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ABÂTARDIR, verbe.
A.− Emploi trans. ou absolu. Rendre bâtard, altérer, en faisant perdre les qualités et la vigueur originelle inhérentes (à une race, un groupe social, une personne, une œuvre...).
1. [L'obj. désigne un être vivant (hum., animal ou végét.)]
a) Sens propre :
1. Si les lois de l'étiquette et des cours influent sur la moelle épinière au point de féminiser le bassin des rois, d'amollir leurs fibres cérébrales et d'abâtardir ainsi la race, quelles lésions profondes, soit au physique, soit au moral, une privation continuelle d'air, de mouvement, de gaieté, ne doit-elle pas produire chez les écoliers? H. de Balzac, Louis Lambert,1832, p. 54.
2. La mauvaise culture abâtardira ces plantes. Ac.1835).
3. ... La fortune acquise par le travail des autres était empoisonnée et empoisonneuse. La jouissance qu'elle procure est le plus certain des ferments destructeurs, elle abâtardit la race, elle désorganise la famille ... É. Zola, Travail,1901, p. 130.
b) Au fig. :
4. Qui sait si derrière ce regard si farouche il n'y avait pas un soupir! Oui, un soupir pour un temps meilleur, un sanglot soulevé par la rage contre une féodalité destructrice qui tuait tout, et avilissait l'homme en l'abâtardissant. A. de Musset, Revue fantastique, Le Temps,1831, p. 107.
5. L'orgueil! Ce péché capital inventé par ceux qui ont voulu abâtardir l'homme pour en faire un automate dont ils manieraient les ressorts; l'orgueil, cette vertu sublime qui est la conscience de sa propre force, comme la vanité en est l'illusion. M. du Camp, Mémoires d'un suicidé,1853, p. 218.
6. Tu peux lui emplir le cerveau de la totalité de tes connaissances, et ce bavard se fera clinquant et prétentieux. Et tu ne pourras plus l'arrêter. Et il s'enivrera de verbiage creux. Et toi, aveugle, tu te diras : « Comment se peut-il faire que ma culture loin de l'élever ait abâtardi ce sauvage et en ait tiré non le sage que j'en espérais, mais un détritus dont je n'ai que faire? » A. de Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 822.
2. P. ext. [L'obj. désigne une œuvre hum., un produit du travail hum.] :
7. Il faut avant tout se garantir de la misère; tout autre malheur doit peu affecter un homme jeune et bien portant; mais le besoin, la dépendance, et le mépris des autres empoisonnent la vie, flétrissent l'âme, abâtardissent le génie. G. Sénac de Meilhan, L'Émigré,1797, p. 1845.
8. La cession qui en fut faite en 1762 aux Espagnols, par le duc de Choiseul, ministre de la marine et des colonies, et qui se réalisa en 1769 par l'ambition d'Orelly, a fait bien des malheureux. Aujourd'hui sa rétrocession va relever le courage des hommes braves que n'a pu abâtardir un régime indolent et destructeur. L.-N. Baudry des Lozières, Voyage à la Louisiane,1802, p. 1.
9. Saint-Paul, la cathédrale actuelle, noble nef du quinzième siècle, accostée d'un cloître gothique et d'un charmant portail de la Renaissance sottement badigeonnés, et surmontée d'un clocher qui a dû être fort beau, mais dont quelque inepte architecte contemporain a abâtardi tous les angles, honteuse opération que subissent en ce moment sous nos yeux les vieux toits de notre hôtel de ville de Paris. V. Hugo, Le Rhin,1842, p. 60.
10. Comment un peintre moderne, qui se piquait de ne peindre que des réalités, pouvait-il abâtardir une œuvre, en y introduisant des imaginations pareilles? Il était si aisé de prendre d'autres sujets, où s'imposait la nécessité du nu! É. Zola, L'Œuvre,1886, p. 257.
Rem. Abâtardir contient toujours une idée d'altération, de détérioration par rapport à un état premier, naturel. Il entre dans un ch. de termes péj. indiquant l'affaiblissement, l'appauvrissement, la déchéance de qqn ou qqc. : amollir, féminiser (ex. 1), empoisonner, flétrir (ex. 7), avilir (ex. 4). Abâtardir est en oppos. sém. avec exalter, élever (ex. 6), relever (ex. 8).
B.− Emploi pronom. S'abâtardir.[Cet emploi correspond à l'emploi trans. au fig.; le suj. désigne une pers., un ensemble de pers., ou une faculté, une qualité, une œuvre hum.] Devenir bâtard, dégénérer :
11. Mais n'est-ce pas pitié que de voir un jeune homme au plus brillant de sa carrière, doué d'une intelligence supérieure, dont la pensée peut embrasser le monde et ses sciences, s'abâtardir, s'accroupir, s'abrutir, s'anéantir, à propos d'une coquinerie de fille, n'est-ce pas une pitié? Réveille-toi donc, Passereau! P. Borel, Champavert,Passereau, l'Écolier, 1833, p. 186.
12. Le royaume chancelle, la dynastie s'éteint, la loi tombe en ruine; l'unité politique s'émiette aux tiraillements de l'intrigue; le haut de la société s'abâtardit et dégénère; un mortel affaiblissement se fait sentir à tous au dehors comme au dedans; les grandes choses de l'état sont tombées, les petites seules sont debout, triste spectacle public; plus de police, plus d'armée, plus de finances; chacun devine que la fin arrive. V. Hugo, Ruy Blas,1838, p. 331.
13. La fête n'est point pour tous les jours. Donc tu te trompes quand tu condamnes les hommes sur leurs mouvements de routine, à la façon du prophète aux yeux bigles qui nuit et jour couvait une fureur sacrée. Car je sais trop que le cérémonial s'abâtardit dans l'ordinaire en ennui et routine. Car je sais trop que la pratique de la vertu s'abâtardit dans l'ordinaire en concessions aux gendarmes. Car je sais trop que les hautes règles de la justice s'abâtardissent dans l'ordinaire en paravent pour jeux sordides. A. de Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 986.
Rem. 1. S'abâtardir est en concurrence avec des termes qui annoncent la dégénérescence, voire la destruction : chanceler, s'éteindre, tomber en ruine (ex. 12) ou encore il est le 1erterme d'une gradation qui va jusqu'à l'anéantissement (ex. 11). 2. Dans l'ex. suiv., il semble que abâtardir soit mis pour s'abâtardir, pris au sens propre (lang. de l'hortic., cf. étymol. 1) :
14. Dégénérescence. Ce terme indique dans un sens général et même vague, un principe qui tend à affaiblir les individus et à leur faire perdre leurs caractères primitifs. Cet arbre a dégénéré, ses fruits ne sont plus ni aussi beaux, ni aussi bons qu'ils étaient. Cette plante dégénère, ses fleurs ne sont plus ni aussi belles, ni aussi grandes qu'elles étaient autrefois... On dit parfois abâtardir et abâtardissement dans le même sens que dégénérer et dégénérescence. E.-A. Carrière, Encyclopédie horticole,1862, p. 152.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abɑtaʀdiʀ:]. Pour Fouché Prononc. 1959, p. 84, le a de la 2esyllabe est post. en raison de la présence de l'accent circonflexe. Cf. aussi bâtard. Enq. : /abataʀdi, abataʀdis/. Conjug. agir. 2. Dér. et composés : abâtardi, abâtardir, abâtardissement. Cf. bâtard. 3. Hist. des formes. − Le mot abâtardir sous sa forme actuelle avec un accent circonflexe apparaît dans les dict. à partir de Ac. 1740, la forme abatardir sans accent circonflexe étant attestée dès le xvies. (cf. étymol.) et empl. comme vedette ds Rich. 1680 et ds Fur. 1701. Pour la forme anc. abastardir du xiies. (cf. étymol.) jusqu'à la fin du xviies. (cf. Ac. 1694), cf. bâtard. Pour les formes avec redoublement de consonne, cf. les ex. de Montaigne, de O. de Serres et de Du Pinet ds Gdf. En ce qui concerne la prononc. de ce mot, Littré remarque : ,,Quelques-uns disent : a-ba-tar-dir par un [a] bref; mais la plupart disent comme bâtard`` et sous la vedette abâtardissement : ,,Des grammairiens ont désiré que l'Académie supprimât l'accent circonflexe. Il est de fait que certains prononcent abatardissement, [a] bref, au lieu de [a:] long; mais la plupart suivent dans ce mot la prononciation de bâtard où l'a est long. L'accent circonflexe qui indique ici et l'étymologie et la prononciation doit donc être conservé.``
ÉTYMOL. − 1. 1165-70 trans. « avilir, faire perdre sa qualité (obj. : collectif de pers.) » (B. de Ste-Maure, Roman de Troie, éd. Constans, 26508 ds T.-L. : N'istra de mei fille ne fiz Par quei seit vis n'abastardiz Li lignages dont jo sui nee); ca 1174 id., « id. (obj. : pers.) » (Id., Chr. Ducs de Norm., éd. Fahlin, 23 502-4 : Or pre que si les ensigon que d'eus ne seion escharniz Ne tenuz por abastardiz); xiies. id., « id. (obj. : inanimé) » (Roncev., tir. 257 ds DG : Nostre lois est hui abastardie); 1549 réfl. (Est., Dict. fr.-lat. : s'abastardir : degenerare); 1561 réfl. « s'avilir, perdre sa qualité (d'une pers.) » (Calvin, Inst., 747 ds Littré : Ils se sont abastardis en degenerant de leurs pères); 1562 id. « perdre sa qualité (d'une plante) » (Du Pinet, Pline, XVIII, 17 ds Gdf. Compl. : Il y a des arbres qui ne s'abbastardissent jamais); 2. 1549 trans. « déclarer bâtard (un groupe humain) » (Du Bellay, Defence et llustration, I, 2 ds Hug. : Ce qui ne doit en rien diminuer l'excellence de nostre langue, veu que ceste arrogance grecque, admiratrice seulement de ses inventions, n'avoit loy ny privilege de legitimer ainsi sa nation et abatardir les autres). Dér. de bâtard*; préf. a-1* et suff. -ir*. HIST. − Le verbe a pris dès le début un sens dér. dépréciatif « faire dégénérer ». Le sens propre « déclarer bâtard », attesté pour la 1refois au xvies. (cf. étymol.), ne figure plus par la suite que ds Cotg. 1611. Emploi trans. « avilir, faire perdre sa qualité », 1reattest. 1165-1170 (cf. étymol.). Jusqu'à Ac. 1798, le mot connaît essentiellement, d'après les dict., un emploi fig. : abâtardir le courage, les mœurs : La misère et l'esclavage ont abâtardi le courage des Grecs. Fur. 1690. A partir du xixes. figure dans les dict. dans son emploi propre, en parlant des plantes, des races, etc. : Le défaut de soins a tout à fait abâtardi cette race d'animaux. Ac. 1835. Cf. en outre ex. 2. − Rem. 1. Les 2 emplois ci-dessus subsistent (cf. sém). 2. La forme pronom. de ce verbe s'abâtardir « dégénérer », 1reattest. 1549 (cf. étymol.), suit la même évolution que la forme trans. Peu attestée aujourd'hui au sens propre (cf. sém.).
STAT. − Fréq. abs. litt. : 24.
BBG. − Husson 1964.