| ACCROUPIR (S'), verbe pronom. A.− [Le suj. est une pers.] Se baisser, se ramasser sur soi-même (en ployant les genoux). Anton. s'asseoir, se relever : 1. Souhem s'accroupit, ployant ses genoux comme ces images de cynocéphales taillées vaguement dans un bloc carré de basalte, et, serrant ses tempes entre ses paumes sèches, parut réfléchir profondément.
T. Gautier, Le Roman de la momie,prol., 1858, p. 257. 2. Il était dix heures, le chantier se décida à déjeuner. (...), descendus de la taille, ils s'accroupirent, les coudes aux flancs, les fesses sur leurs talons, dans cette posture si habituelle aux mineurs, qu'ils la gardent même hors de la mine, sans éprouver le besoin d'un pavé ou d'une poutre pour s'asseoir.
É. Zola, Germinal,1885, p. 1169. 3. ... ils s'accroupirent sur le matelas, tous deux. Rouletabille s'était croisé bien posément, les jambes en tailleur au travail; mais Matrena resta à quatre pattes, la mâchoire en avant, les yeux fixes, comme un bouledogue prêt à se ruer.
G. Leroux, Rouletabille chez le tsar,1912, p. 60. 4. Sans abri, sans un trou pour se blottir, ceux qui n'étaient pas de veille s'accroupirent, le dos voûté sous la toile de tente, et, le menton sur les genoux, ils essayèrent de dormir.
R. Dorgelès, Les Croix de bois,1919, p. 271. 5. Je fis quelques pas. Je voulais marcher seul; la famille s'écarta devant moi qui avançais en vacillant. Je pus franchir le seuil de la chapelle ardente, m'accroupir sur un prie-dieu.
F. Mauriac, Le Nœud de vipères,1932, p. 244. Rem. Dans les énoncés, le verbe peut signifier « s'asseoir sur les talons, le menton à la hauteur des genoux, ou s'asseoir les jambes croisées en tailleur ». − Au fig., littér., rare : a) Dans le domaine moral.Se vautrer, s'abaisser : 6. ... c'était à lui de se garder, de retrouver Dieu, au sortir de la fièvre. Au contraire il avait pris plaisir à s'accroupir dans sa chair.
É. Zola, La Faute de l'abbé Mouret,1875, p. 1482. b) Dans le domaine intellectuel.S'abrutir : 7. ... n'est-ce pas pitié que de voir un jeune homme au plus brillant de sa carrière, doué d'une intelligence supérieure, dont la pensée peut embrasser le monde et ses sciences, s'abâtardir, s'accroupir, s'abrutir, s'anéantir, à propos d'une coquinerie de fille, (...)?
P. Borel, Champavert,Passereau, l'écolier, 1833, p. 186. Rem. Dans ce dernier emploi, le verbe peut except. être trans. : 8. L'utile peut bien être du côté du mariage, mais l'honnête est de l'autre.
Il empêche de voyager parmi le monde, soit pour apprendre à se faire sage ou pour enseigner les autres à l'être, et publier ce qu'on sait : il apoltronit et accroupit les bons esprits au giron d'une femme et autour des petits enfans.
P. Borel, Champavert,Dina, la belle Juive, 1833, p. 116. B.− [Le suj. est un animal] Se pelotonner, se baisser. Anton. se relever, se redresser : 9. ... à un certain bruit du cavalier, l'animal s'agenouille, pour lui donner la facilité de descendre. Le dromadaire porte des fardeaux très lourds; on ne le décharge jamais pendant tout le voyage, arrivé le soir à la station, on place des étais sous le fardeau, l'animal s'accroupit et sommeille; au jour il se relève, la charge est à sa place, il continue sa route.
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 1, 1823, p. 135. 10. Comme si elle [Fuseline] eût voulu récupérer un potentiel nécessaire d'énergie, laisser s'accumuler en elle une réserve suffisante de force, elle s'accroupit sur elle-même, se pelotonna en boule pour rendre à ses muscles épuisés, avec la chaleur que leur portait son sang généreux de jeune bête, la force indispensable pour assurer son salut.
L. Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 103. 11. La baignoire que j'ai donnée à mon oiseau est beaucoup trop étroite; il y peut tout juste entrer, mais une fois qu'il est là-dedans, il ne peut plus s'ébrouer et battre des ailes; alors, après qu'il y a trempé les pattes, le bec et le bout de la queue, il sort et, parallèlement au bassin, tout à côté, tout contre, il se baisse, s'accroupit, se trémousse exactement comme s'il était dans l'eau.
A. Gide, Journal,1914, p. 427. 12. ... un moment après, d'un air grognon, il fut s'accroupir le museau allongé sur les pattes de devant, et l'échine au feu.
R. Maran, Batouala,1921, p. 187. 13. La vache avait eu beaucoup de peine à traîner sa charge pendant un moment et Munier pour l'aider marchait devant elle, tirant sur la bride; puis voilà qu'on a vu la vache s'accroupir sur son train de derrière, pendant que Munier tirait en sens inverse, tant qu'il pouvait, de ses deux mains.
Ch.-F. Ramuz, La grande peur dans la montagne,1926, p. 76. Rem. Dans les énoncés, le verbe peut signifier « se coucher sur le ventre, pattes pliées, s'agenouiller (le dromadaire), ou s'asseoir sur son arrière-train ». − Except. en emploi trans.-causatif. Accroupir qqn : 14. Elle posa sa fille, car elle la portait toujours, dans un angle de la cellule qu'on ne voyait pas du dehors. Elle l'accroupit, l'arrangea soigneusement de manière que ni son pied ni sa main ne dépassent l'ombre, lui dénoua ses cheveux noirs qu'elle répandit sur sa robe blanche pour la masquer, mit devant elle sa cruche et son pavé, les seuls meubles qu'elle eût, s'imaginant que cette cruche et ce pavé la cacheraient. Et quand ce fut fini, plus tranquille, elle se mit à genoux, et pria.
V. Hugo, Notre-Dame de Paris,1832, p. 544. Rem. Dans l'ex. suiv., accroupir est empl. pour s'accroupir suivant un emploi fréq. des pronom. à l'inf. précédés de faire : 15. À huit heures du soir je fis accroupir les dromadaires à Koucourou-El-Banat (le reste des filles), malgré les observations des chameliers qui affirment que ce lieu est mal famé, que le diable y vient toutes les nuits et que certainement il nous arrivera malheur.
M. Du Camp, Le Nil, Égypte et Nubie,1854, p. 292. C.− P. anal. [Le suj. peut désigner] :
1. [Une chose concr.] :
16. Après une autre demi-heure d'arbres, de ravins et de prairies, le Rhin s'ouvre; au milieu de l'eau s'accroupit un gros rocher couvert de ruines et rattaché aux deux rives par un pont couvert, bâti en bois, d'un aspect singulier.
V. Hugo, Le Rhin,1842, p. 381. 17. La mer se gonfle (...). Puis elle s'affaise, s'accroupit, fait le chien couchant, se met en carboulot comme vous, dans vos draps, les nuits d'hiver. Et vous avez la mer basse.
J. Renard, Journal,1893, p. 167. 2. [Une chose abstr.] :
18. Je ne puis aller à Bruxelles qu'au moment annuel de l'interruption de mon travail. Pourquoi? Parce que tous mes instruments de travail sont ici, notes, livres, études faites, pages écrites çà et là, etc. etc. Une montagne de choses sur laquelle s'accroupit mon inspiration. Transporter cela est impossible. Je suis donc cloué là où est mon nid de travail.
V. Hugo, Correspondance,1866, p. 525. 19. Qu'on se rappelle cette hystérie, cette frénésie sans camisole qui dura huit jours; cette folie furieuse d'illuminations et de drapeaux, jusque dans les mansardes où s'accroupissait la famine; ces pères et ces mères faisant agenouiller leurs enfants devant le buste plâtreux d'une salope en bonnet phrygien qu'on trouvait partout; et l'odieuse tyrannie de cette racaille que ne menaçait aucune force répressive.
L. Bloy, La Femme pauvre,1897, p. 194. 3. [Un sent. personnifié] :
20. ... remplissant son verre, il se leva : (...). Le propre de l'amour, c'est d'errer. L'amourette n'est pas faite pour s'accroupir et s'abrutir comme une servante anglaise qui a le calus du scrobage aux genoux. Elle n'est pas faite pour cela, elle erre gaîment, la douce amourette!
V. Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 173. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : (s'-) [akʀupi:ʀ], (je m'-) [akʀupi]. Enq. : /akʀupi, akʀupis/. Conjug. agir. 2. Dér. et composés : accroupissement. − Rem. Fér. Crit. t. 1 1787 écrit accroupir ou acroupir avec un seul c. Étymol. ET HIST. − 1. Fin xiies. « avilir » (Girb. de Metz, p. 462, Stengel ds Gdf. : Et dit Morans : Trop somes acrepi, Que il ne sunt a Bordelle assailli), pronom. « s'abaisser à un état moral inférieur » encore ds Boiste 1829 et Besch. 1845; 2. a) 1174-77 « s'asseoir sur la croupe (en parlant des animaux) » (Renart, Br. V, 47 ds Gdf. Compl. : Ysengrins est sus acropiz); b) 1384 « s'asseoir sur les talons (en parlant de l'homme) » (Guescl., 16 413 ds Littré : Ay, Dieux! ce dit Pietre, voi me ci acroupi; Je serai atrappé, et si ai tant fuï).
Dér. de croupe*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 225. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 109, b) 539; xxes. : a) 438, b) 309. BBG. − Bar 1960. − Bénac 1956. − Grandm. 1852, col. xxvii. |