| GENTILLESSE, subst. fém. A. − [Du point de vue perceptif, esthétique; correspond à gentil2II A] 1. a) Vieilli. Caractère de ce qui est gracieux, charmant, agréable (à voir). Déjà le son de la voix, la gentillesse des manières avait produit leur effet (Balzac, Employés,1837, p. 194). − [En parlant du physique d'une pers.] Quand nous parlons de la « gentillesse » d'une femme, nous ne faisons peut-être que projeter hors de nous le plaisir que nous éprouvons à la voir (Proust, Fugit.,1922, p. 496).Vous avez eu à treize ans une grâce, une gentillesse, une finesse, une intelligence que vous n'avez jamais retrouvées depuis (Montherl., Reine morte,1942, I, 1ertabl., 3, p. 143) : 1. Elle avait d'ailleurs commencé par montrer une petite figure de chat très drôle; impossible de savoir ce qui sortirait de son minois trop fin, impossible de deviner si elle serait vilaine ou jolie; puis, bientôt, elle passa par une certaine gentillesse, et finit par devenir tout à fait mignonne et charmante sur ses huit ou dix ans.
Loti, Rom. enf.,1890, p. 152. ♦ [En parlant d'une partie du corps] Tout occupé à regarder les femmes sortir de l'eau, un petit pied l'avait frappé par sa gentillesse et sa mignardise (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Enf., 1882, p. 680). ♦ P. anal. [En parlant d'un animal] Chaque matin j'admire à neuf la gentillesse de mon sansonnet (Gide, Journal,1914, p. 435). − [En parlant d'un lieu] La beauté, l'amabilité, la saine gentillesse de cette vallée de la Meuse sous le soleil (Barrès, Cahiers, t. 6, 1907, p. 124). − Dans le domaine des arts.Nous serions alors ramenés tout doucement près du berceau de l'art français, où tout est gentillesse et naïveté (Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 66) − P. méton. Objet gracieux, agréable à voir. Grange avait tracé à nouveau le jardin, arrangé un colombier, une volière et autres gentillesses (Pourrat, Gaspard,1922, p. 187). b) Au fig. Tournure d'esprit agréable, charmante. Gentillesse d'esprit. Aussi, beaucoup de gens affirmaient-ils la pureté de ses relations avec le baron, en objectant l'âge du conseiller d'État, à qui l'on prêtait un goût platonique pour la gentillesse d'esprit (Balzac, Cous. Bette,1847, p. 142). 2. Avec une nuance dépréciative; spéc. dans le domaine des arts, de la littérature.Forme maniérée, mais sans grande valeur. L'auteur (...) confondant les gentillesses du style avec la pensée proprement dite (Amiel, Journal,1866, p. 130) : 2. On nous apprend à aimer le beau, l'agréable, à avoir de la gentillesse en vers latins, en compositions latines et françaises, à priser avant tout le style, le talent, l'esprit frappé en médailles, en beaux mots, ou jaillissant en traits vifs...
Sainte-Beuve, Prem. lundis, t. 3, 1856, p. 67. − En partic.
Œuvre d'art charmante, mais de peu de valeur. Le prix que les amateurs attachent aujourd'hui aux gentillesses gravées et coloriées du dernier siècle prouve qu'une réaction a eu lieu dans le sens où le public en avait besoin (Baudel., Curios. esthét.,1867, p. 325). B. − [Du point de vue social, moral] 1. [Correspond à gentil2II B 2] . Au sing. Qualité, comportement habituel, fait de délicatesse, de prévenance. Geste, mot de gentillesse; faire preuve de gentillesse; témoigner de la gentillesse à qqn. Je faisais un grand effort de gentillesse envers Solange (Maurois, Climats,1928, p. 209).Carlo s'est approché de moi et avec la plus grande gentillesse s'est inquiété de me voir triste (Green, Journal,1935, p. 24).C'est seulement dans sa famille que je pus apprécier la grâce de Bernardino, sa gentillesse avec ses frères, son obligeance envers chacun (Gide, Feuillets automne,1949, p. 1112). − Être d'une gentillesse... Être très gentil. Ah, pour ces choses-là, il est d'une gentillesse... (Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 814). − Avoir la gentillesse de + inf.Popelin a eu la gentillesse de m'envoyer un livre, et moi la grossièreté de ne pas l'en remercier (Flaub., Corresp.,1879, p. 241).Il a la gentillesse de ne point me garder rancune de mes retraits (Gide, Journal,1937, p. 1274).Que mon contradicteur ait la gentillesse d'éclairer un peu sa lanterne (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 425). − Pousser la gentillesse jusqu'à + inf.Il poussa la gentillesse jusqu'à prévenir Karl de mon arrivée (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 164).À ce début d'été, il poussa même la gentillesse jusqu'à me demander si la compagnie d'Elsa, sa maîtresse actuelle, ne m'ennuierait pas pendant les vacances (Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 14). − Abuser de la gentillesse (de qqn). Vous êtes un garçon trop honnête, vous n'abuserez pas de ma gentillesse (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 130). − Par gentillesse pour (qqn). À chaque séjour que nous faisions à Uzès (...) par gentillesse je crois pour ma mère (Gide, Si le grain,1924, p. 377). − P. anal. [En parlant d'un animal] :
3. À mon époque des rapaces, j'avais un aigle des Pyrénées, c'est un oiseau qui ne se nourrit que de serpents. Les serpents coûtent cher, et comme je ne pouvais pas en barboter au Jardin des Plantes, j'achetais de la viande bon marché, je la découpais en lanières. Je les agitais devant l'aigle, et lui, − par gentillesse, − il faisait semblant de s'y tromper, et il les mangeait avec gloutonnerie.
Malraux, Espoir,1937, p. 468. − [P. méton. du compl.] La gentillesse de ses lettres (Maurois, Climats,1928, p. 121).Derrière le petit cadeau il sentait la gentillesse de la pensée qu'on avait eue (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 56). 2. [Correspond à gentil2II B 1] Souvent au plur. Parole, action qui manifeste la prévenance, la bienveillance, le sentiment amical (de quelqu'un). Les gentillesses de Jacqueline étaient dangereuses pour un homme qui ne se méfiait point (Rolland, J.-Chr., Amies, 1910, p. 1117).Certes, une personne comme ma grand'tante, par exemple, eût été incapable, avec aucun de nous, de ces gentillesses que j'avais entendu Bergotte prodiguer à Swann (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 571).Capable de toutes les perfidies et de toutes les gentillesses (Gide, Journal,1927, p. 844). − Dire, envoyer, faire une (des) gentillesse(s). Quand vous écrirez à MmePasca, envoyez-lui de ma part un tas de gentillesses (Flaub., Corresp.,1872, p. 66).À tout hasard je multipliais les gentillesses que je pouvais lui faire (Proust, Prisonn.,1922, p. 394).Le feu du fanal mettait son reflet dans l'eau, qui est sa sœur, pour lui faire une gentillesse (Montherl., Bestiaires,1926, p. 572).Vous comprenez, c'est pour vous dire une gentillesse, elle vous dit de vous soigner (Aymé, Jument,1933, p. 99). ♦ Par antiphrase, pop. Se dire des gentillesses. S'injurier. − Avoir des gentillesses (pour qqn). Elle eut pour tous ses enfants des paroles tendres, des gentillesses, de ces douces gâteries de mère qui dilatent les petits cœurs (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Inutile beauté, 1890, p. 1154).Je ne suis là que pour (...) les remercier de toutes les gentillesses qu'elles ont eues à mon égard (Montherl., Exil,1929, II, 2, p. 49). − P. anal. [En parlant d'un animal] L'animal leva la tête vers son maître; puis, il grimpa sur lui, escalada ses épaules et, après mille caresses et mille gentillesses, se roula autour du cou du capitaine, comme un foulard (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 91). − Par antiphrase. Mauvais traitement. Si Versailles ne se dépêche pas, nous verrons la rage de la défaite se tourner en massacres, fusillades et autres gentillesses de ces doux amis de l'humanité (Goncourt, Journal,1871, p. 758).J'avoue que (...) j'ai en horreur cette honteuse parodie de l'amour, la prostitution, la traite des blanches et autres gentillesses de même ordre (L. Daudet, Brév. journ.,1936, p. 231) : 4. Depuis un an (...) vous l'avez accusé de je ne sais combien de gentillesses qui vont de la simple escroquerie à la tentative de meurtre sur votre précieuse personne ou celle de votre mari, accusations ridicules et qui s'effondrent au premier témoignage entendu.
Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1403. Prononc. et Orth. : [ʒ
ɑ
̃tijεs]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1176 « noblesse de naissance » (Chr. de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 200); 1176-81 « noblesse de l'âme, des sentiments » (Id., Ch. au Lion, éd. M. Roques, 4078); 2. 1578 « acte, manière empreinte de grâce, de délicatesse » (H. Estienne, Nouv. lang. fr. ital., p. 172 ds Gdf. Compl.; cf. id., I, 238 ds Hug. où H. Estienne attribue l'évolution sém. à l'infl. ital.); 3. 1611 plur. « petits tours divertissants; bagatelles » (Cotgr.); 1remoitié xviies. « trait d'esprit agréable » (Voiture, Lett., I ds Littré). Dér. de gentil2*; suff. -esse*; cf. le synon. a. fr. gentelise, gentilise (2emoitié xiies. ds T.-L.), suff. -ise*, forme collatérale de -esse. Fréq. abs. littér. : 681. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 443, b) 754; xxes. : a) 742, b) 1 667. Bbg. Duch. Beauté. 1960, pp. 164-165. - Venck. 1975, p. 267; pp. 278-279, 289-290. |