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ÉPAIS, AISSE, adj.
I.− [Caractérisant l'étendue]
A.− [Appliqué à une seule dimension]
1. [Avec une idée de comparaison formulée ou implicite] Qui est relativement important quant à l'épaisseur (cf. ce mot I A).Couche épaisse; lignes épaisses; d'épais volumes. Dans les mammifères en général, le cuir est aussi plus épais dans la région du dos, et beaucoup plus mince dans celle du ventre (Cuvier, Anat. comp.,t. 2, 1805, p. 558).De larges nappes de couleur, cernées d'un épais trait expressif (Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 112):
1. ... il y avait, remplis par un petit esclave à mesure qu'il y buvait, (...) un verre, à parois très minces, de thé à la menthe bouillant, un vaste verre, de la grandeur d'un pot à confitures, et à parois très épaisses, d'eau pure qu'on maintenait glacée. Montherlant, Encore un instant de bonheur,1934, p. 696.
SYNT. Épiderme épais; papier, livre épais; rideaux, tapis épais; couche, croûte, cuirasse épaisse; neige épaisse; une épaisse couverture; d'épaisses murailles.
Emploi adv.
a) [Indiquant la manière] En faisant des parts importantes. « Coupe épais, mon minou », fit-elle d'une voix paresseuse (Martin du G., Thib.,Belle sais., 1923, p. 968).
b) [Indiquant la quantité] Une ouvrière (...) ça ne gagne pas épais (Labiche, Frisette,1846, 14, p. 253).Le soleil écrasé sur nous était étendu sur les prés (...) comme une couche de beurre roux sur du pain. Il y en avait épais (Giono, Eau vive,1943, p. 101).
2. [Suivi d'un compl. indiquant la mesure de cette dimension] Cette veine était si mince, épaisse à peine en cet endroit de cinquante centimètres (Zola, Germinal,1885, p. 1164).Lanière plate large comme la main, épaisse d'un doigt (Malraux, Cond. hum.,1933, p. 387).
Emploi subst. Il y a de la neige deux pieds d'épais (Ac.1798-1878).
B.− [Appliqué à plusieurs dimensions qui définissent une surface ou un volume]
1. Dont les proportions sont importantes, qui a un aspect massif. L'épais carré de l'Espagne et de l'Arabie; la longue arête de l'Italie et de l'Hindoustan (Michelet, Introd. Hist. univ.,1831, p. 411).D'admirables chevaux (...) de ce modèle appelé « hunter », massif, ramassé, près de terre, à l'ossature carrée, aux membres épais (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 181):
2. Le type pycnique ou épais se distingue par la prépondérance relative des dimensions horizontales sur les verticales; le type leptosome ou grêle se caractérise par la prépondérance relative des dimensions verticales sur les horizontales et par le profil anguleux. Delay, Ét. de psychol. méd.,1953, p. 155.
Spéc., avec une valeur péj.
a) [En parlant d'un être vivant ou d'une partie du corps] Corps épais; personne, taille épaisse. Son nez vaste et charnu, ses lèvres épaisses, apparaissaient comme de puissants appareils pour pomper et pour absorber (France, Orme,1897, p. 80).L'épaisse cuisinière ressemblait à une grosse poule dont le plumage se fût gonflé au-dessus des pattes (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 38):
3. « C'est là vraiment l'homme barbare. Ses membres trapus, son cou épais et court, je ne sais quoi de hideux qu'il a dans tout le corps, le font ressembler à un monstre à deux pieds... » Hugo, Le Rhin,1842, p. 446.
P. ext. Qui manque de finesse, de délicatesse, de grâce. Face épaisse, visage épais. Une face lippue, des traits maigres et épais (Arnoux, Juif Errant,1931, p. 138).
b) Au fig. Sottise, vulgarité épaisse. Votre interlocuteur laisse percer une si épaisse bêtise, une si énorme ignorance (Goncourt, Journal,1895, p. 864).
2. Emploi subst. avec valeur de neutre. La partie la plus épaisse d'un membre. Il a de gros muscles qui font de l'ombre le long de ses bras et sur ses hanches, et à l'épais de ses cuisses (Giono, Regain,1930, p. 131).
II.− [Caractérisant la constitution ou l'état de la matière]
A.− [Appliqué à un ensemble de pers. ou de choses] Qui est constitué d'éléments nombreux et rapprochés les uns des autres. Bois épais; chevelure épaisse; foule épaisse. Une grêle épaisse était tombée sur les dalles (Quinet, All. Ital.,1836, p. 155).[Des] faces rouges embroussaillées de moustaches épaisses et de favoris buissonnants! (Verne, 500 millions,1879, p. 138):
4. ... là commençaient insensiblement les fourrés d'ormes, d'abord clairsemés et libres, puis épais et taillés, enfin, percés par une allée fort belle et de tout repos, ... Boylesve, La Leçon d'amour dans un parc,1902, p. 95.
SYNT. Arbres, buissons, feuillages, taillis épais; barbe, crinière épaisse; bataillons, rangs épais.
Emploi adv. Cette graine ne doit pas être semée si épais (Ac.1835-1932).
Emploi subst. Au plus épais (de). À l'endroit le plus épais, le plus dense. Au plus épais de la brousse, d'une forêt, de la cohue, de la foule. Au plus épais des masses ennemies (Michelet, Insecte,1857, p. 281).
Au fig. Au cœur, au plus fort de. Au plus épais de la bataille, du danger, du tumulte. Si la crise arrive, vous me verrez au plus épais (Lamart., Corresp.,1830, p. 37).
B.− Qui est fait d'une matière serrée, compacte, ayant une forte cohésion ou une forte concentration.
1. Domaine concr.Boue, gelée, pâte épaisse. Il faut observer un régime exact, s'abstenir des alimens âcres, salés, ou épais et visqueux (Geoffroy, Méd. prat.,1800, p. 206).
a) [En parlant d'un liquide] Qui est consistant, peu fluide. Café, vin épais; crème, sauce épaisse. Une écuellée de lait de chèvre, épais comme du fromage et doux comme du miel (About, Grèce,1854, p. 452).Le sang se transforme en une encre grasse, épaisse (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 322):
5. ... à cause de nos dents trop faibles qui branlaient dans leurs alvéoles, le biscuit de mer sec nous était une nourriture impossible; cuit dans l'eau il faisait une bouillie épaisse où nos dents se prenaient et restaient. Gide, Le Voyage d'Urien,1893, p. 57.
Rem. On rencontre épais suivi d'un compl. prép. au sens de « rendu épais par (quelque chose) ». Elles [des eaux] sont vert-olive foncé, épaisses de matière vivante et de nourriture (Michelet, Oiseau, 1856, p. 293).
P. méton. Langue épaisse. Chargée d'une salive épaisse et p. ext. qui articule difficilement. M. Jageot (...) avait la langue épaisse et blanchâtre (Champfl., Bourgeois Molinch.,1855, p. 214):
6. Ses idées confuses tourbillonnaient; il tâchait de les rattraper; il se demandait soudainement : − hein! ... plaît-il?... d'une langue épaisse; et les yeux fermés, s'obstinait à essayer de se représenter l'image de la Belcredi. Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 250.
P. métaph. Son épais rire se mouillait d'une salive jubilante (Goncourt, Journal,1873, p. 953).Une voix épaisse, comme enrouée, gronda (Zola, E. Rougon,1876, p. 359):
7. ... Joseph sombra tout à fait dans un sommeil affreux, dans un sommeil épais, noir et gluant comme est, paraît-il, le pétrole natif dans les entrailles du sol. Duhamel, La Passion de Joseph Pasquier,1945, p. 219.
b) [En parlant d'une substance gazeuse] Qui est fortement condensé, saturé. Brouillard épais; brume épaisse; d'épaisses vapeurs. L'air était épais et sombre (Janin, Âne mort,1829, p. 181).Les foyers rougeâtres d'où montait une épaisse fumée (Tharaud, Dingley,1906, p. 79):
8. Le lendemain, au lever du jour, un brouillard assez dense rampait lourdement sur les eaux du fleuve. Une partie des vapeurs qui saturaient l'air s'était condensée par le refroidissement et couvrait d'un nuage épais la surface des eaux. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 3, 1868, p. 101.
P. métaph. Une bonne odeur lourde, épaisse à couper au couteau (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 28).
c) P. ext. [Appliqué à ce qui est assimilé à une substance matérielle] Qui a une apparence compacte, est impénétrable à la vue. Obscurité épaisse; ténèbres épaisses. L'ombre plus épaisse l'enveloppa (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Dimanches Paris, 1880, p. 294).Comme la nuit est épaisse et comme les lumières de ces flambeaux ont de la peine à la percer! (Sartre, Mouches,1943, II, 2etabl., 8, p. 83):
9. ... le rouge, cette couleur si obscure, si épaisse, plus difficile à pénétrer que les yeux d'un serpent, − le vert, cette couleur calme et gaie et souriante de la nature, je les retrouve chantant leur antithèse mélodique jusque sur le visage de ces deux héros. Baudelaire, Salon,1846, p. 136.
Emploi abstr. Un entraînement à la joie qui l'emporte souvent sur des tristesses et des noirceurs des plus épaisses (M. de Guérin, Corresp.,1833, p. 84).Une épaisse obscurité enveloppe cette histoire (France, Île ping.,1908, p. 179).
2. Au fig., péj. Qui donne une impression de lourdeur, de pesanteur.
a) [En parlant d'une pers., de ses facultés intellectuelles] Qui manque de finesse, de pénétration, de subtilité. Âme, intelligence épaisse. L'épais, le béotien Éraste (Jouy, Hermite,t. 2, 1812, p. 345).Ces préoccupations d'affaires qui gâtent l'intérieur et rendent l'esprit épais (Sand, Hist. vie,t. 1, 1855, p. 44):
10. Cette maîtresse, en contact avec ses élèves, me parut bien épaisse et bien placide; je fus étonnée du peu d'acuité, du peu d'élan, du peu de flamme de sa physionomie. Frapié, La Maternelle,1904, p. 44.
b) [En parlant des manifestations de l'esprit ou de la sensibilité] Qui manque d'aisance, d'élégance, de raffinement. Joie, satisfaction épaisse. Gaîté, quelquefois profonde et fine, le plus souvent épaisse et obscène (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr.,1828, p. 252).Qu'ils écrivent sur les prisons en bon vieux style épais! (Flaub., Éduc. sent.,1845, p. 68).Comme j'essuyais les épais compliments d'Adolphe Retté (Gide, Si le grain,1924, p. 526):
11. Ensuite, en face du désordre de la monarchie européenne de l'époque, basée sur les principes matériels les plus injustes et les plus épais, elle éclaire la hiérarchie organique de la monarchie aztèque établie sur d'indiscutables principes spirituels. Artaud, Le Théâtre et son double,1938, p. 152.
Prononc. et Orth. : [epε], fém. [-εs]. Enq. : /epe, (D); − s/. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 subst. el plus espès en parlant d'une mêlée, d'une bataille (Roland, éd. J. Bédier, 3529); 2. ca 1150 « dense, compact » espesse pluie (Wace, St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 237); xives. « qui manque de fluidité » (Recettes méd., 2 ds T.-L.); 3. ca 1160 en parlant d'un corps à trois dimensions et par opposition à la longueur et à la largeur (ou à la hauteur) mur espès (Enéas, 441 ds T.-L.); 4. av. 1564 « dont l'aspect extérieur est massif, grossier, lourd, pesant » (Calvin ds Dochez); 1677 un homme épais (Miège). La forme a. fr. espes, encore en usage au xviies. est issue du lat. class. spissus « épais, dense, compact »; la forme mod. épais est due par une évolution analogue à celle de roide, raide, à l'infl. de l'a. fr. espeis, espois (ca 1200 ds T.-L.) qui existait à côté de espes. Les formes espeis, espois sont elles-mêmes issues d'un croisement de espes avec le subst. a. fr. espeisse, espoisse « épaisseur » (xiies. ds T.-L.) et le verbe a. fr. espeissier, espoissier « épaissir » (xiies., ibid.), du lat. pop. *spissia, *spissiāre, class. spissare « rendre épais ». Fréq. abs. littér. : 4 638. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 6 862, b) 6 977; xxes. : a) 6 855, b) 6 007. Bbg. Grundt (L.-O.). Ét. sur l'adj. invarié en fr. Bergen-Oslo-Franso, 1972, p. 153.