. du verbe désigne un animé pers.] 1. DR., langue commune. [Le suj. du verbe est un subst. animé ou à valeur coll.; l'obj. désigne un bien concr.] Devenir propriétaire d'un bien, à titre gratuit ou onéreux : 1. L'État permettra, facilitera même dans tous les sujets, le développement de l'industrie honnête, propre à chaque sexe, et l'emploi de tous les moyens naturels et acquis par lesquels tout homme puisse s'occuper, et toute famille acquérir quelque propriété.
L.-G.-A. de Bonald, Législation primitive,t. 2, 1802, p. 87. 2. ... elle l'[la coiffe] avait ou achetée de ses deniers, ou trouvée dans son coffre de mariage, ou reçue de quelque galant, tous bons moyens d'acquérir des dentelles. Mais de quelque façon qu'elle les eût acquises, je vois seulement qu'elle en jouissait comme d'un de ces biens de fortune qu'on trouve et qu'on perd d'aventure et sur lesquels on n'a point de droit naturel.
A. France, Les Opinions de Monsieur Jérôme Coignard,1893, p. 265. Rem. Syntagmes fréq. : acquérir une rente, des richesses, un immeuble, une somme, une terre, un terrain, une marchandise, des biens. − Emploi abs. : 3. Ils ne prévoyaient pas, ces vieux fondateurs du domaine de propriété, que le droit perpétuel et absolu de conserver son patrimoine, droit qui leur semblait équitable, parce qu'il était commun, entraîne le droit d'aliéner, de vendre, de donner, d'acquérir et de perdre :...
P.-J. Proudhon, Qu'est-ce que la propriété?,préf., 1840, p. 185. 4. Tout être, par cela seul qu'il est lui et non un autre, possède ce que nous appelons l'individualité. Tant qu'il subsiste, il s'appartient; il peut croître ou décroître, perdre ou acquérir; il peut communiquer à autrui quelque chose de soi, mais non pas le soi-même.
H.-D. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame,1848, p. 51. Rem. Dans ce dernier ex. on constate que l'acquisition peut avoir pour obj. n'importe quel bien, y compris les biens moraux. 2. Au fig. [Le suj. du verbe est un subst. animé ou à valeur coll.; l'obj. désigne un bien abstr., une qualité] Entrer en possession de ce bien, de cette qualité : 5. Une longue habitude de l'enseignement lui avait fait acquérir une grande clarté dans le style, et sinon le talent de beaucoup approfondir un sujet, du moins celui d'exposer très nettement les idées qu'il s'en était faites.
A.-L.-C. Destutt de Tracy, Éléments d'idéologie, Logique, 1805, p. 130. 6. ... leur chef étoit un Bavarois, Weisshaupt, homme d'un esprit supérieur, et qui avoit très-bien senti la puissance qu'on pouvoit acquérir en réunissant les forces éparses des individus, et en les dirigeant toutes vers un même but.
G. de Staël, De l'Allemagne,t. 5, 1810, p. 151. 7. « Chaque jour votre peuple se rend davantage digne de la liberté. Il acquiert chaque jour de l'énergie. Il paraîtra sans doute un jour avec gloire sur la scène du monde.
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 1, 1823, p. 539. Rem. Syntagmes rencontrés : acquérir des notions, des données, un résultat, la gloire, un talent, une idée, une réputation, de l'empire sur qqn, de l'ascendant sur qqn, de l'influence, un crédit auprès de qqn, de l'expérience, la notoriété, de la raison, un renom, une alliance, la preuve, la certitude, l'assurance que, la conviction que, l'impression que, la confiance, de la sympathie, quelque autorité, une habitude, des facultés, la dignité, une personnalité, des dons, la tranquillité d'esprit, l'indépendance, la sagesse, une gamme de vertus, des défauts, des mérites, la ferveur, des qualités, la conscience, l'humilité, la faculté d'admirer, des connaissances, etc. − Rare. Acquérir qqc. à qqn.L'aider à obtenir, lui procurer cette chose par un effort soutenu : 8. Que j'aime les héros dont je conte l'histoire!
Et qu'à m'occuper d'eux je trouve de douceur!
J'ignore s'ils pourront m'acquérir de la gloire;
Mais je sais qu'ils font mon bonheur.
J.-P.-C. de Florian, Fables,Le Savant et le fermier, 1792, p. 132. 3. Rare. [Le suj. et l'obj. désignent une pers.] Acquérir qqn.S'attacher quelqu'un, dont la sympathie et les services sont assurés : 9. − En somme, si elle se marie, « c'est qu'il n'y a pas d'autre carrière pour une fille ». Il lui faut un homme pour sortir, voyager; c'est un serviteur indispensable, un chambellan, un ordonnateur, un porte-respect. Sans doute, « l'état d'homme serait le plus agréable ». Ne pouvant acquérir l'état, on acquiert l'homme.
H. Taine.Notes sur Paris,Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, pp. 203-204. 10. L'homme aux lèvres de bronze se retire.
Quel était son but? Acquérir un ami à toute épreuve, assez naïf pour obéir au moindre de ses commandements.
Lautréamont, Les Chants de Maldoror,1869, pp. 345-346. B.− [Le suj. du verbe est une chose; l'obj. désigne une qualité] En venir à posséder cette qualité. Acquérir de l'importance. Devenir important. 1. [Le suj. est plus ou moins en rapp. avec la catégorie de l'animé; il désigne un attribut de l'homme, une de ses facultés, un produit de son travail,...] :
11. M. disait, à propos de l'utilité de la retraite et de la force que l'esprit y acquiert : « malheur au poète qui se fait friser tous les jours! »
S. Chamfort, Caractères et anecdotes,1794, p. 173. Rem. 1. Cet emploi est une ext. de l'emploi A 2, où il aurait pu figurer tout aussi bien. 2. Autres syntagmes relevés : une doctrine acquiert de l'importance; les jugements acquièrent du poids; les honneurs et les plaisirs acquièrent un grand prix; la médecine acquiert de l'influence; l'amour acquiert le charme de l'abandon, de nouvelles forces, etc. 2. Plus rare, littér. [Le suj. est sans rapp. immédiat avec la catégorie de l'animé] :
12. Le mur a peu d'épaisseur; mais il en acquiert davantage du côté des tours de Marboré, qui s'élèvent majestueusement au dessus de la porte...
J. Dusaulx, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées, t. 2, 1796, p. 174. Rem. 1. Il s'agit dans cet emploi d'une espèce de personnification du suj. 2. Autres syntagmes relevés : les fibres acquièrent la dureté du fer; l'enveloppe pierreuse acquiert la dureté du granit; le fluide acquiert du mouvement; le liquide acquiert de la chaleur; le cylindre de pâte acquiert une longueur qui...; le fer acquiert la propriété de l'aimant; les saumons boucanés acquièrent la dureté du bois. − En emploi absolu, vx. Devenir meilleur. Ce vin acquiert en vieillissant (Littré); ce vin acquiert (Ac.) II.− Emploi pronom. (correspond à I A 1 ou, plus gén. à I A 2, rarement à I B) A.− Emploi pronom. réfl. 1. S'acquérir qqc. − (Corresp. à I A 1). Devenir, par son action personnelle, propriétaire d'une chose matérielle : 13. − Mais, animal, lui criait le parrain, si ces choses n'existaient pas, tu serais maître forgeron comme moi depuis longtemps; tu te serais acquis du bien, tu pourrais vivre à ton aise.
Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 1, 1870, p. 30. − (Corresp. à I A 2). Posséder, grâce à son action personnelle, un bien non matériel, une certaine qualité : 14. ... en donnant asile à Mohsèn et à sa compagne, il s'acquérait une belle réputation de générosité, ...
J.-A. de Gobineau, Nouvelles asiatiques,Les Amants de Kandahar, 1876, p. 285. 2. S'acquérir qqn.S'attirer, par son action personnelle, les sympathies, gagner les services (de qqn). (Corresp. à I A 3) : 15. ... il se mêla à la conversation d'une manière discrète, mais qui indiquait en même temps le désir de nouer relation.
(...). La tentation de s'acquérir des compagnons de route, désir qui poignait évidemment l'inconnu, me prit aussi, et je vis que Lanze n'y répugnait pas; j'engageai donc de plus près l'entretien, et je suis ravi de l'avoir fait, car notre nouvelle connaissance nous a fort aidés à passer aujourd'hui de bonnes heures.
J.-A. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 14. B.− Emploi pronom. passif. Qqc. s'acquiert (par..., d'une certaine manière...). Devient la propriété ou la possession (par...) : 16. (690). Les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans.
Code civil,1804, p. 126. Rem. Syntagmes fréq. : la propriété des biens, la qualité de..., ces notions, la science, les vertus, les qualités, les connaissances... s'acquièrent. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [akeʀi:ʀ], j'acquiers [ʒakjε:ʀ]. Enq. : /akje2
ʀ, akeʀ-/. Conjug. s'enquérir. 2. Dér. et composés : acquéreur, acquêt, acquis, acquisitif, acquisition, acquisitivité, coacquéreur (cf. Rob.). Cf. quérir. 3. Forme graph. − Selon R. Thimonnier (Principes d'une réforme rationnelle de l'orthographe, 1968, p. 34), la graph. acq- est rég. : dans les verbes en [ak-] (cf. aussi acquitter), le 2ec se transforme normalement en qu devant é, i (p. oppos. avec les verbes en acc- du type accabler). 4. Hist. − Fér. Crit. t. I 1787 : ,,plusieurs auteurs écrivent aquérir``. Littré recommande de ne pas prononcer ,,a-krir comme en quelques provinces``. DG mentionne : ,,autrefois a-ke-rir [avec e « muet »]. Ac. ne met l'accent aigu qu'en 1762.`` Étymol. ET HIST. − 1148 acquerre, trans. « aller chercher, gagner (obj. animé) » (Prise d'Orange ds Guill. d'Orange, éd. Jonckbloet, 1627 ds T.-L. : Vos nos avez... Sus el palés aconduis et aquis); apr. 1174 id. « se procurer (obj. inanimé) » (Chron. d. Norm., éd. Fahlin, 627 : De lor païs erent mis fors Por metre en abandon lor cors, D'aquerre aveir, terre et vitaille); 1165 id. « gagner » intrans. (Chrét. de Troyes, Guill. d'Angleterre, éd. Wilmotte, 1963 : Si va gaaigner et aquerre En Flandres u en Engleterre); 1370 acquerir « id. » (Oresme, Politiques, fol. 17a ds Gdf. Compl. : Industrie d'acquerir par bataille est aucunement naturelle.)
Acquérir (dep. 1370, cf. sup.) réfection par chang. de conjug. et sur le modèle de querre (xies.), quérir (fin xiiies.) de l'a. fr. aquerre, du lat. vulg. *acquaerere, forme recomposée du lat. class. acquīrere, forme apophonique (cf. formes en -qu(a)e- du lat. médiév. ds Mittellat. W., s.v., 122, 63-66); cf. a. fr. conquerre − m. fr. conquérir, enquerre − (s')enquerir, requerre − requerir (Rheinfelder, II, § 625). Lat. acquirere (dep. Cicéron, passim ds TLL s.v., 425, 32 « ajouter (à qqc.), obtenir qqc. (en plus) » au sens de « se procurer (obj. inanimé) ») dep. Sénèque (Epist., 95, 3, ibid., 426, 25 : divitiae per summum adquisitae sudorem), empl. fréquemment en ce sens comme terme jur. en b. lat. et en lat. médiév. (Mittellat. W. s.v., 123, 15-53); même sens avec obj. animé dep. époque impériale en relation avec servus, ancilla; empl. en lat. chrét. (cf. Ves. Faustus Reinsis, De gratia, 1, 11 ds TLL s.v., 427, 60 : adquisitus [Deo] homo), en lat. médiév. comme terme jur. « mander, aller chercher » (1076, Bertholdus, Annales, 285, 12 ds Mittellat. W. s.v., 124, 68 : induciae... pro acquirendis testibus ac defensoribus necessariae); intrans. dep. Sénèque (Dialogi, 9, 8, 3, ds TLL s.v., 427, 65 : tolerabilius... est... non adquirere quam amittere). STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 984. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 4 759, b) 1 770; xxes. : a) 1 788, b) 2 352. BBG. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Caput 1969. − Dem. 1802. − Fér. 1768. − Foulq.-St-Jean 1962. − Goblot 1920. − Hanse 1949. − Julia 1964. − Lafon 1963. − Lal. 1968. − Lav. Diffic. 1846. − Le Breton Suppl. 1960. − Littré-Robin 1865. − Moor 1966. − Sommer Suppl. 1882. − Thomas 1956. − Spr. 1967. |