| ACCABLER, verbe trans. Gén. péj. [L'obj. désigne un animé, notamment une pers., ou un aspect du comportement ou l'œuvre d'une pers.] Faire ployer sous une charge physique ou morale excessive, de manière à anéantir toute possibilité ou volonté de réaction. A.− [Le suj. désigne un animé, notamment une pers., une faculté ou un aspect de la pers. hum.; le compl. d'obj. dir. est gén. accompagné d'un compl. indir., introd. par les prép. de, plus rarement par ou sous, et précisant la nature de la charge accablante] 1. Rare. La charge est un obj. phys. : 1. Hercule, sans effroi, voit renaître la guerre,
Part, vole, le saisit, le combat et l'atterre,
L'accable de son poids, presse de son genou
Sa gorge haletante et son robuste cou;...
J. Delille, L'Homme des champs,1800, p. 87. 2. smarh. − Est-ce que je ne suis pas supérieur au cheval, et le cheval à la fourmi, et la fourmi au caillou?
satan. − Oui, puisque tu es sur le cheval et que tu l'accables, et que le cheval écrase la fourmi, et que la fourmi creuse la terre.
G. Flaubert, Smarh,1839, p. 47. 2. Au fig. [La charge consiste dans la pesanteur ou la quantité extrême des difficultés, souffrances, obligations] :
3. Les valétudinaires n'ont pas, comme les autres hommes, une vieillesse qui accable leur esprit par la ruine subite de toutes leurs forces.
J. Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 229. 4. ... je suis bonne. Ils le savent, et ils en abusent... Ils me tourmentent, ils m'accablent d'embarras, d'affaires et de demandes; il leur faut des places; ils en veulent tous!
E. Scribe, Le Verre d'eau,1840, III, 1, p. 671. 5. ... sa volonté de rester de sa race, son esprit de famille, son sincère respect du peuple, sa propre honnêteté, préoccupaient Louis-Philippe presque douloureusement, et par instants, si fort et si courageux qu'il fût, l'accablaient sous la difficulté d'être roi.
V. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 28. 6. ... et, le secouant avec colère, il se mit à l'accabler sous une volée de reproches furibonds.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Nouvelle journée, 1912, p. 1543. 7. On augmenta cruellement le nombre des entraves des muses. On édicta une restriction très redoutable du nombre de leurs pas et de leurs mouvements naturels. On chargea le poète de chaînes. On l'accabla de défenses bizarres et on lui intima des prohibitions inexplicables. On lui décima son vocabulaire. On fut atroce dans les commandements de la prosodie.
P. Valéry, Variété 4,1938, p. 46. − En partic. [En paroles humiliantes ou contrariantes, ou en témoignages ou accusations pouvant entraîner condamnation] :
8. L'empereur était en bonne humeur, un mot n'attendait pas l'autre; il accablait le docteur de questions, d'arguments spirituels et subtils qui l'embarrassaient fort;...
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, t. 1, 1823, p. 407. 9. ... une multitude de Grecs de Sicile et d'autres provinces, déposèrent contre Verrès, et l'accablèrent de leurs témoignages. Les sénateurs qui composaient le tribunal, se hâtèrent de le condamner, dans l'espoir de sortir plus vite de ce procès terrible, et de rendre inutiles les éloquentes invectives que Cicéron avait préparées; ...
J. Michelet, Histoire romaine,t. 2, 1831, p. 208. 10. Voilà assez long-temps, vois-tu, que les républicains me couvrent de boue et d'infamie; voilà assez long-temps que les oreilles me tintent, et que l'exécration des hommes empoisonne le pain que je mâche; j'en ai assez de me voir conspué par des lâches sans nom, qui m'accablent d'injures pour se dispenser de m'assommer, comme ils le devraient.
A. de Musset, Lorenzaccio,1834, III, 3, p. 194. 11. Ils étaient là, assistant aux assises, l'homme et la femme, petits rentiers de province, exaspérés contre cette traînée qui avait souillé leur maison. Ils auraient voulu la voir guillotiner tout de suite, sans jugement, et ils l'accablaient de dépositions haineuses devenues dans leur bouche des accusations.
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Rosalie Prudent, 1886, p. 643. − Accabler sous le nombre : 12. C'était un samedi. Deux Italiens pris de boisson rencontrèrent une dizaine de Juifs, qui remontaient de l'oued où ils avaient fêté le sabbat. Un des ivrognes, tirant son couteau, fonça tête baissée dans le groupe, Il fut accablé sous le nombre et tomba sous les matraques.
J. et J. Tharaud, La Fête arabe,1912, p. 190. 13. C'est la retraite des éléments placés à l'ouest et à l'est du fort et accablés sous le nombre qui permet à l'ennemi d'aborder les coffres.
H. Bordeaux, Les Derniers jours du fort de Vaux,1916, p. 285. 14. Le même écrivain nous parle d'une héroïne franque, couverte d'une mante verte, qui ne cessait de lancer des flèches et mit hors de combat plusieurs musulmans. « Elle fut enfin accablée sous le nombre. Nous la tuâmes et nous portâmes son arc au sultan. »
R. Grousset, L'Épopée des croisades,1939, p. 268. 3. P. ext. [En parlant de cadeaux, bienfaits, attentions, etc. dont l'excès inattendu produit un effet d'écrasement] :
15. Tout ce peuple importun et serviable nous accablait de présents. Ils nous prodiguèrent le miel de leurs abeilles, le lait de leurs chèvres, les olives de leurs vergers, le fromage frais et salé de leurs brebis, un vin résiné que Garnier apprécia, et deux ou trois espèces de vin muscat en bouteille.
E. About, La Grèce contemporaine,1854, p. 277. − Avec un suj. désignant un n. de chose personnifiée (cf. inf. rem. 1 b, ex. 36). − Constr. absolue : 16. C'était là le faire de Napoléon; il est connu que son premier bienfait en amenait presque toujours immédiatement beaucoup d'autres. Dans ce cas, il ne donnait pas, il accablait; mais encore fallait-il savoir profiter de cet instant : il pouvait être sans bornes ou s'évanouir sans retour.
E.-D. de Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène,t. 2, 1823, p. 176. Rem. Le verbe peut être affaibli à la valeur d'un superl. de combler, et perd alors sa connotation péj. B.− [Le suj. est un n. de chose indiquant la nature de la charge accablante; il n'y a gén. un compl. indir. que si l'idée de poids reste sensible] Les catégories sém. sont les mêmes que pour l'obj. indir. sous A. 1. Rare. [La charge est un poids phys.] :
17. ... et ces orages électriques, qui, au milieu des chaleurs brûlantes de la canicule, nous accablent sous le poids des grêles de l'hiver, et souvent nous laissent à peine la paille de nos moissons; ...!
J. de Crèvecœur, Voyage dans la Haute-Pensylvanie et dans l'État de New-York,t. 2, 1801, p. 361. 18. ... mon fardeau me fait-il chanceler?
Le poids d'un diadème est loin de m'accabler.
Deux, trois autres encor, devenant ma conquête,
Ne m'accableraient pas, et sur ma vieille tête
Accumulés tous trois, lui seraient moins pesans Qu'une toque d'azur...
C. Delavigne, Louis XI,1832, III, 5, p. 123. 2. Au fig. [En parlant de la lourdeur ou de la quantité excessive des souffrances phys. ou mor., des difficultés, des obligations, etc.] :
19. ... j'ai été malade. En finissant ma dernière lettre, je me sentois oppressée, triste, sans savoir pourquoi, et faisant une très-maussade compagnie à la vive et brillante Adèle. Je remettois chaque jour à t'écrire, à cause de l'abattement qui m'accabloit enfin la fièvre m'a pris.
MmeCottin, Claire d'Albe,préf., 1799, p. 124. 20. Quand la tourmente s'annonce sur les mers orageuses, le pilote appelle son art, et son art lutte contre la tourmente. Quand le calme le saisit sur les plages de la Pacifique, il n'est plus d'art, plus d'effort, on se consume lentement, on périt dans l'abattement, c'est un calme de mort. L'homme de génie s'élève contre de grands malheurs, il les combat, il les surmonte. Quand de lentes douleurs l'oppriment froidement, quand les ennuis le harcèlent et l'accablent, il est terrassé sans combat, il s'éteint sans résistance.
É. de Senancour, Rêveries,1799, p. 82. 21. ... ces affections, quand elles sont portées à leur dernier terme, tantôt se transforment en démence et fureur (état qui résulte directement de l'excès des concentrations et de la dissonnance des impressions que cet excès entraîne); tantôt accablent et stupéfient le système nerveux, par l'intensité, la persistance et l'importunité des impressions, d'où s'ensuivent et la résolution des forces, et l'imbécillité.
P. Cabanis, Rapports du physique et du moral de l'homme, t. 1, 1808, p. 433. 22. Le crépuscule mourait. Vous m'aviez chargé de tristesse quelques heures auparavant; le soir, qui aggrave cette affection de l'âme, en s'affaissant doublait de puissance, tout m'accablait et conspirait à m'accabler. Il y a des pensées si tristes qu'elles attendent la nuit pour se rassembler et assaillir l'esprit. Quel essaim s'est abattu sur moi!
M. de Guérin, Correspondance,1837, p. 264. 23. Elle était paresseuse à parler, à répondre. : Non, je n'ai rien... Je vais bien... » Elle laissait seulement cela tomber de ses lèvres avec un accent de souffrance, de tristesse et de patience. L'oppression l'accablait maintenant. C'était comme un poids qu'elle se sentait dans la poitrine et que sa respiration avait peine à soulever. Une gêne, un malaise vague, se répandant de là par tout son être et la remplissant d'énervement, lui ôtait toute énergie vitale, brisait en elle toute volonté de mouvement et la tenait écrasée, inclinée, sans forces pour sortir et se relever d'elle-même.
E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 298. 24. ... l'infini masqué de noirceur, voilà la nuit. Cette superposition pèse à l'homme. Cet amalgame de tous les mystères à la fois, du mystère cosmique comme du mystère fatal, accable la tête humaine.
V. Hugo, Les Travailleurs de la mer,1866, p. 300. 25. À quoi bon ces ivresses d'un moment, suivies d'angoisses qui durent de longs jours, de longues nuits, qui me serrent la gorge et m'inspirent pour tout au monde, occupations, obligations, devoirs, plaisirs, jouissances de l'esprit, distractions de l'intelligence, un dégoût que je ne puis vaincre, qui... oui, qui m'accable, qui m'oppresse et m'étouffe, et m'achève si lentement?
J.-A. de Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 295. 26. ... le comble de la douleur atteint à la délivrance. Ce qui abat, ce qui accable, ce qui détruit irrémédiablement l'âme, c'est la médiocrité de la douleur et de la joie, la souffrance égoïste et mesquine, sans force pour se détacher du plaisir perdu, et prête secrètement à tous les avilissements pour un plaisir nouveau.
R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 648. 27. Maxence, sur les ruines, s'asseoit. Mais soudain une étrange oppression l'accable. Tout l'ennui de l'islam est devant lui, et la servitude, et l'immense découragement, et le morne « à quoi bon » de ces esclaves!
E. Psichari, Le Voyage du centurion,1914, p. 224. 28. J'ai offensé deux êtres, sans réparation possible. Mais la mort du premier, de mon père chéri, oui ce fut une délivrance; la mort de l'autre, de la femme détestée qui a été l'ennemie du bonheur, m'accable sous un poids que je ne soulèverai plus jamais.
P.-J. Jouve, Paulina 1880,1925, p. 136. 29. Le destin m'accable! On m'exaspère à plaisir! On me harcèle! On me crible! On me ruine! On me piétine! On m'afflige de cent mille façons! Et maintenant? Que veut-il encore? Quelles prétentions? M'extorquer ma dernière gamelle!... à Dache!
L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 500. − En partic. [En parlant d'attitudes, de propos désagréables, de jugements ou preuves pouvant entraîner condamnation, etc.] :
30. Déclamations contre le luxe et scandales vertueux, haine de la toilette et maximes morales, mots à double entente et haussements d'épaules, tout fut employé à l'envi pour accabler cette femme qui, à en juger au contraire par l'acharnement de ces rustres, devait être de manières élégantes, de nature relevée, avoir des nerfs délicats et, sans doute, quelque jolie figure.
G. Flaubert, Par les champs et par les grèves,Touraine et Bretagne, 1848, p. 359. 31. De l'éternel azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poëte impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de douleurs.
S. Mallarmé, Poésies,L'Azur, 1898, p. 37. 3. P. ext. [En parlant d'un excès de bien, de bonheur, de faveurs, etc.] :
32. Ce bonheur me tue, il m'accable Ma tête est trop faible, elle éclate sous la violence de mes pensées. Je pleure et je ris, j'extravague. Chaque plaisir est comme une flèche ardente, il me perce et me brûle!
H. de Balzac, Louis Lambert,1832, p. 178. 33. Plus elle l'aimait, le lui disait et s'épanchait en lui, et plus cette tendresse l'accablait comme un fardeau trop fort; son dévouement, sans retour de sa part, lui semblait le plus amer des reproches, et tout ce qu'elle lui donnait d'amour et de caresses une sorte d'aumône, de prodigalité écrasante.
G. Flaubert, La Première éducation sentimentale,1845, p. 202. 34. ... cet amour ne va pas sans une inexprimable mélancolie. Tout ce qui est souverainement beau ravit à la fois et torture, exalte et accable;...
P. Bourget, Nouveaux essais de psychologie contemporaine,1885, p. 129. 35. Jamais Mozart n'avait été joué avec autant de perfection que la veille. Lui, Moïse, en était encore pénétré... Sa haine pour les ennemis, son amour du gain, la rapidité même de sa parole en avaient été relâchés au profit d'un bien-être physique qui l'accablait depuis son lever. Cette rouille dans ses genoux, cet engourdissement de ses oreilles, en effet, il le reconnaissait maintenant, c'était bien la nonchalance divine, l'acide urique suprême, c'était bien Mozart.
J. Giraudoux, Bella,1926, p. 89. Rem. 1. a) La prép. de, suivie d'un n. sans art., indique la nature de la charge accablante; par et surtout sous, suivis d'un n. avec art. déf., soulignent en outre l'idée de poids ou d'écrasement. b) Si le compl. introd. par de est accompagné d'un qualificatif ou d'un compl. caractérisant, il est précédé de l'art. indéf. : 36. Voilà pourquoi aussi l'homme ne peut ni produire ni supporter beaucoup de poésie; c'est que le saisissant tout entier par l'âme et par les sens, et exaltant à la fois sa double faculté, la pensée par la pensée, les sens par les sensations, elle l'épuise, elle l'accable bientôt, comme toute jouissance trop complète, d'une voluptueuse fatigue, et lui fait rendre en peu de vers, en peu d'instants, tout ce qu'il y a de vie intérieure et de force de sentiment dans sa double organisation.
A. de Lamartine, Des Destinées de la poésie,1834, p. 387. 37. Ô Seigneur, accablez notre âme et nos paupières
D'un sommeil plus pesant et plus sourd que la pierre;
(...)
Et que la paix des morts nous gagne, et qu'on oublie
Toute cette tristesse immense de la vie!
Ch. Guérin, Le Cœur solitaire,1904, p. 49. c) Except. [Le compl. prép. désigne une pers.] . : 38. Vous avez un tel charme dans votre manière de vous intéresser, que je vous accable de moi. Cet été serait encore bien doux si je le passais avec vous...
G. de Staël, Correspondance générale,Lettres diverses, t. 2, 12 mars 1794, p. 580. Rem. 2. S'accabler, réfl., est rare : 39. Puisqu'on ne pouvait condamner les autres sans aussitôt se juger, il fallait s'accabler soi-même pour avoir le droit de juger les autres.
A. Camus, La Chute,1956, p. 1544. L'emploi passif semble plus fréq., mais est souvent difficile à déterminer comme tel (cf. accablé, part. passé, rem. 1). Qq. ex. sûrs où l'auxil. est à un temps narratif du passé (cf accablé, ex. 10, et sup. ex. 12, 14). Rem. 3. a) Les verbes avec lesquels accabler est le plus souvent en assoc. paradigm. sont : − très fréq. : faire tomber; − fréq. : écraser, épuiser; − moins fréq. : accuser, affaisser, atterrer, charger, combler, courber, détruire, éblouir, ennuyer, exalter, (en) finir, fléchir, frapper, humilier, insulter, lasser, opprimer, faire souffrir, stupéfier, traîner, triompher, tourmenter. b) Les subst. apparaissant le plus souvent dans les compl. du verbe sont : − très fréq. : caresses, injures, invectives, mépris, questions; − fréq. : colère, compliments, dédain, douleur, haine, lettres, maux, poids, reproches, sarcasmes, tendresses, travail; − moins fréq. : affaires, amitié, amour, arguments, bonté, cadeaux, calomnies, conseils, demandes, désespoir, éloges, ennui, fardeau, force, gloire, honneur, honte, impôts, injustices, insultes, ironie, louanges, malédictions, malheurs, menaces, mots, outrages, paroles, peine, plaisanteries, politesses, preuves, prévenances, railleries, recommandations, regards, rigueurs, soins, torts, tristesse. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [akɑble], j'accable [zakɑ:bl]. Pt Lar. 1968 transcrit la 2esyllabe avec [a] ant. (cf. aussi Passy 1914, qui signale également la possibilité d'une prononc. avec [a] ant.). Pour la prononc. de la finale, cf. suff. -able. Enq. : /akabl/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : accablant, accablement. 3. Forme graph. − En ce qui concerne le redoublement de c, R. Thimonnier (Principes d'une réforme rationnelle de l'orthographe, 1968, p. 34) note que la graph. acc- se rencontre uniquement dans les cas suiv. : ,,1o− Quand les 2 c se prononcent (cf. acerbe et accessible; acide et accident); 2o− Quand il s'agit d'un verbe en « ak » ou d'un mot de la famille : accabler, acclamation, accroissement, etc. (...). Cette règle comporte toutefois 4 exceptions (sur 237 mots) : acagnarder, acoquiner, accore, accort``. Étymol. ET HIST.
I.− 1329 « abattre, renverser à terre (des arbres) » (Actes Norm. ds Delisle, p. 12 ds M. Roques ds Mélanges Duraffour, p. 4 : Jehan Pinel pour II arpens versez et accablez en la forest de Brotonne); xvie-xves. « id. » inf. subst. (Cout. norm. ds Delb., Rec. ds DG : Abateure à terre que l'en appelle accabler); 1423 « abattre (qqn) à terre en le frappant, blesser » (Lit. Remiss. [Arch. nat.] ex Reg. [série JJ] 172, ch. 444 ds Du Cange s.v. cabulus : Raoulin vint au suppliant... l'achaabla et tira à terre); 1583 au fig. « précipiter vers le bas » (Desportes, Bergeries, Discours ds Hug. : O champs plaisans et doux! ô vie heureuse et sainte! Où francs de tout soucy, nous n'avons point de crainte D'estre accablez en bas, quand plus ambitieux Et d'honneurs et de biens, nous voisinons les cieux!).
II.− 1. 1ertiers xives. « faire succomber (qqn) sous le poids, l'assommer (suj. animé) » (Dame à la Lycorne, éd. Gennrich, 4967 : Se fors bras sur euls tant deploie Tous les acchaable et desront); 1542-59 « écraser sous un poids par une chute (suj. inanimé) » (Amyot, Vies, Cimon, 29 ds Gdf. Compl. : Le comble de la galerie les accabla tous); av. 1699 « id. » (Rac., Not. hist., 26 ds DG : Neuf hommes... ont été accablés de la terre qui s'est éboulée); d'où : av. 1619 pronom. « succomber sous le poids » (O. de Serres, p. 192 ds Gdf. Compl. : Des arbres qui aient suffisante force pour soutenir la vigne sans s'accabler eux mesmes); 2. a) « faire succomber sous le poids » emploi fig. xiiie-xives. (?) (Ms. Montp. 350, fo24 rods Gdf. Compl. : ... Que la novele lei vendroit Qi la vieille acaableroit); b) 1580 : « faire succomber à force de maux » (Mont., 1, 2, ibid. : Lorsque les accidents nous accablent); 1669 « id. » (Rac., Brit., 7 ds Littré : Le coup qu'on m'a prédit va tomber sur ma tête; Il vous accablera vous-mêmes à votre tour); 1651 « id. (d'injures) » (Corn., Nic., III, 4, ibid. : Et plus vous la pouvez accabler d'infamie); d'où par affaiblissement : av. 1699 « excéder, fatiguer » (Rac., Bér., I, 3, ibid. : Et sans doute elle attend le moment favorable pour disparaître aux yeux d'une cour qui l'accable); c) 1611 intrans. « succomber sous le poids de qqc. (en bonne part) » emploi fig. (Larivey, Les Tromperies, V, 3 ds Hug. : J'accable soubs ceste grand faveur que vous me faites... je suis si debile, que je ne puis soustenir le grand faix de l'esperance que me donnez); 1643 « charger (en bonne part) » trans. (Corn., Cinna, III, 3 ds Littré : Il me comble d'honneurs, il m'accable de biens).
Dér. (préf. a-*) du m. fr. chabler, 1386-87 (départ. du Cher) « gauler (les noix) » ds Gdf.; a. norm. cabler « abattre (du vent) » : part. passé adjectivé 1251 bosc cablé « bois abattu par le vent » ds Moisy, s.v. cablé (cf. xiiies. chaable, « bois abattu par le vent », Cart. norm., ds Gdf.; xives. caable « id. », Fécamp, ibid.; ca 1260, a. fr. chable « meurtrissure, blessure » ds Gdf., xiiies. (?) a. norm. cable « id. » Just. aux barons de Norm., ibid.). La forme norm. accabler l'a emporté sur achabler pour des raisons qui demeurent obsc. Chabler, cabler, dér. de l'a. fr. cadable, caable « catapulte » (Rol., éd. Bédier, 98 et 237), du gr. κ
α
τ
α
ϐ
ο
λ
η
́ < κ
α
τ
α
ϐ
α
́
λ
λ
ω « abattre, renverser », voir aussi chablis. STAT. − Fréq. abs. litt. : 1 553. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 2 850, b) 2 111; xxes. : a) 2 106, b) 1 774. BBG. − Pope 1952, § 242. |