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ÉTERNITÉ, subst. fém.
A.−
1. Ce qui n'a ni commencement ni fin. L'immobile éternité, incompréhensible comme l'éternité. Dieu est de toute éternité (Ac.). Ils croyaient [les mages], dit Chardin, à l'éternité d'un premier être, qui est la « lumière » (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 318).En chinois l'idée d'éternité est exprimée par le caractère « eau » avec un point au-dessus (Claudel, Art poét.,1907, p. 194):
1. Éternité de l'essence pensante. (...) les vérités « immortelles » sont soustraites au devenir : elles voudraient mourir qu'elles ne le pourraient pas! Leur éternité est donc toute positive. Jankél., La Mort,Paris, Flammarion, 1966, p. 355.
2. Durée qui a un commencement, mais pas de fin. Dieu existe, la mort vient, l'éternité va commencer (Flaub., Tentation,1849, p. 334).Il ne faudra pas moins que l'éternité pour admirer la beauté absolue, indicible des choses (Bloy, Journal,1903, p. 169):
2. ... je ne demandais rien de plus à Dieu, s'il existe un paradis, que d'y pouvoir frapper contre cette cloison les trois petits coups que ma grand'mère reconnaîtrait entre mille, (...) et qu'il me laissât rester avec elle toute l'éternité, qui ne serait pas trop longue pour nous deux. Proust, Sodome,1922, p. 763.
En partic. La vie future. Éternité bienheureuse, malheureuse; une éternité de béatitude. Sortez du temps, entrez d'avance dans cette éternité que vous devez habiter un jour (Lamennais, Lettres Cottu,1822, p. 127).C'est le bien-être de la tombe où je vais goûter l'éternité avec tout ce que j'ai de meilleur (Barrès, Cahiers,t. 1, 1896-98, p. 51):
3. Pour lui, le dilemme de Pascal n'existait plus. Il écrivait : « À miser sur l'éternité, de toute façon je gagne, puisque je m'assure dans le renoncement le seul bonheur terrestre possible... » Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 298.
Expr. Être sur le rivage, sur le seuil, au bord de l'éternité. Être sur le point de mourir. Ici c'est une chose plus sublime, c'est le mourant qui parle de la mort. Aux portes de l'éternité, il la doit mieux connaître qu'un autre (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 395).
P. ext. Gloire durable dévolue à un héros, un chef, un grand artiste, etc. Entrer dans l'éternité. Synon. immortalité.
3. P. hyperb. Temps très long. Il y a une éternité que je vous attends. Cette maison durera une éternité (Besch.1845).C'est vrai, Odette, il y a des siècles, des éternités que je ne vous ai vue (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 597):
4. Ce petit mot, mis à la poste tout simplement, vous arrivera vite. À Berlin, l'éternité se passait avant que l'on reçut des nouvelles de ses amis. Chateaubr., Corresp.,t. 3, 1822, pp. 3-4.
Loc. De toute éternité. De temps immémorial. Cela est là de toute éternité (Ac.). Gérard, persuadé que s'unissent dans l'amour des êtres promis l'un à l'autre de toute éternité... (Durry, Nerval,1956, p. 122).
B.−
1. Qualité de ce qui est éternel. L'éternité de l'âme, de Dieu. Platon démontre l'éternité de l'être, et, par conséquent, notre immortalité (P. Leroux, Humanité,t. 2, 1840, p. 349):
5. ... qui parle mieux à l'âme d'éternité que le flot sans cesse recommencé, que l'océan inlassable, dont chaque vague succède à la précédente, sans début ni fin? Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 33.
2. Expérience subjective de cette qualité dans le temps. L'éternité dans l'instant, une minute d'éternité. Elle est retrouvée. Quoi? − L'éternité. C'est la mer allée Avec le soleil (Rimbaud, Dern. vers,1872, p. 160).Cette divine éternité d'un quart d'heure qui s'appelle la « Ballade en fa dièse » de Gabriel Fauré (Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 44):
6. L'éternité a duré une minute. Un autre courant d'idées vous emporte (...). On vit plusieurs vies d'homme en l'espace d'une heure. Baudel., Paradis artif.,1860, p. 338.
Rem. On rencontre ds la docum. a) Éternalisme, subst. masc. Attitude morale qui pose la réalité de l'éternité. Une voie du milieu (...) avait été préconisée par le buddha de la tradition entre les extrêmes soit éthiques, ascétisme et hédonisme, soit philosophiques, éternalisme et nihilisme (Philos., Relig., 1957, p. 5215). b) Éternisme, subst. masc. ,,Idée d'un instant infini, ayant une valeur d'éternité`` (J. Guitton, Essai sur l'amour humain, 1938, p. 66, cité par Rheims 1969). Une perpétuelle négation du présent n'introduit pas non plus l'éternité dans le temps, comme le feint l'« éternisme morose » (Mounier, Traité caract., 1946, p. 321). c) Éternitaire, adj. Qui a le caractère permanent, intemporel d'une essence éternelle. La vocation éternitaire de la pensée est ainsi brutalement démentie par la mort du penseur (Jankél., op. cit., p. 376).
Prononc. et Orth. : [etε ʀnite]. Noter une différence quant au timbre de la seconde voyelle entre Fér. 1768 et Fér. Crit. t. 2 1787 : ,,è moyen``, ,,ê ouvert``. Même observation en ce qui concerne éternel, éternellement, éterniser. Enq. : /eteʀnite/. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1175 eternitez (B. de Ste-Maure, Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 26103). Empr. au lat. class. aeternitas, -atis, de même sens. Fréq. abs. littér. : 2 821. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 325, b) 3 230; xxes. : a) 4 127, b) 4 092. Bbg. Darm. Vie 1932, p. 47.