| ABÎMER, verbe trans. I.− Jeter, plonger dans un abîme. A.− Emploi trans., rare [Le suj. est un inanimé ou un animé hum.]. Acceptions fortement liées au contexte : − [En parlant d'un tremblement de terre engloutissant une région sous les éboulis] :
1. Ces désastres ne sont rien encore en comparaison de l'épouvantable tremblement de terre de 1783, dans lequel la Calabre crut être abîmée. Les villes et les villages s'écroulaient; des montagnes se renversaient sur les plaines; des populations fuyant les hauteurs s'étaient réfugiées sur le rivage; la mer sortit de son lit et les engloutit.
J. Michelet, Histoire romaine,t. 1, 1831, p. 13. − [En parlant d'une pers. voulant en jeter une autre dans des oubliettes] :
2. Au moment où toutes les femmes regardèrent alternativement le marquis et la comtesse, Foedora aurait voulu l'abîmer dans les oubliettes de quelque Bastille, car, malgré son talent pour la dissimulation, ses rivales devinèrent sa souffrance.
H. de Balzac, La Peau de chagrin,1831, p. 213. − [En parlant d'une pers. jetant sa tête dans un oreiller pour s'y cacher] :
3. ... quand il se retrouva seul (...), un affreux désespoir le prit, il se hâta d'en sortir, d'aller abîmer sa tête au fond de son oreiller, pour y anéantir l'abomination de son existence.
É. Zola, La Bête humaine,1890, p. 209. − [En parlant d'un philosophe panthéiste faisant perdre à l'homme son autonomie] :
4. Locke n'abstrayait-il pas l'homme de l'humanité, aussi complètement au moins que son rival, lui qui imaginait que l'homme, avant de recevoir des sensations du monde extérieur, n'était en essence qu'une table rase, sans innéité, sans spontanéité aucune? Spinoza, en abîmant le rêveur solitaire de son maître Descartes dans la substance divine, sans intermédiaire; Malebranche (...); Berkeley (...); Hume enfin, (...) ont tous travaillé sur l'homme solitaire et abstrait dont je cherche en ce moment la définition.
P. Leroux, De l'Humanité, de son principe et de son avenir,t. 1, 1840, p. 123. B.− Emploi pronom. réfl. 1. [Le suj. est un inanimé ou un animé surtout hum.] Tomber, s'écrouler au fond d'une cavité, d'un creux de l'espace terrestre, marin, cosmique, de manière à disparaître momentanément ou définitivement. Sens propre : 5. ... pourquoi tant d'interruptions et d'inégalités de profondeurs dans la plupart de ces gaves? C'est-à-dire, pourquoi les voit-on s'abîmer dans des canaux ténébreux taillés à pic, d'où ils reparaissent après de longs espaces, pour rouler au grand jour leurs eaux écumantes sur le sable ou à travers les rochers?
J. Dusaulx, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées fait en 1788,t. 1, 1796, p. 101. 6. ... mais Jéhovah descend dans le chaos, et lorsqu'il prononce le fiat lux, le fabuleux fils de Saturne s'abyme et rentre dans le néant.
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme ou Beautés de la religion chrétienne,t. 1, 1803, p. 485. 7. ... quand les rochers s'écroulent, quand les montagnes s'abîment dans les vallées, la terre change seulement de face ...
G. de Staël, De l'Allemagne,t. 5, 1810, p. 183. 8. Le vaisseau s'inclina avec tant de violence, qu'on eût dit qu'il allait s'abîmer.
P. Mérimée, Mosaïque,1833, p. 71. 9. Tranquillement, Morange fit le pas, dans les ténèbres, dans le vide. Et, sans un cri, il s'abîma.
É. Zola, Fécondité,1899, p. 685. 10. J'ai vu une de ces cascades, à Esquit. Elle se comportait comme la plus majestueuse cataracte. En touchant le vide, en s'y abîmant, elle se perdait aussi d'un bond, développait la même courbe liquide, irisée, et rendait ce mugissement éternel et égal, unique dans les bruits de la nature...
J. de Pesquidoux, le Livre de raison,t. 1, 1925, p. 186. − Au fig. [Le suj. est un inanimé ou un animé surtout hum.] Disparaître comme par une chute dans un abîme, un creux : 11. On avoit miné pendant plusieurs siècles les bases de la société; elle s'abîma tout entière dans le gouffre que les rois et les parlements avoient eux-mêmes creusé.
F.-R. de Lamennais, De la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil,2epart, 1826, p. 89. 12. Combien plus doit frémir, s'abîmer d'épouvante la faible créature désarmée, prise en son nid, et sans pouvoir se servir de ses ailes!
J. Michelet, L'Oiseau,1856, p. 224. 13. On se sent emprisonné, muré dans son moi, et l'on voudrait s'en aller de ce moi malheureux, se plonger, se rouler, s'abîmer dans la fraîcheur de la mort où tout s'abolit.
P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 189. 14. Marie et moi nous l'assistâmes dans ses derniers instants, et lorsqu'enfin son cœur cessa de battre, je sentis s'abîmer tout mon être dans un gouffre d'amour, de détresse et de liberté.
A. Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 612. 15. Nous montâmes la colline du côté du couchant. Le soleil s'abîmait. Il accélérait sa chute de minute en minute.
J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 3, 1932, p. 234. 16. J'étais sûr que tu allais faire une bêtise, dit Fabrizio en fermant sa main sur mon épaule quand − les minutes s'abîmant après les minutes comme les brasses d'une sonde − il n'y eut plus de doute que la chose maintenant avait eu lieu ...
J. Gracq, Le Rivage des Syrtes,1951, p. 224. 2. [Le suj. désigne une pers.] a) [Cont. profane (avec gén. un compl. introduit par la prép. dans)] − Sens propre. Cacher sa tête (comme pour disparaître dans un profond refuge (cf. aussi ex. 3)) : 17. ... ma mère entra ... Oh! Alors je me jetai sur elle; je me cachai la tête, je m'abîmai dans sa robe : c'était la protection suprême, l'asile où rien n'atteignait plus, le nid des nids où l'on oubliait tout ...
P. Loti, Le Roman d'un enfant,1890, p. 10. − Au fig. Se laisser absorber par une activité ou une préoccupation de nature intellectuelle, spirituelle ou affective (comme si l'esprit était plongé dans un abîme qui lui cache la vue de tout autre obj.) : 18. Adieu, mon cher papa, je t'embrasse au nom de mes frères abîmés comme moi dans la douleur.
V. Hugo, Correspondance,1821, p. 323. 19. Je m'abîmai dans ma tristesse.
A. de Lamartine, Les Confidences,1849, p. 380. 20. Alors le pauvre poête s'abîma dans une contemplation obstinée. Il s'isola dans cette pensée unique autour de laquelle vint se grouper l'essaim de ses espérances, − et il fut heureux.
H. Murger, Les Nuits d'hiver,Les Amours d'un grillon et d'une étincelle, 1861, p. 211. 21. L'homme qui s'enfonce et s'abîme dans la création littéraire n'a pas besoin d'affection de femme, d'enfants. Son cœur n'existe plus, il n'est plus qu'une cervelle.
E. et J. de Goncourt, Journal,mars 1877, p. 1175. 22. Je posais ma plume pour m'abîmer, devant ce paysage muet, dans une de ces rêveries cosmogoniques dont j'étais coutumier jadis.
P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 174. 23. Mais quelque chose à définir prit Guaita par la main : le sentiment du divin. Il perdit le goût de la création pour s'abîmer dans la recherche des lois.
M. Barrès, Mes cahiers,t. 2, 1902, p. 5. 24. Couchés sur le tapis, les oreilles bouchées avec leurs pouces, ils s'enfonçaient, s'abîmaient dans l'histoire; ...
F. Mauriac, Le Mystère Frontenac,1933, p. 13. b) [Cont. relig. 1, avec un compl. introduit par les prép. dans ou en] − Le compl. désigne une activité spirituelle d'adoration ou de méditation par laquelle l'esprit se laisse absorber (cf. 2 a fig.) : 25. Une intime chaleur d'amour lui fondait le cœur comme la cire; il se taisait, il s'abîmait, il s'enfonçait dans son adoration : son âme, entièrement vibrante et immobile, bientôt, ne connaissait plus rien qu'un bonheur tranquille et infini, où chaque joie distincte se perdait, ainsi que les pâles étoiles sont effacées par le soleil.
E. Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 227. 26. Calviniste fervent, sectaire endurci, affolé de cantiques et de prières, il composait des poésies religieuses qu'il illustrait, paraphrasait en vers les psaumes, s'abîmait dans la lecture de la bible d'où il sortait, extasié, hagard, le cerveau hanté par des sujets sanglants la bouche tordue par les malédictions de la Réforme, ...
J.-K. Huysmans, À rebours,1884, p. 83. − Le compl. désigne la divinité, dans l'intimité de laquelle l'esprit pénètre comme en se jetant dans un abîme : 27. ... plongé, pendant des minutes que je ne comptais plus, dans une muette mais intarissable adoration, je ne sentais plus la terre sous mes genoux ou sous mes pieds, et je m'abîmais en Dieu, comme l'atome flottant dans la chaleur d'un jour d'été s'élève, se noie, se perd dans l'atmosphère, et, devenu transparent comme l'éther, paraît aussi aérien que l'air lui-même et aussi lumineux que la lumière!
A. de Lamartine, Les Confidences,1849, p. 108. 28. Plus l'avenir s'ouvre devant moi comme une crevasse vertigineuse ou un passage obscur, plus, si je m'y aventure sur votre parole, je puis avoir confiance de me perdre ou de m'abîmer en vous, − d'être assimilé par votre corps, Jésus.
P. Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 95. c) [Cont. relig. 2, s'abîmer étant fréquemment construit avec le syntagme devant + Dieu] Abaisser son orgueil, s'humilier (comme dans un abîme dominé par la grandeur infinie de Dieu) : 29. Cette poésie éclate ailleurs et déborde par d'autres voies. (...) elle est surtout, avec sa foi religieuse et son génie catholique, dans ces innombrables et magnifiques églises, dans ces sublimes cathédrales, devant lesquelles se confond et s'abîme notre misérable petitesse.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIesiècle,1828, p. 283. 30. Voilà, non pas le véritable esprit de l'évangile, mais la véritable loi du prêtre, la vraie prescription de l'église orthodoxe : « Quitte-toi, abîme-toi, méprise-toi; détruis ta raison, confonds ton jugement : fuis le bruit des paroles humaines. Rampe, et fais-toi poussière sous la loi du mystère divin; ... »
G. Sand, Histoire de ma vie,t. 3, 1855, p. 285. 31. Le ciel lui répondait par le signe qu'il avait fixé! Il eût dû s'abîmer devant Dieu, s'écraser à ses pieds, s'épandre en une fougue de gratitude; ...
J.-K. Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 125. 32. Par l'adoration, nous reconnaissons l'infinie grandeur de cet objet, nous nous abaissons et abîmons lyriquement devant lui; ...
H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France,t. 3, 1921, p. 127. Rem. Dans ce dernier emploi (cont. relig. 2), une idée de destruction se mêle au sens, et de ce fait cet emploi pourrait être classé sous le sens II; en raison de la composante « dommage » qui caractérise le sens II et qui est absente de l'accept. relig. 2, il nous a paru préférable de laisser celle-ci sous le sens I. II.− [Le suj. désigne une pers., une force agissante] Faire baisser la valeur d'une chose ou d'une pers. en la dégradant (et lui causant ainsi un dommage total ou partiel, définitif ou momentané). Stylistique − Ex. de l'affaiblissement de la valeur expressive des mots. Usité au xviies. par les class. et spéc. les écrivains relig. au sens fig. « précipiter dans un abîme », le mot appartient à la lang. litt. soutenue. Au sens physique, abîmer se dit de dégâts, taches, trous, déchirures; ce qui n'était au départ que l'expr. emphatique d'un état affectif est devenu une façon de parler usuelle (cf. le synon. gâter qui a suivi la même évolution). On note le même emploi primitivement emphatique pour abîmer pris au sens phys. d'« écrouler »; cf. encore :
48. Je me sentis rouler à terre : c'était ma mère qui s'abîmait évanouie.
A. Dumas, père, Le Comte de Monte-Cristo, 1846, t. 2, p. 270.
Au 2esens le mot est dépréc. (idée de flétrissure) et peut être rapproché de ses princ. synon. à caractère également négatif : vicier, pervertir, enlaidir, détériorer, endommager, gâter, gâcher, salir, profaner. Dans l'action d'abîmer, il s'agit toujours de diminuer la qualité intrinsèque d'un être. D'après les ex., on abîme de 4 façons princ. : en altérant la forme première, en cassant, en salissant, en dérangeant le fonctionnement. Dans le domaine mor., abîmer ou s'abîmer s'emploie dans des cont. gén. tristes. C'est ainsi que nous rencontrons fréquemment des assoc. du type : s'abîmer dans la tristesse, le chagrin, les pleurs. Même lorsqu'il s'agit de plaisirs, la nuance dépr. est toujours sensible.A.− Emploi trans., usuel 1. [Le compl. est un n. de chose] Dégrader en rendant méconnaissable, ou inutilisable, ou en mettant dans un état voisin de la destruction : 33. ... jamais les Lucullus et les Héliogabale de l'ancienne Rome ne croyaient avoir assez détruit, abîmé de denrées; ...
J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832, p. 451. 34. ... les habitudes d'une vie insoucieuse avaient abîmé, perdu, confondu, déchiré, huilé, ruiné tout un mobilier à peu près élégant dans sa primeur, ...
H. de Balzac, Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau,1837, p. 311. 35. Le Cochon. Que je suis malade! Comme je souffre! Qu'ils me tourmentent! Ils sont tous déchaînés contre moi. (...) Je suis brûlé, asphyxié, étranglé; je crève de toutes les façons on me tire la queue, on me déchire les oreilles, on me perce le ventre, on me crache du venin dans l'œil, on me lance des cailloux, on m'abîme, on m'écorche le dos, et j'ai un aspic qui me mord la verge!
G. Flaubert, La Tentation de saint Antoine,1849, p. 404. 36. abîmer une robe, un chapeau.
Dites plutôt froisser, salir, gâter une robe, un chapeau. Il ne faut pas croire toutefois qu'abîmer une robe soit un barbarisme, c'est seulement une expression trop forte et qui n'est pas justifiée par la chose dont il s'agit.
B. Jullien, Le Langage vicieux corrigé,1853. 37. ... il y a des choses qu'on ne peut ni dire, ni écrire. Qu'on tâche de faire sentir, qu'on sent quelquefois, mais qu'il ne faut pas risquer d'« abîmer » ou de détruire ou de perdre éternellement dans une phrase mal dite, qui sonne faux ou qui fait rire.
J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,Lettre de A.-F. à J.-R., janv. 1905, p. 8. 38. J'ai plusieurs fois regardé dans les villages messins des écoliers qui s'en allaient abîmer leur esprit clair sous les mots allemands du maître étranger.
M. Barrès, Mes cahiers,t. 4, 1906, p. 175. 39. On oublie que chaque doctrine nous instruit d'abîmer les autres, et nous anime et nous enseigne à les ruiner.
P. Valéry, Variété 4,1938, p. 36. 2. [Le compl. est un n. de pers.] a) Priver qqn de sa vitalité par une torture mor., accabler profondément : 40. ... fatal isolement!
Ce long tourment me ronge et me déchire,
M'abîme entier! ...
P. Borel, Rhapsodies,Désespoir, 1832, p. 57. 41. Bâti de puérilités, il abîmera sa femme de brusqueries, la traitera en enfant et sera mené et trompé par elle à la confusion de toutes ses prétentions ignorantes et têtues, ...
J. Barbey d'Aurevilly, Premier Mémorandum,1837, p. 114. 42. ... il m'a dit (...) : « Cet amour jaloux vous abîme : on dirait qu'il ronge votre personnalité : ... »
J. Bousquet, Traduit du silence,1936, p. 86. b) Anéantir qqn par la crit. publ. : 43. ... le livre parut et réussit dans son genre. Il abîma le pauvre M. Mallet, selon l'expression de Bayle, et le mot était vrai au pied de la lettre; car dans l'intervalle de publication du premier et du second volume, Mallet mourut comme foudroyé (20 août 1680).
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 141. − Ou plus communément, dégrader qqn dans l'opinion d'autrui par la médisance : 44. Elle [Manette] est d'une jalousie ... et éreinteuse! Je t'assure que c'est amusant de l'entendre abîmer ses petites camarades ... Elle en fait des portraits! Jusqu'à des noms de muscles qu'elle a retenus pour les échigner! ...
E. et J. de Goncourt, Manette Salomon,1867, p. 187. 45. En somme, tous ceux que vous avez abîmés sont devenus vos meilleurs amis, et c'est une honte que des littérateurs que vous avez traînés dans la boue vous tendent ensuite la main, comme s'ils voulaient s'essuyer.
J. Renard, Journal,17 novembre 1896, p. 355. B.− Emploi pronom. (non réfléchi) 1. Pronom. intrans. (cf. sup. II A 1) : 46. Un bateau s'abîme quand il reste trop longtemps déchargé : le soleil lui ouvre les jointures des planches hors de l'eau.
J. Renard, Journal,1903, p. 838. 2. Pronom. trans. [avec un compl. d'obj. désignant une partie du corps (s'abîmer les yeux, « abîmer ses yeux »)] : 47. Olivier s'abîmait les yeux à recopier, la nuit, en cachette, les partitions de Christophe.
R. Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 1012. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abime], j'abîme [ʒabim]. Enq. : /abim/. − Conjug. parler. 2. Dér. et composés : abîme, abîmement, abysse, abyssal, abyssique. 3. Forme graph. − Dans cette famille de mots, le rad. présente une alternance entre les graphèmes i et y que l'on peut distribuer selon 2 critères : forme et domaine d'emploi :
Étymol. − 1. Av. 1231 « jeter dans une profondeur insondable » (Chron. d'Ernoul, p. 72 ds Gdf. Compl. : Qu'il les feroit abismer pour l'ort pecié de contre nature); 2. [1559] 1567 « effacer, ruiner », sens dér. de 1 (Amyot, César, 5 ds Les Vies des hommes illustres, trad. de Plutarque, Paris, 1567 ds Hug. : En toute autre sumptuosité de faire jouer jeux, et donner festins publiques, il abysma, par maniere de dire, la magnificience de tous ceulx qui s'estoyent efforcez d'en faire au paravant).
Dér. de abîme*; suff. -er*. HISTORIQUE
I.− Sens disparus av. 1789. − « Approfondir (un suj., une science) » : Chiens ki ce set bien abimer, Il doit orguel si sourmonter k'en son despit se doit despire. Li. XII. cordon, Richel. 2039, fo13 (Gdf.). − Rem. Constr. signalée inf. II A 2 a, rem. 1.
II.− Hist. des sens attestés apr. 1789. − A.− Étymol. 1 (sens propre fort « jeter dans un abîme »). 1. Dans un cont. relig. et le plus souvent biblique cf. abîme, hist., introd. (abîme matériel mais à l'échelle divine c.-à-d. l'Enfer ou les enfers). Divers emplois gramm., le principal étant trans. direct. : − 1reattest. 1231, cf. étymol. 1. − xvies. : Dont il est necessaire que les uns soient par desespoir jettés en un gouffre qui les abysme. Calvin, Inst., 662 (Littré). − xviies. : Abîmer les coupables, les uns par des tremblemens de terre, les autres par des déluges. D'Ablancourt, Luc. (Rich.). − xviiies. : Les cinq villes que Dieu abyma. Ac. 1740. − Rem. 1. La var. emploi réfl. est impossible en parlant de Dieu qui ne peut s'abîmer lui-même. 2. Var. emploi passif : Or est nostre ange Lucifer Tresbuché, luy et ses complices, Es abismés palus d'enfer, Pour leurs faulx et orgueilleux vices. Mist. du viel Test., 1500, 547, A. T. (Gdf). Sodome et Gomorrhe furent abysmées. Nicot 1606. 2. Dans un cont. profane cf. abîme, hist., introd. (abîme matériel mais à l'échelle humaine). Grande variété d'emplois gramm. : a) Trans. direct : Un flot survient et l'abîme : on ne le revoit plus, il est noyé. La Bruyère, Car., XIII, 9 (Cayrou). Les ouragans abysment les vaisseaux. − Rem. 1. La var. emploi réfl. est possible mais rare (Fur. 1690 précise qu'elle s'emploie plus au fig. qu'au propre) : Mout de cités s'abismeront. Sydrac, Ars, ca 1291, 393 (Gdf). 2. Var. emploi passif : Le village de Frittole auprès de Puzzole a été abysmé. Nicot 1606. Un navire abîmé dans la mer, dans les flots. Ac. 1835. b) Intrans. : « s'abîmer, s'engloutir » : Si que les nefz sans crainte d'abismer Nageoient en mer à voilles avallées. Marot, Ballades, 7 (Hug.). Cette ville abysma en une nuit. Ac. 1694. − Rem. Emploi vieillissant au xixes. : Tomber soudainement en état de destruction, en ruine totale. Cette maison abîma tout à coup. Dans cette acception (...), il a vieilli. Ac. 1835. B.− Étymol. 2 (sens fig. « effacer, ruiner) ». 1. Fort (idée de destruction). a) Trans. direct. − Se dit de tout ce qu'on plonge ou précipite comme dans un abîme : Tu n'as frappé mes yeux d'un moment de clarté Que pour les abîmer dans plus d'obscurité. Corneille, Horace, 1640, vers 746 (Cayrou). − En partic. : On dit en matière de dispute et de raisonnement : ce Docteur a été abîmé par son adversaire, qui l'a réduit à ne rien répondre. Fur. 1701. − Rem. Var. emploi réfl. : Si tu savois dans quels maux mon cœur s'est abîmé, toi même tu voudrois qu'il n'eût jamais aimé. Molière (Rich.). − « S'humilier devant Dieu », à la forme réfl. : On dit aussi s'abîmer devant Dieu pour dire s'humilier profondément, reconnaître son néant devant lui. Fur. 1701. − « Perdre et ruiner entièrement » : . xviies. : (by metaphor) utterly, and on a sudden, to destroy, ruine, undoe, overthrow. Cotgr. 1611. . xviiies. : Les gros intérêts ont abymé ce Marchand. Trév. 1771. . xixes. cf. sém. II et aussi : Cet homme est puissant et vindicatif; il vous abîmera. Ac. 1835. − Rem. Var. emploi réfl. : Cet homme a si mal fait ses affaires qu'il s'est abymé. Fur. 1690. − « Tuer, exterminer » : Il a abysmé son ennemy. Nicot 1606. b) Intrans. « périr » : − xviies. : Je m'embarque sur la même mer où j'ai pensé tant de fois abîmer. Voiture, Poes. (Rich. 1680). − xviiies. : Ce méchant abymera avec tout son bien. Trév. 1771. − xixes. : Ac. 1835 souligne que abîmer « périr » est vieilli. 2. Affaibli. a) Idée de destruction, appliquée à une chose. Vers la fin du xviies., abîmer s'est empl. familièrement et par exagération pour exprimer le dommage causé à une chose ordinaire, banale; d'où « mettre hors de service, gâter, endommager ». − Trans. : Le soleil abîme certaines étoffes. Littré. − Var. emploi passif : . xviies. : Mes pauvres petits yeux sont abîmés. MmeDe Sévigné, 348 (DG). . xviiies. : Ce meuble est abîmé de taches. Ac. 1798. − Var. pron. réfl. équivalent au passif : Cette robe s'abîme à la poussière. Ac. 1835. b) Idée de pénétration profonde (emploi fig. toujours pron. réfl. suivi de la prép. dans) cf. sém. I B 2. − xviies. : S'appliquer profondément à quelque chose à force de contemplation. S'abîmer dans la méditation. Rich. 1680. − xviiies. : S'abandonner tellement à quelque chose, qu'on ne songe à aucune autre. S'abysmer dans ses pensées. S'abysmer dans l'étude des Mathematiques. S'abysmer dans la douleur. Ac. 1718. STAT. − Fréq. abs. litt. : 644. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 681, b) 960; xxes. : a) 1 307, b) 854. BBG. − Spr. 1967. |