| ACCUEILLIR, verbe trans. Recevoir bien ou mal une personne ou une chose qui survient, qui se présente; se comporter devant elle d'une certaine manière. 1. [Sans compl. de manière] Recevoir favorablement. a) [Le suj. est un animé] − [L'obj. du verbe désigne une pers.] :
1. Toi, répandant sur tous ton équité complète, Prêtre autant que sculpteur, juge autant que poète, Accueillant celui-ci, rejetant celui-là,...
V. Hugo, Les Rayons et les ombres,Au statuaire David, 1840, p. 1072. 2. Le vicomte avait été surpris par la venue inopinée du comte de Poitiers, son suzerain, lequel lui avait demandé l'hospitalité à l'improviste avec une suite de plus de cent chevaliers. Il s'agissait pour lui de faire belle figure en accueillant et en traitant tout ce monde.
E. Faral, La Vie quotidienne au temps de saint Louis,1942, p. 162. − [L'obj. du verbe désigne une chose qui est ou contient l'expression d'une pensée] :
3. Je fus autant abasourdi de mon importance que du déluge de raisons ironiquement déduites par lesquelles ma mère accueillit ma supplique.
H. de Balzac, Le Lys dans la vallée,1836, p. 22. 4. Lloyd George a paru quelquefois accueillir ces pensées et utiliser pour ses calculs politiques cette métamorphose.
M. Barrès, Mes cahiers,t. 11, févr. 1917-nov. 1918, p. 306. b) [Le suj. est une chose (personnifiée ou proche des préoccupations humaines)] :
5. ...mais ce que je n'ai vu qu'à Paris, ce sont des hommes d'un mérite supérieur, que l'amour des lettres attache à tous ceux qui les cultivent, dont le zèle infatigable accueille, avec une bienveillance qui ne se dément jamais, tous ceux qui ont recours à leurs lumières : ...
V. de Jouy, L'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 3, 1813, p. 151-152. 6. Sa chambre [de Phil], béante sur la nuit sans lune, l'accueillit mal.
Colette, Le Blé en herbe,1923, p. 227. 7. ... [je suis] la terre amie, fidèle dans l'épreuve et la joie, toujours prête à accueillir l'homme où qu'il arrive, à l'abriter et à le rassasier.
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 3, 1932, p. 119. 2. [Accompagné d'un compl. de manière qui précise la nature de l'accueil favorable ou non] a) [L'obj. du verbe est une pers] :
8. J'allai donc trouver le praticien, qui me reçut dans un vaste et beau cabinet. Je me nommai; il m'accueillit avec une politesse exquise.
L. Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 214. 9. Dès que je reparus au couvent des dominicains, un des pères qui m'avait toujours montré un vif intérêt dans mes recherches sur l'emplacement de Munda, m'accueillit les bras ouverts,...
P. Mérimée, Carmen,1847, p. 26. 10. ... la douce de Sulmerre, l'indulgente, la miséricordieuse, qui a su devancer ma précipitation de dément et qui m'accueille, au seuil même de mon mélancolique ermitage, d'un sourire, d'un baiser et d'une larme.
O.-V. Milosz, L'Amoureuse initiation,1910, p. 84. 11. ... la femme de chambre fit entrer un jeune Américain, ami des enfants, qui n'était pas invité et qu'on accueillit avec de grands cris de joie.
A. Maurois, Climats,1928, p. 43. 12. ... il me demandait de revenir le voir bientôt : il m'accueillait avec froideur.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 231. b) [L'obj. du verbe est une chose, le plus souvent abstr.] :
13. ... le second te dira : sois le bienvenu! Car il accueille fraternellement et sans distinction tout ce qui porte en soi une valeur propre et une force intrinsèque.
M. Du Camp, Mémoires d'un suicidé,1853, p. 215. 14. Je n'insisterai pas sur une morose et courte période de transition, où j'accueillis de la même humeur hargneuse les blâmes, les conseils, les consolations, et jusqu'aux félicitations.
Colette, La Vagabonde,1910, p. 37. 15. « Ébloui par les grandioses découvertes qui bouleversent de fond en comble les conditions matérielles de la vie, le public était porté à accueillir avec enthousiasme une nouvelle révélation scientifique. »
M. Barrès, Mes cahiers,t. 10, 3 avr.-août 1913, pp. 135-136. 16. Elle accueillerait ces reproches sans se fâcher.
M. Arland, L'Ordre,1929, p. 81. − Littér. ou recherché. [Au lieu d'un compl. de manière, c'est souvent un suj. qui est chargé d'exprimer la nature de l'accueil, notamment, mais non exclusivement (cf. ex. 18, 19) lorsqu'il s'agit des réactions collectives à un événement imprévu] Suivre immédiatement : 17. Vous dire la tempête de bravos qui accueillit cette boutade est impossible.
L. Reybaud, Jérôme Paturot,1842, p. 15. 18. Un certain étonnement accueillit cette proposition inattendue, et contre laquelle John Mangles ne dissimula pas son antipathie.
J. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 2, 1868, p. 216-217. 19. Le silence qui accueillait le plus souvent ses nombreuses demandes d'argent ne lui donna aucun soupçon;...
É. Zola, La Fortune des Rougon,1871, p. 113. 20. Un silence profond accueillit ces paroles du capitaine Nemo.
J. Verne, L'Île mystérieuse,1874, p. 575. 21. Une triple salve d'applaudissements accueillit ces paroles du président.
É. Zola, Son excellence Eugène Rougon,1876, p. 361. 22. L'éclat de rire qui accueillit cette invention saugrenue ne fit point dévier notre homme d'un pas.
G. Clemenceau, Vers la réparation,1899, p. 345. 23. Ils arrivèrent à Possesse dans un état de grande fatigue. Là encore la population se dérangea pour leur faire accueil. Il y eut même quelques cris. Les accueillit aussi le bruit du canon de Verdun, dont le grondement très distinct fermait l'horizon du nord à l'est.
J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,Verdun, 1938, p. 93. − Régional : 24. Accueillir. Louer un serviteur pour un temps déterminé.
J.-M. Rougé, Le Folklore de la Touraine,1943. Rem. 1. Une telle distance sém. sépare accueillir de cueillir que la question de l'apport du préf. ne se pose plus en synchr. Donné par la plupart des dict. comme synon. de recevoir, accueillir demeure avant tout un verbe affectif d'autant plus dégagé des conventions soc. qui entourent recevoir qu'il est plus chargé de spontanéité et de surprise. Littré a remarqué que accueillir, employé seul, signifiait « accueillir favorablement »; un adv. ou un compl. de manière devront suivre ou précéder le verbe pour le dévaloriser. Le nombre des ex. où l'accueil est favorable est, selon notre docum., très supérieur à celui des ex. où il est défavorable. 2. D'où la syntagmatique de ce verbe; on accueille en gén. une personne et en l'accueillant (chaleureusement, les bras ouverts, avec enthousiasme ou froideur) on manifeste les sentiments que l'on éprouve pour elle (amour, amitié, ... ou bien, plus rarement, indifférence, haine, ...). 3. Paradigmatique. L'accueil a un caractère passager; s'il se prolonge on parle de recueillir les personnes et les animaux démunis, ou d'adopter les choses qui, après l'ouverture d'esprit qu'est l'accueil, ont été jugées dignes d'être conservées. Le cérémonial contenu dans recevoir au sens de « faire réception » est absent de accueillir, l'accueil conduisant à faire tomber les différences soc., et à se laisser aller à une bonne ou à une mauvaise impulsion. On peut, par obligation, être amené à recevoir : si ce n'est qu'une obligation la réception reste dans le domaine des conventions soc.; si elle correspond à un désir elle est précédée et doublée d'un bon accueil. Recevoir « faire réception » exige selon les cas soit que l'accueilli se hausse au niveau de l'accueillant soit que l'accueillant se mette au rang de l'accueilli : dans les deux cas il y a une attraction vers le haut, alors que l'accueil peut laisser les partenaires à leur niveau. Le fait que l'on accueille plus facilement des notions abstr. que des obj. concr. souligne l'idée d'intégration inhérente à l'idée verbale : on accueille un projet et on reçoit un cadeau, celui-ci restant extérieur. Prononc. − 1. Forme phon. : [akœji:ʀ], j'accueille [zakœj]. Enq. : /akø2j/. Conjug. parler; inf. /akøjiʀ/; part. /akøjã, akøji/. 2. Dér. et composés : accueil, accueillage (arch.), accueillance (arch.), accueillant, accueillement (arch.). Cf. cueillir. Étymol. ET HIST.
I.− Trans. 1. Ca 1100 acoillir « pousser » (Roland, éd. Bédier, 3968 : Quatre serjanz les acoeillent devant Devers un' ewe ki est en mi un camp); fin xiieid. « rassembler en poussant devant soi (des animaux) » (Garin le Loherain, éd. G. Paris, I, 166 ds T.-L. : Parmi les chans veïssiez gens füir, Les pastoriaus lor bestes accoillir); d'où mil. xiieacueillir son chemin « se mettre en route » (Cour. Louis, éd. Langlois, 1485 : Vait s'en Guillelmes, s'acueille son chemin); xiie-déb. xiiies. aqueldre a + inf. « commencer à + inf. » (Renart, éd. Méon, 26.9 ds T.-L. : Quant Ysengrin le vit sevrer, Lors aquelt a esperoner); 2. ca 1100 aquallir « assaillir » (suj. inanimé) (Roland, éd. Bédier, 689 : Einz qu'il oüssent .IIII. lieues siglet, Sis aquillit e tempeste e ored); ca 1170 acuillir « id. » (suj. animé) (Rois, éd. Curtius, XIX, 9 : A une feiz li malignes esperiz acuillid é traveillad Saül); d'où 1165-70 acoillir « atteindre, saisir » (B. de Ste Maure, Troie, éd. Constans, 21 094 ds T.-L. : Tot autresi com sueut li lous Entre les aigneaus fameillos... cui ne chaut qui que le veie, Quant il vueut acoillir sa preie...); 3. apr. 1174 acuillir « recevoir (qq'un) » (B. de Ste Maure, Chron. d. Norm., éd. C. Fahlin, 3939 : Docement te requert e mande, Jusque li forz iver s'espande, Qu'en ceste terre nos acuilles).
II.− Réfl. 1. mil. xiies'acueldre a + inf. « se mettre à + inf. » (Cour. Louis, éd. Langlois, 2687 : Donc s'acuelt il as granz barres colper); ca 1170 s'aquiaudre « se mettre en route » (Cligés, éd. Micha, 4178 : Devant l'empereor s'aquialt); 2. 1195-1200 s'aquiaudre a « se joindre à » (Renard, éd. Roques, VII b, 6368 : Chascuns se viaut as bons aquiaudre).
Du lat. vulg. *accolligĕre, formé de ad- et colligĕre. Sont dominés par le sémantisme du préverbe les sens « pousser » et « attaquer » et leurs dér. (I 1 et 2; II 1, l'interprétation des ex. d'a. fr. corresp. paraît certaine, en dépit des rem. formulées par Gamillscheg ds Z. rom. Philol., XLIII, p. 516; voir nombreux ex. fournis par Cohn ds Arch. St. n. Spr., CXL, p. 84, s.v. acoillir); les sens de « recueillir, recevoir » et « réunir » (I 3; II 2) émanent de colligere, cueillir*; à remarquer que colligĕre n'est pas attesté au sens de « recevoir » av. l'Itala (Judith, 19, 15 ds TLL s.v., 1611, 48 : non erat vir qui colligeret eos in domum refrigerare eos) où il traduit gr. σ
υ
ν
α
́
γ
ε
ι
ν, littéralement « mener avec (soi) »; colligere au sens « admettre chez soi, recevoir » est donc un calque du gr. introd. de la Bible dans la lang. des clercs, dans celle des juristes (cf. Grég. Tours, Hist. Franc., II, 32 et Loi salique, 56 ds TLL, ibid., 1611, 63 et 65; G. Brereton ds Medium Aevum, XI, p. 85-89), puis dans lang. vulg. (a. fr. coillir, esp. coger « recevoir »); le composé *accolligĕre ayant hérité de ce sens, s'y est spécialisé puis l'a retiré au verbe simple. Pour l'explication du rad. et de la finale de l'inf. (ac)cueill-ir et pour celle du type accueudre, voir cueillir (a. fr. coillir et cueudre). STAT. − Fréq. abs. litt. : 3 010. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 3 572, b) 3 452; xxes. : a) 4 501, b) 5 194. BBG. − Bar 1960. − Bénac 1956. − Brereton (G. E.). Cueillir, « accueillir » : essai d'explication sémantique. Medium Aevum. 1942, t. 11, pp. 85-89. − Dem. 1802. − Dupin-Lab. 1846 (s.v. acoillir). − Hanse 1949. − Kold. 1902. − Pope 1961 § 217, 263, 410, 555, 557, 698, 759, 875, 879, 890, 926, 938, 943; §§ 972-975; § 1 004, 1 051, 1 053, 1 059, 1 137, 1 161 (s.v. cueillir). |