| ÉCORNER, verbe trans. A.− Priver, accidentellement ou non, de ses cornes, d'une corne. Écorner un taureau. Panser une bête écornée (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 18). − Emploi pronom. à sens passif. Luttes, où les bouvillons s'écornent, où les bœufs peuvent se percer ou contracter un effort (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 167). − Proverbe. Il fait un vent à écorner les bœufs (Ac.1835-1932). Rem. Le verbe décorner est habituellement utilisé dans cette locution. B.− P. anal. [Le compl. désigne un inanimé concr.] 1. Endommager en cassant, en émoussant les angles, les bords, les coins. Pour voir si l'on n'avait point brisé quelque colonne ou écorné quelque fronton (About, Grèce,1854, p. 254): 1. Ce ne sont que trous béants, où a éclaté la destruction, angles de fenêtres écornés, pilastres rompus, balcons arrachés...
Goncourt, Journal,1878, p. 780. − Spéc. Écorner un livre, un journal. Faire des cornes à ses pages. Pour faire entrer le journal dans leur boîte, ils le plient souvent en quatre et l'écornent de partout (Mallarmé, Dern. mode,1874, p. 742).La reliure de maroquin rouge était écornée par l'usage (France, Dieux ont soif,1912, p. 82). ♦ Écorner de la vaisselle, une assiette. Ébrécher. On prend le thé dans des récipients bizarres, hanaps, vidrecomes, coquilles japonaises, le tout ébréché par le bric-à-brac, écorné par les déménagements (A. Daudet, Femmes d'artistes,1874, p. 152). − Arg. Forcer, fracturer (cf. Carabelli, [Lang. pop.]). Nos gens sont disposés à travailler ce soir : il s'agit d'écorner deux ou trois boucards (de forcer deux ou trois boutiques) (Raban, Marco Saint-Hilaire, Mém. forçat,t. 1, 1828-29, p. 10). 2. Ôter une partie, en diminuant aux angles. Le Mont Dryden dont le médiocre sommet écornait l'horizon du sud (Verne, Enf. cap. Grant,t. 2, 1868, p. 109).Ceux qui sournoisement écornent le champ voisin en déplaçant les bornes (Verhaeren, Camp. halluc.,1893, p. 54).Céline permettait qu'il écornât discrètement la pâte de la tourte (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 33): 2. À la lueur de la lune écornée, qui émergeait des nuages pour s'y replonger aussitôt, on découvrait sur les deux bords du navire, à travers une brume jaune, des côtes hérissées de rochers.
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,t. 1, 1848, p. 357. − Spéc. Écorner un convoi (Lar. 19e-20e). En surprendre une des extrémités. C.− Au fig. 1. [Le compl. désigne une pers.] a) Blesser comme le fait un animal à l'aide de ses cornes. Avec les furieux c'est franc... c'est une question de corrida... c'est de sauter la balustrade avant qu'ils vous écornent les tripes!... (Céline, Mort à crédit,1936, p. 508): 3. ... le petit Robert aussitôt que ça tournait au tragique, il se planquait vite sous l'établi... perdant rien de la corrida. Sans se faire écorner du tout. Il se faisait une petite tartine...
Céline, Mort à crédit,1936p. 198. b) Arg., vieilli. Calomnier, injurier (cf. Vidocq, Voleurs, t. 2, 1836, p. 275). Ce n'est pas pendant qu'ils sont absents qu'il faut les écorner (...) En médire (Vidocq, Vrais myst. Paris,t. 1, 1844, p. 46). 2. [Le compl. désigne un inanimé abstr.] a) Porter atteinte à l'intégrité. Désolé cependant d'écorner une journée que j'espérais pouvoir donner toute au travail (Gide, Journal,1912, p. 385).La vie qui s'était écornée en 14, fendillée en 18, craquelée en 27, déchirée en 32, disloquée en 36, allait s'écrouler (Morand, Eau sous ponts,1954, p. 211). − Littér. Porter atteinte à. Écorner la fidélité conjugale (Nouv. Lar. ill.-Lar. Lang. fr.). Je viens de lire une lettre de l'aimable Schiassetti; sans écorner sa vertu, elle est la favorite de la reine, du roi, des princes (Stendhal, Corresp.,t. 2, 1800-42, p. 116). b) Domaine financier.Écorner un capital, un patrimoine. En dépenser une partie. Synon. entamer, réduire.Chaque hiver écornait le capital de l'Aldrigger (Balzac, Mais. Nucingen,1838, p. 622).Nous vivrons, en le voulant, avec notre traitement écorné, mais à l'unique condition de n'avoir aucun reliquat de dettes (Mallarmé, Corresp.,1869, p. 296): 4. Christine s'inquiétait de tout cet argent dépensé si vite, des sommes dont ils écornaient sans cesse le capital.
Zola, L'Œuvre,1886, p. 258. Prononc. et Orth. : [ekɔ
ʀne], écorne [ekɔ
ʀn]. Enq. : /ekoʀn/ (il) écorne. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1200 buef escorné « privé de ses cornes » (Jourdain de Blaye, éd. P. F. Dembowski, 4130); 2. ca 1210 fig. « amputer, priver » (R. de Houdenc, Meraugis, 1292 ds T.-L.); 1595 fig. « dissiper (une partie de son avoir) » (Montaigne, Essais, I, ch. XIV, éd. A. Thibaudet, p. 87); 3. 1611 « endommager un objet en entamant un coin » dez escornez (Cotgr.). Dér. de corne*; préf. é-*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 115. DÉR. Écornement, subst. masc.,rare. État de ce qui est écorné. Là, la montagne-de-Sabel, dominée par la chaîne plus haute des monts d'Orb, sauf quelques écornements aux blocs qui montrent trop l'échine, s'est conservée avec ses rondeurs et ses lignes d'autrefois (Fabre, Mllede Malavieille,1865, p. 268).− Seule transcr. ds Littré : é-kor-ne-man. − 1reattest. 1611 (Cotgr.); du rad. de écorner, suff. -ment1*. BBG. − Gottsch. Redens. 1930, p. 60. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 171. − Sain. Lang. par. 1920, p. 31, 330. − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 67. |