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ÉCORCHER, verbe trans.
A.− [Le compl. désigne un être vivant, animal ou humain]
1. Dépouiller de sa peau. Écorcher un cheval, un lapin, un loup, un renard; écorcher vif un supplicié. Synon. dépiauter, dépouiller.« Ne vous avais-je point avertis que vos moutons mourraient, et que vous devriez les écorcher pour vendre leurs peaux et leur laine? » (Tharaud, Fête arabe,1912, p. 200).Elle tira ses bas comme on écorche un lapin (Giono, Gd troupeau,1931, p. 48):
1. Je vis alors, je vis, − et ce fut pour moi comme si en écorchant un lièvre je trouvais sous la peau un petit corps d'enfant, − un visage de dix-huit ans, des joues, des yeux, des lèvres, des dents de dix-huit ans, ... Giraudoux, Siegfried et le Limousin,1922, p. 139.
2. Les malheureux Arméniens qui s'étaient associés à l'équipée franque, furent écorchés vifs ou, liés sur des pieux, servirent de cible à la soldatesque. Grousset, L'Épopée des croisades,1939, p. 124.
Loc. Il crie comme si on l'écorchait (Ac. 1798-1932). Il crie très fort. Il ressemble aux anguilles de Melun; il crie avant qu'on l'écorche (Ac. 1798-1932). Crier par poltronnerie (cf. anguille ex. 4).Écorcher l'anguille par la queue. Commencer par le difficile (cf. France 1907). L'animal est vieux et fort éreinté. Il a fait son temps. Le diable, c'est d'écorcher la queue de l'anguille (Mérimée, Lettres Viollet-le-Duc,1870, p. 176).Il faut tondre les brebis et non les écorcher. Il ne faut pas exiger du contribuable plus qu'il ne peut donner (cf. J.-F. Rolland, Dict. mauv. lang., 1813, p. 55).Écorcher le renard (arg.). Vomir (cf. France, 1907).
Spéc., ARTS. Écorcher une figure. ,,Diminue[r] les noyaux des figures que l'on veut couler en métal ou en plâtre et dont il faut préalablement diminuer l'épaisseur d'une certaine quantité`` (Adeline, Lex. termes art, 1884, p. 209).
2. P. métaph. et au fig.
a) Exiger beaucoup plus qu'il n'est raisonnable pour des marchandises, des prestations de services. Écorcher les voyageurs, les clients. Synon. estamper, voler.Il y a le revers de la médaille (...) un intendant Robert, des plus capables et homme de ressources, − de trop de ressources! − terrible à force d'expédients, qui tond et écorche impitoyablement les provinces conquises (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 1, 1863-69, p. 327).
Emploi abs. À Alexandrie (...) j'allai loger à l'auberge d'Italia, où on m'écorcha d'une rude manière (Stendhal, Journal,1801-05, p. 36).
b) Supplicier moralement. En le regardant vivre sous ses yeux le commissaire croyait voir un homme qu'on aurait vidé de toute substance, écorché intérieurement. Il allait et venait, buvait, parlait comme un homme ordinaire, mais il n'y avait plus rien à l'intérieur, rien que l'intelligence qui continuait à fonctionner par la force acquise (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 182).
B.− [Le compl. désigne une partie du corps]
1. Emploi trans. [Gén. avec un pron. réfl. indir. désignant la pers. dont relève la partie du corps] Blesser plus ou moins superficiellement une partie de l'épiderme.
a) [Le pron. est non réfl.] Le frottement nous écorche les genoux. Synon. blesser, égratigner.Il se jeta contre un arbre qui était là, (...) ne sentant ni le bois qui lui écorchait la peau ni la fièvre qui lui martelait les tempes (Hugo, Misér.,t. 2, 1862, p. 239).
Au fig. [En parlant de ce qui est entendu, dit] Blesser, faire mal, offenser. Écorcher les oreilles, la bouche. D'abord j'ai pleuré comme le prophète sous les pierres, Puis j'ai crié la vérité d'une voix écorchant la bouche, Et le troisième jour j'ai compris la paix vaste du héros (Jouve, Trag.,1922, p. 86).Lisa, dont je ne savais pas encore le nom, que je devinais bien qu'il ne m'écorcherait pas les gencives (Arnoux, Paris,1939, p. 190).Pauvre fou! Le mot qui ne se prononce jamais (...) écorcha l'oreille d'Olivet (H. Bazin, Tête contre murs,1949, p. 290).
b) [Le pron. est réfl.] S'écorcher les cuisses, les pieds. Je m'en convulsais, moi, des souvenirs! Je m'en écorchais le trou du cul!... Je m'en arrachais des peaux entières tellement j'avais la furie... (Céline, Mort à crédit,1936, p. 278):
3. À vingt mille pieds sous soi on aperçoit les hommes, une brise olympienne emplit vos poumons géants, et l'on se considère comme un colosse ayant le monde entier pour piédestal. Puis, le brouillard retombe et l'on continue à tâtons, à tâtons, s'écorchant les ongles aux rochers et pleurant dans la solitude. Flaubert, Correspondance,1853, p. 343.
2. Emploi pronom. réfl. Il serrait toujours dans ses mains [le personnage du rêve] les deux gâteaux marqués de paumes d'huile noire et de gouttes de sang, car il s'était écorché aux bords de la barque (Butor, Modif.,1957, p. 186).
C.− P. anal. [Le compl. désigne un inanimé]
1. Emploi trans. Enlever, entailler la surface de (quelque chose). Mur écorché par les balles. Synon. érafler, égratigner.Le sable [des Landes] est à peine couvert, de temps à autre, par des pins qu'on écorche pour avoir de la résine (Stendhal, Mém. touriste,t. 3, 1838, p. 91).Et, d'un trait de plume qui écorcha le papier, il biffa le nom (Zola, E. Rougon,1871, p. 222):
4. Le soc s'enfonça péniblement, la charrue s'ébranla d'un coup, écorchant cette terre maigre; puis peu à peu l'acier disparut dans le sol, et un premier sillon creusa l'argile rude, ... Bosco, Le Mas Théotime,1945, p. 297.
Au fig. Déformer (une langue) en parlant mal. Écorcher une langue, le latin. On fit venir un interprète des missions étrangères qui écorchait le chinois (Varinot, Dict. métaph. fr.,1819).
Loc. proverbiale. Jamais beau parler n'écorcha la langue (Ac.1798-1932).
2. Emploi pronom., littér. Ils étaient presque dans la forêt. Le nuage gémissait doucement en s'écorchant dans les branches (Giono, Batailles dans la montagne,1937, p. 55).
Rem. 1. On rencontre ds la docum. qq. ex. de l'adj. verbal écorchant, ante, emploi adj., rare, au fig. Qui écorche, fait mal, irrite. Et l'écorchante harmonie des vielleuses montagnardes (Goncourt, Art XVIIIes., t. 1, 1880-82, p. 385). La monotonie de cette marche, les rares paroles du cousin, cette chaleur écorchante et légère, le jetaient dans une sorte de bonheur torpide (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 219). 2. Sur la base écorche- la docum. atteste plusieurs composés créés de manière plaisante. a) Écorche-cul (à l'), loc. adv., vx, fam. En se traînant sur le derrière. Jouer à écorche-cul (Ac. 1798, 1835). Les enfants se frottant à l'écorche-cul dans l'eau des ruisseaux, criaient la détresse lamentable des anciennes banlieues (Huysmans, Sœurs Vatard, 1879, p. 28). Au fig. À contrecœur, en rechignant. Il ne fait jamais les choses qu'à écorche-cul (Ac. 1798). b) Écorche-oreille, subst. masc. en emploi adj. Vas-y de ta romance, fiston, ceux qui n'ont pas le gosier trop enrayé et le galoubet trop écorche-oreille (...) t'accompagneront au refrain (Arnoux, Zulma l'infidèle, 1960, p. 28). c) Écorche-rosses, subst. masc. Je viens d'avertir l'écorche-rosses (Arène, Contes Paris, 1887, p. 202).
Prononc. et Orth. : [ekɔ ʀ ʃe], (j')écorche [ekɔ ʀ ʃ]. Enq. : /ekoʀ ʃ/. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) 1155 « dépouiller de sa peau (une personne) » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 3413); 1160-74 « id. (un animal) » (Id., Rou, éd. A. J. Holden, III, 567 : Le cerf aveient escorchié); 1796 l'écorché B.-A. part. passé subst. (Diderot, Essai sur la peinture, I ds Rob.); b) 1193-97 fig. escorchier les povres gens (Hélinant de Froidmont, Vers de la Mort, éd. Fr. Wulff et E. Walberg, XL, 6); en partic. 1673 « demander un prix excessif » écorcher les malades (Molière, Malade Imaginaire, I, 1); 2. 1205-50 « blesser en entamant » ici pronom. les meins s'escorca (Renart, éd. E. Martin, XIII, 992), cf. ca 1230 le cul escorche (Eustache le Moine, 176 ds T.-L.); 1598 « détériorer en entamant la surface » muraille escorchée (Coutumes de St Mihiel, titre xii, v ds Nouv. Coutumier gén., éd. Ch. A. Bourdot de Richebourg, t. 2, p. 1057); 3. 1280 « causer une sensation désagréable » (Clef d'Amors, 304 ds T.-L. : biau parler langue n'escorche); 1665 écorcher les oreilles (Boil., Héros de roman ds Littré); 4. 1532 « mal prononcer une langue, l'estropier » Tu escorches le latin (Rabelais, Pantagruel, éd. V. L. Saulnier, chap. 6, p. 34). Du b. lat. excorticare « écorcer », formé sur le lat. class. cortex « enveloppe; tout ce qui couvre ». Fréq. abs. littér. : 273. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 338, b) 516; xxes. : a) 367, b) 374.
DÉR.
Écorchable, adj.,littér. et rare, au fig. Qu'on peut écorcher. Mon esprit et mes sens s'éveillent dans une frémissante allégresse, mais vulnérables, écorchables et craignant l'accroc (Gide, Journal,1935, p. 1235). 1reattest. 1902, 8 mars (Léautaud, Journal littér., 1, p. 43); du rad. de écorcher, suff. -able*. Fréq. abs. littér. : 1.
BBG. − Gottsch. Redens. 1930, p. 37, 71, 116, 117, 124.