| ÉVOLUER, verbe intrans. Changer progressivement de position ou de nature. A.− [Dans l'espace] 1. ARM., MAR. Faire mouvement, manœuvrer, exécuter des évolutions (cf. ce mot A 1). Les vaisseaux, de leur côté, avaient ordre d'appareiller chaque jour, de multiplier leurs exercices, d'évoluer autant que l'espace le permettrait (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 889). − Spéc. [En parlant d'un navire] Changer de cap. L'organe de propulsion, voilure, roue, hélice, peut (...) être mis à contribution pour faire évoluer le navire (Croneau, Constr. nav. guerre,t. 2, 1892, p. 361): 1. Glenarvan, armé de la longue-vue de Paganel, observait les allures du Duncan. John Mangles ne devait pas avoir aperçu ses passagers, car il n'évoluait pas, et continuait de courir, bâbord amures, sous son hunier au bas ris.
Verne, Enf. cap. Grant,t. 1, 1868, p. 252. 2. P. ext., cour. Se déplacer par une succession de mouvements variés; aller et venir. Évoluer légèrement, avec aisance, avec lenteur; un avion, un couple, une danseuse qui évolue. De grosses pièces, montées sur des wagons blindés, évoluaient le long du chemin de fer de ceinture (Zola, Débâcle,1892, p. 590).Pourquoi continuait-il à marcher sur la pointe des pieds, à parler d'une voix feutrée qui n'était pas la sienne, à évoluer avec précaution comme s'il risquait de casser des porcelaines? (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 10): 2. ... dom d'Auberoche préparait une répétition de la cérémonie avec ses novices. Il les faisait évoluer, tourner, saluer, s'agenouiller, devant le trône de l'abbé, puis défiler devant l'autel...
Huysmans, Oblat,t. 1, 1903, p. 238. ♦ P. anal. Dans l'exposition du choral [des Partite], les quatre voix évoluent élégamment (Pirro, J.-S. Bach,1919, p. 206).Il [le mode] varie suivant que la mélodie évolue autour de telle ou telle note d'une même série (Bouasse, Acoust. gén.,1926, p. 66). − P. métaph. ou au fig. Évoluer dans l'existence. Des régions plus inaccessibles pour moi que le ciel (...) où évoluaient les souvenirs, à moi inconnus, d'Albertine (Proust, Prisonn.,1922, p. 386).Les êtres, au milieu desquels il évoluait à Paris, lui apparaissaient d'une espèce étrange avec laquelle sa race campagnarde ne pouvait prétendre à aucun contact (Mauriac, Myst. Frontenac,1933, p. 184): 3. ... cet enfant gâté du Parlement, (...) qui évoluait savamment dans l'orbite du pouvoir, assez loin pour se faire payer ses services, assez près pour les offrir au bon moment.
Vogüé, Morts,1899, p. 17. Rem. Les dict. gén. du xixes. et Rob. citant Littré enregistrent le sens « tourner sur soi-même, tourner autour de son axe vertical », dans le domaine technol. : On fait évoluer des meules à deux cents tours par seconde, pour les mettre à l'épreuve (Littré). Cf. évolution A 3. B.− [Dans le temps] 1. Se transformer par étapes successives, passer progressivement d'un état à un autre. J'accepte sans effort l'idée d'une substance qui « est », qui se transforme, qui évoluera éternellement (Martin du G., J. Barois,1913, p. 351).Le cerveau humain, qui contient toutes nos images, évolue, se modifie, comme toute chose (Ruyer, Esq. philos. struct.,1930, p. 181): 4. En général, les structures évoluent lentement, mais des modifications peuvent prendre la forme de mutations violentes : innovation technique ou révolution politique...
Lesourd, Gérard, Hist. écon.,1968, p. 10. SYNT. Espèce, société qui évolue; langue, technique qui évolue; une situation qui évolue; des événements, des idées qui évoluent; évoluer constamment, lentement; cesser, continuer d'évoluer. ♦ [Avec un compl. prép.] Pendant ce temps, la Grèce entraînée par son roi évoluait rapidement de la neutralité malveillante vers une hostilité à peine déguisée (Joffre, Mém.,t. 2, 1931, p. 137).Excessive, elle [la « rêverie diurne »] corrode dangereusement la réalité, et peut évoluer en névrose (Mounier, Traité caract.,1946, p. 353): 5. ... la religion hellénique, longtemps polythéiste, n'évolue vers la représentation d'un Dieu unique que dans la mesure où l'ordre cosmologique, que la physique et en particulier l'astronomie instituent, tend à s'exprimer en une loi et en une finalité uniques.
J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 202. − Spéc. [Le suj. désigne une maladie, une affection, etc.] Passer par les divers stades de son développement habituel. « Une tumeur qui évolue si brusquement... », songea Antoine (Martin du G., Thib.,Consult., 1928, p. 1108): 6. Les bovidés sont particulièrement aptes à l'évolution de la peste et, chez eux seuls, la maladie acquiert toute sa gravité. Le buffle peut être aussi affecté, mais la maladie évolue sous une forme atténuée le plus souvent.
Nocard, Leclainche, Mal. microb. animaux,1896, p. 286. 2. En partic. [Avec une idée de progression] Nos vacances de Noël m'ont été utiles (...) elles m'ont fait prendre conscience de beaucoup de choses − ce qui me permet, à présent, d'évoluer, d'avancer à pas de géants (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1906, p. 218): 7. De ce point de vue supérieur, qui embrasse notre aventure universelle comme un phénomène non isolé et fragmenté dans le temps mais cheminant, évoluant, parfois régressant le long d'une durée indéfinie ainsi qu'un être vivant...
Faure, Espr. formes,1927, p. 260. Rem. On rencontre ds la docum. a) Évoluant, ante, part. prés. adj. Qui évolue. Caractères, corps, principe évoluant (s). Tu dis que cet article sur moi te fait envie et te semble difficile par certains côtés. Eh, mais tu as un moyen bien simple de t'en tirer. Tu me connais depuis trente ans; tu n'as qu'à faire une espèce de portrait... évoluant (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1921, p. 485). Je ne dis pas qu'avec une grande expérience de l'écriture polyphonique tel maître n'arrive pas à composer des fugues où volontairement il fasse la tonalité ondoyante, évoluante, comme avec les modes grégoriens (Koechlin, Écrit. fugue, 1933, p. 37). Emploi subst. p. ell. du déterminé. [En thermodynamique] il est facile de trouver le rendement d'un cycle de Carnot dans le cas où l'évoluant est un gaz parfait (Dumanois, Moteurs, 1924, p. 23). b) Évolutionner, verbe intrans. Synon. vieilli de évoluer (cf. ce mot A 1). La place est pleine de troupes qui évolutionnent au battement des tambours (Du Camp, Hollande, 1859, p. 115). Prononc. et Orth. : [evɔlɥe], (j')évolue [evɔly]. Enq. : /evoly/ (il) évolue. Ds Ac. 1878 et 1932. Étymol. et Hist. 1. 1536 art milit. « manœuvrer » (L'Œuv. d'Aelian, fo297 ds Gdf. Compl.); 2. 1845 s'évoluant « se transformant » (D'Orbigny, Dictionnaire, t. VI, pp. 112-192, s.v. géographie zoologique); 3. 1864 « passer par une série de transformations » (Renouvier, Essais crit. gén., 3eessai, p. 177). Dér. du rad. de évolution*; dés. -er; la forme pronom. s'explique par attraction de verbes comme se transformer, se modifier. Fréq. abs. littér. : 368.
Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4, b) 142; xxes. : a) 1 003, b) 880. Bbg. Gohin 1903, p. 249. − Robinson (A.-H.). Les Désignations de la « marche dans l'espace » dans trois quotidiens parisiens. Fr. mod. 1974, t. 42, p. 157. |