| ÉVIDENCE, subst. fém. A.− [En parlant d'une réalité concr.] Caractère de ce qui est immédiatement perçu par les sens et notamment par la vue. Évidence immédiate, sensible. Il faut comprendre que son élément [de Rubens] c'est la lumière, que son moyen d'exaltation c'est sa palette, son but la clarté et l'évidence des choses (Fromentin, Maîtres autrefois,1876, p. 49): 1. Ce qui revient à lui interdire [à un artiste] toute manifestation, toute évidence de vie personnelle et d'humeur privée...
Colette, Jumelle,1938, p. 123. − Mettre en évidence. Rendre visible, manifeste; exposer aux regards. Elle-même, en dirigeant l'arrangement de son salon, elle avait mis en évidence ces délicieuses babioles que produit Paris (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 208). ♦ P. anal. [Le compl. désigne une pers.] Se mettre en évidence et p. ell. en évidence (en emploi adj. apposé). Se montrer, qui se montre avec l'intention de se faire remarquer. Madame de Noailles était tenue, à l'étranger, pour l'écrivain et la maîtresse de maison les plus en évidence (Blanche, Modèles,1928, p. 59). − P. méton. Ce qui se voit. Un soir (...) il [Eustache] voulut se brûler les yeux à l'évidence et se rendit au Pré-aux-Clercs (...) sa vue se troubla en reconnaissant le jeu de boules où le duel avait eu lieu (Nerval, Nouv. et fantais., La Main enchantée, 1832, p. 222). Rem. L'emploi peu fréq. de cette accept. est illustré par l'énoncé suiv. : On peut s'efforcer de ramener l'évidence à l'expérience sensible. C'est l'explication de l'école sensualiste (Cousin, Philos. écoss., 1857, p. 392). B.− [En parlant d'une idée claire et distincte] Caractère qui entraîne immédiatement l'assentiment de l'esprit, soit à partir d'un raisonnement, soit à partir de la constatation de faits. Force, principe d'évidence; évidence rationnelle; nier l'évidence. Passons maintenant à l'évidence; selon la force du mot, elle consiste dans une vue claire de la vérité d'un principe ou d'une proposition (Lamennais, Indifférence,t. 1, 1817-23, p. 115).Boutroux disait à Bourget que ce principe d'évidence qu'a posé Descartes venait de ce qu'il était profondément croyant et qu'il jugeait que Dieu ne peut pas nous tromper (Barrès, Cahiers, t. 14, 1923, p. 197).Qu'est-ce que cela signifiait? L'évidence était l'évidence. Elle luisait pour tout le monde. Elle éclairait tous ceux qui avaient des yeux (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 303).Cf. aussi cogito ex. 1 et déraisonner ex. : 2. Locke a parfaitement vu ailleurs que l'évidence de démonstration est fondée sur l'évidence d'intuition. Il a même dit qu'entre ces deux genres d'évidence, non seulement l'évidence d'intuition est antérieure à l'autre, mais qu'elle lui est supérieure, qu'elle est le plus haut degré de la connaissance.
Cousin, Hist. philos. XVIIIes.,t. 2, 1829, p. 476. 3. Le degré d'évidence qui fait qu'une proposition peut être convenablement prise pour axiome, n'appartient pas toujours à la vérité primordiale, à celle que la raison conçoit comme étant le principe et l'origine des autres, mais au contraire, dans beaucoup de cas, à quelque résultat éloigné de cette vérité primordiale, lequel, à l'aide de circonstances accessoires, se présente à l'esprit sous un jour plus favorable.
Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 372. 4. Je revins glorieux et tondu. Il y eut des cris mais pas d'embrassement et ma mère s'enferma dans sa chambre pour pleurer : on avait troqué sa fillette contre un garçonnet. Il y avait pis : tant qu'elles voltigeaient autour de mes oreilles, mes belles anglaises lui avaient permis de refuser l'évidence de ma laideur.
Sartre, Mots,1964, p. 85. − Expr. et loc. ♦ Mettre en évidence. Démontrer de manière indiscutable. La rotation du plan de polarisation de la lumière sous l'influence d'un champ magnétique créé par des aimants ou des courants est le phénomène le plus remarquable de ceux qui mettent en évidence les actions réciproques de la lumière et de l'électricité (Poincaré, Électr. et opt.,1901, p. 192). ♦ Se rendre à l'évidence. Finir par reconnaître ce qui est indiscutable. Il faut se rendre à l'évidence. Tout est exact, sinistrement exact! (Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p. 704). ♦ Montrer, prouver avec (jusqu'à l')évidence. La hardie négation de Kant se trouve réfutée d'avance par cette analyse même qui nous montre avec évidence la raison de la valeur représentative des impressions sensibles (Cournot, Fond. connaiss.,1851p. 222).Oh! madame, il y a une preuve aveuglante, la ressemblance extraordinaire de l'enfant... Puis, les dates sont là, tout s'accorde et prouve les faits jusqu'à la dernière évidence (Zola, Argent,1891, p. 153).Mais ta douleur, si elle est sincère, le montre jusqu'à l'évidence! (Curel, Nouv. idole,1899, I, 6, p. 184). ♦ L'évidence saute aux yeux. Tais-toi, mon poignard vient directement du Pérou, l'évidence saute aux yeux (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 107). ♦ À l'évidence, de toute évidence, loc. adv. De manière absolument sûre, indiscutable. Il était même sûr, à l'évidence, que nulle entente réelle ne coordonnait leurs efforts (Genevoix, Raboliot,1925, p. 107). SYNT. Évidence de démonstration, d'intuition; évidence de la vérité, des faits; évidence géométrique, irrésistible, mathématique; de la dernière évidence; aller contre, refuser l'évidence; contre toute évidence. Prononc. et Orth. : [evidɑ
̃:s]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. [1314 (H. de Mondeville, fo97 vods Littré ds DG)]; 1362 (Rym., 2eéd., t. VI, p. 390 ds Gdf. Compl.). Empr. au lat. class. evidentia, de même sens. Fréq. abs. littér. : 1 911. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 888, b) 883; xxes. : a) 2 000, b) 4 845. Bbg. Versini (L.). Néol. et tours à la mode ds Angola. In : [Mél. Pintard (R)]. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1975, t. 13, no2, p. 517. |