| ÂME, subst. fém. Principe de vie. I.− Principe transcendant à l'homme. A.− [Dans une perspective relig. ou spiritualiste] 1. RELIG. CHRÉT. a) Principe spirituel de création divine, transcendant à l'homme auquel il est uni pendant la vie terrestre comme foyer de sa vie religieuse où s'affrontent le Bien et le Mal : 1. Il s'agit de chercher, sur les données les plus claires, les traces de Dieu dans l'âme humaine. Si tu n'es pas un saint, tu sais reconnaître une vie de saint, quand elle t'est présentée.
J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 2, 1933, p. 472. 2. Rien n'est plus caractéristique, à ce point de vue, que les raisons pour lesquelles il [Baudelaire] condamne les perceptions obtenues par le haschich. Les unes tiennent à son sens du péché et au drame du salut où s'inscrit toute sa vie spirituelle; elles intéressent l'histoire de son âme.
A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 380. 3. sara, se levant toute droite et les mains jointes.
− Mon âme magnifie le Seigneur, parce qu'il m'a fait des choses grandes!
P. Claudel, L'Histoire de Tobie et de Sara,1940, III, 1, p. 1260. 4. Dieu s'épuise, à travers l'épaisseur infinie du temps et de l'espèce, pour atteindre l'âme et la séduire. (...) alors Dieu en fait la conquête. Et quand elle est devenue une chose entièrement à lui, il l'abandonne. Il la laisse complètement seule. Et elle doit à son tour, mais à tâtons, traverser l'épaisseur infinie du temps et de l'espace, à la recherche de celui qu'elle aime. C'est ainsi que l'âme refait en sens inverse le voyage qu'a fait Dieu vers elle. Et cela, c'est la croix.
S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 93. 5. Quand les livres pieux soutiennent que le péché tue l'âme, que veulent-ils dire? Ces mots sont vides de sens. Il y a de très grands pécheurs qui ont le sentiment de la présence de Dieu. Comment l'auraient-ils si l'âme était morte? « Non, me dit un religieux. L'âme n'est pas morte. C'est une façon de parler inexacte, mais le péché crée un obstacle, et cet obstacle Dieu l'abat quand il lui plaît. »
J. Green, Journal,1948, p. 223. 6. En chaque âme Dieu aime et sauve partiellement le monde entier, que cette âme résume d'une manière particulière et incommunicable.
P. Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 47. 7. ... je priais longtemps, la tête dans mes mains; souvent pendant la journée, j'élevais mon âme à Dieu.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 74. Rem. Syntagmes une âme religieuse, chrétienne, pieuse; sauver, perdre son âme. ,,Une âme régénérée par le baptême. Une âme rachetée par le sang de Jésus-Christ. Âme sanctifiée, illuminée par la grâce.`` (Ac. 1835-1878). − Charge d'âmes ♦ Avoir charge d'âmes [Le suj. désigne un homme d'Église] Avoir la responsabilité de la vie spirituelle des fidèles, du salut de leur âme : 8. ... en dehors de l'action exercée sur chaque fidèle par le prêtre ou le confesseur qui a pris charge de son âme, le principal stimulant de la religion, celui qui opère sur les masses, est le sermon. Le sermon se fait à l'église ...
E. Faral, La Vie quotidienne au temps de saint Louis,1942, p. 224. P. anal. Avoir la responsabilité matérielle et/ou morale d'une ou de plusieurs personnes : 9. ... il s'interroge avec sévérité et recueillement sur la portée philosophique de son œuvre; car il se sait responsable, et il ne veut pas que cette foule puisse lui demander compte un jour de ce qu'il lui aura enseigné. Le poète aussi a charge d'âmes.
V. Hugo, Lucrèce Borgia,1833, p. X. 10. ... ce soir, il avait charge d'âme : un être fragile, infiniment précieux, lui était confié.
R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 555. ♦ Vx. Bénéfice à, avec charge d'âmes. ,,Celui dont le titulaire est obligé à résidence, et chargé de travailler en personne au salut des âmes qui lui sont confiées. Les évêchés, les cures sont des bénéfices avec charge d'âmes.`` (Ac. Compl. 1842). Rem. Également ds Ac. 1835 et 1878, ainsi que ds Besch. 1845. ♦ Sur mon âme. Formule de serment. Sur mon salut éternel. Rem. Attesté ds les dict. du xixes. b) Principe spirituel opposé au corps soumis aux instincts et instrument de corruption : 11. « Quand le fils de l'homme reviendra sur terre, pensez-vous qu'il y trouve la foi? » L'âme est enlisée dans la chair.
J. Green, Journal,1942, p. 206. 12. Finissons donc de nous défaire de ce curieux préjugé que tout ce qui est de l'âme est profond et divin, tout ce qui est du corps, superficiel et bestial. Freud a montré que les « profondeurs » de l'âme abritent aussi les tendances les plus primitives et les plus bestiales, (...) On aime à se rappeler en psychologie le mot surprenant et si contraire au lieu commun moral, de maître Eckart, que l'âme a été donnée au corps pour qu'elle soit purifiée.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 119. 13. Ce n'était pas sa faute s'il la voulait. Son corps d'homme la voulait, mais le corps menait en enfer si on lui cédait. Ce que voulait son corps, son âme ne le voulait pas. Lui aussi, comme saint Paul, avait une écharde dans la chair, et l'ange de Satan le souffletait.
J. Green, Moïra,1950, p. 221. − P. méton. [Pour désigner une pers.] Sainte âme, âme dévote, âme chrétienne. ,,C'est une sainte âme, une bonne âme.`` (Ac. 1835-1878). 2. Ce même principe en tant qu'il est immortel et survit après la mort. − Dans la relig. chrét. : 14. Les pères ont été de différentes opinions sur l'état immédiat de l'âme du juste, après sa séparation d'avec le corps. (...) S[aint] Bernard croit qu'elle est reçue dans le ciel, où elle contemple l'humanité de J. C., mais non sa divinité, dont elle ne jouira qu'après la Résurrection; dans quelques autres endroits de ses sermons, il assure qu'elle entre immédiatement dans la plénitude du bonheur céleste; et c'est le sentiment que l'Église paroît avoir adopté. (...) la religion nous enseigne que celui qui nous tira de la poussière, nous en rappellera une seconde fois, pour comparoître à son tribunal. L'école stoïque croyoit, ainsi que les Chrétiens, à l'enfer, au paradis, au purgatoire, et à la résurrection des corps...
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme,t. 1, 1803, p. 267. 15. − Enfer et paradis! − Cris de désespoir! Cris de joie! − Blasphèmes des réprouvés! Concerts des élus! − Âmes des morts, semblables aux chênes de la montagne déracinés par les démons! Âmes des morts, semblables aux fleurs de la vallée cueillies par les anges!
A. Bertrand, Gaspard de la nuit,1841, p. 195. 16. À propos de l'enfer, il me disait qu'il le croyait à peu près vide, mais que la peur de l'enfer avait aidé beaucoup d'âmes à se libérer. Selon lui, à la seconde où l'âme se détache du corps, dans ce grand déchirement de l'être, il y aurait un lumière vive et subite et dans cette seconde d'éblouissement, l'âme aurait à faire son choix entre Dieu et le mal.
J. Green, Journal,1941, p. 92. 17. Il se crut aveugle, déjà mort. (...) Il recommanda son âme à Dieu, légua quelques petites sommes d'argent à divers couvents pour célébrer des messes pour le repos de son âme, ...
J. Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 107. Rem. Syntagmes l'immortalité, la survivance, la destinée de l'âme; les âmes des trépassés; invoquer les âmes des morts; prier pour le repos, pour le salut de l'âme de qqn. ♦ Loc. Devant Dieu soit son âme! Dieu veuille avoir son âme! Dieu ait son âme! ♦ Vx. Fête des âmes, jour des âmes. ,,Fête que l'Église célèbre annuellement le 2 novembre pour le repos de l'âme des fidèles défunts.`` (Besch. 1845). ♦ Les âmes du purgatoire; les âmes bienheureuses (celles qui sont au paradis); les âmes damnées (les âmes condamnées à subir les peines de l'enfer) : 18. La communion est bonne aux bons et mauvaise aux mauvais. Ainsi les âmes damnées sont au paradis, mais pour elles le paradis est enfer.
S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 115. Fig., péj. Être l'âme damnée de qqn. Lui être dévoué corps et âme dans le mal et accomplir aveuglément tout ce qu'il ordonne même lorsqu'on le réprouve; mod., exercer une mauvaise influence sur quelqu'un, le pousser dans la voie du mal : 19. Bientôt le ministre favori est sacrifié. Ses collègues sont renvoyés; à leur place, sont installées des âmes damnées de la cour; et le monarque, poussé hors de son caractère pacifique, prend le ton d'un despote...
Marat, Les Pamphlets,Nouvelle dénonciation contre Necker, 1790, p. 81. 20. Du Peyrou devait bien prendre garde à ne pas se fier à Coindet, non plus qu'à Mmede Verdelin. Coindet était un fat et l'âme damnée de Mmede Verdelin...
J. Guéhenno, Jean-Jacques,Grandeur et misère d'un esprit, 1952, p. 239. Région. (Canada). Criée pour les âmes. ,,Vente à l'enchère dont le produit est employé à faire dire des messes pour les âmes du purgatoire.`` (Canada 1930). ♦ Vendre, donner son âme au diable, au démon. Au Moyen-Âge. Conclure avec le diable un pacte selon lequel il accorde certains privilèges pendant la vie terrestre (science, jeunesse, puissance surnaturelle...) en échange de la possession et de la damnation éternelle de l'âme : 21. Il y avait une fois un homme qui vendit son âme au diable, et grâce à ses enchantements il gagna en retour le cœur d'une jeune fille. Et maintenant, gagné par la pureté de son amour, il crut que par cet amour il serait sauvé et briserait le piège, − mais il comprit combien le diable était plus fort...
J. Gracq, Un Beau ténébreux,1945, p. 164. Fig., péj. Vendre son âme (au diable). Aliéner sa liberté, sa dignité... en échange de quelque chose : 22. Souvenons-nous de Melmoth, cet admirable emblème. Son épouvantable souffrance gît dans la disproportion entre ses merveilleuses facultés, acquises instantanément par un pacte satanique, et le milieu où, comme créature de Dieu, il est condamné à vivre. (...) tout homme qui n'accepte pas les conditions de la vie, vend son âme. Il est facile de saisir le rapport qui existe entre les créations sataniques des poëtes et les créatures vivantes qui se sont vouées aux excitants. L'homme a voulu être Dieu, et bientôt le voilà, en vertu d'une loi morale incontrôlable, tombé plus bas que sa nature réelle. C'est une âme qui se vend en détail.
Ch. Baudelaire, Paradis artificiels,Morale, 1860, pp. 383-384. 23. Encore ne faut-il pas les confondre avec la décadence profonde d'une époque où tant d'hommes sont prêts, pour ne pas mourir, à vendre leur âme, leur corps et leur honneur, et parfois l'âme, le corps et l'honneur d'autres qu'eux-mêmes.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 136. − Selon d'autres croyances : 24. ... ce bonze japonais à la robe jaune, à la tête nue, prêche l'éternité des ames, leurs transmigrations successives dans divers corps...
C.-F. de Volney, Les Ruines,1791, p. 158. 25. ... certains sauvages de l'Afrique croient à l'immortalité de l'âme. Sans prétendre expliquer ce qu'elle devient, ils la croient errante, après la mort, dans les broussailles qui environnent leurs bourgades, et la cherchent plusieurs matinées de suite. Ne la trouvant pas, ils abandonnent cette recherche, et n'y pensent plus. C'est à peu près ce que nos philosophes ont fait, et avaient de meilleur à faire.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 17. 26. Ce philosophe, et Platon après lui, enseignerent que les ames de ceux qui avaient mal vécu, passaient, après leur mort, dans des animaux brutes, afin d'y subir, sous ces diverses formes, le châtiment des fautes qu'ils avaient commises, jusqu'à ce qu'elles fussent réintégrées dans leur premier état. Ainsi la métempsycose était une punition des dieux.
Ch.-F. Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes,1796, p. 495. 27. Son spiritualisme (MmeDambreuse croyait à la transmigration des âmes dans les étoiles) ne l'empêchait pas de tenir sa caisse admirablement.
G. Flaubert, L'Éducation sentimentale,t. 2, 1869, p. 240. ♦ Le pays des âmes. ,,Le séjour des morts.`` (Lar. 19eet Nouv. Lar. ill.). ♦ MYTH. GR. Les âmes en peine. Les âmes des morts non ensevelis, condamnées à errer sur les bords du Styx. Fig. Errer en proie à un ennui, une solitude, une inquiétude... que l'on ne sait comment rompre ou tromper : 28. Je me sens si peu en paix avec moi-même − tout désaccordé. Hier, aux heures chaudes de l'après-midi, je me suis surpris errant comme une âme en peine dans les couloirs de l'hôtel, incapable de trouver le lieu de mon repos.
J. Gracq, Un Beau ténébreux,1945, p. 85. B.− PHILOS. Âme du monde, âme de l'univers, âme universelle. Principe, de conception différente suivant les auteurs, qui anime l'univers; en partic., principe ayant les attributs de la divinité, Dieu : 29. ... comme ils appelaient dans les animaux le principe vital et moteur, une ame, un esprit; et comme ils raisonnaient sans cesse par comparaison, surtout par celle de l'être humain, ils donnèrent au principe moteur de tout l'univers le nom d'ame, d'intelligence, d'esprit; et Dieu fut l'esprit vital qui, répandu dans tous les êtres, anima le vaste corps du monde.
C.-F. de Volney, Les Ruines,1791, p. 276. 30. Cléanthe, qui regardait l'univers comme Dieu ou comme la cause universelle et improduite de tous les effets, donnait une ame et une intelligence au monde, et c'était à cette ame intelligente qu'appartenait proprement la divinité.
Ch.-F. Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes,1796, p. 54. 31. Des Égyptiens qui instruisirent Pythagore jusqu'à Leibnitz, et de l'Inde aux Gaules, l'ame universelle fut reconnue par les Zenon, les Orphée, les Zoroastre, les Marc-Aurèle, par les mages et les druides. Nombre d'hypothèses qui semblent opposées entre elles, n'en sont que des interprétations différentes; (...) le dieu de Newton, toute action, sentiment, intelligence, et le dieu des chrétiens, par-tout présent et par-tout actif, ne sont que l'ame universelle. On ne peut expliquer que par-là les ames humaines, et le principe général qui anime les êtres organisés.
É. de Senancour, Rêveries,1799, p. 186. 32. Platon prétendoit que la divinité a arrangé le monde, mais qu'elle n'a pu le créer. Dieu, dit-il, a formé l'univers d'après le modèle existant de toute éternité en lui-même. Les objets visibles ne sont que les ombres des idées de Dieu, seules véritables substances. Dieu fit en outre couler un souffle de sa vie dans les êtres. Il en composa un troisième principe à-la-fois esprit et matière, et ce principe est appelé l'ame du monde.
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme, t. 1, 1803, p. 106. 33. Salut, principe et fin de toi-même et du monde,
Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde;
Ame de l'univers, Dieu, père, créateur,
Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur;
...
A. de Lamartine, Méditations poétiques,La Prière, 1820, p. 157. − Dans un cont. panthéiste ou poétique : 34. Heureux donc mille fois le sage qui, s'élevant au-dessus de la fange des passions humaines, (...) n'étudie que l'histoire du ciel, (...) jusqu'à ce que, accablé de vieillesse, (...) il exhale et rejoigne à l'âme universelle cette portion qui lui en était échue en partage et que son corps emprisonnait.
A. Chénier, Épîtres,Épîtres à Bailly, 1794, p. 191. 35. − Ah! bonne terre, prends-moi, toi qui est la mère commune, l'unique source de la vie! toi l'éternelle, l'immortelle, où circule l'âme du monde, cette sève épandue jusque dans les pierres, et qui fait des arbres nos grands frères immobiles! ... Oui, je veux me perdre en toi, c'est toi que je sens là, sous mes membres, m'étreignant et m'enflammant, c'est toi seule qui seras dans mon œuvre comme la force première, le moyen et le but, l'arche immense, où toutes les choses s'animent du souffle de tous les êtres.
É. Zola, L'Œuvre,1886, p. 176. 36. « ... je me vois sous les rameaux d'or de l'Éden assis auprès d'elle et servi par les esprits obéissants. En m'unissant à une autre femme, je craindrais de prostituer et de dissiper l'âme du monde qui palpite en moi ». Palpitation d'une âme universelle, divine sous une apparence d'homme, et mariée depuis l'éternité d'avant le monde à l'âme réapparue sous une apparence de femme!
M.-J. Durry, Gérard de Nerval et le mythe,1956, p. 125. II.− Principe immanent à l'homme. A.− [Dans les conceptions relig. de l'homme] 1. En partic., RELIG. CHRÉT. Principe de vie et de pensée, attribué parmi tous les êtres à l'homme seul et qui, uni au corps, constitue l'être humain vivant : 37. Hommes pieux, (...); faites-nous comprendre ce que sont ces êtres abstraits et métaphysiques que vous appelez Dieu et ame, substances sans matière, existence sans corps, vies sans organes ni sensations. (...) Alors il s'éleva entre les théologiens une grande controverse sur Dieu et sur sa nature; sur sa manière d'agir et de se manifester; sur la nature de l'ame et son union avec le corps; sur son existence avant les organes, ou seulement depuis leur formation; sur la vie future et sur l'autre monde; et chaque secte, chaque école, chaque individu, différant sur tous ces points, (...) ils tombèrent tous dans un labyrinthe inextricable de contradictions.
C.-F. de Volney, Les Ruines,1791, p. 206. 38. Cela n'a point empêché que les textes que nous venons de rappeler, en particulier ceux de saint Paul, n'aient été invoqués plus d'une fois en faveur de la trichotomie ou doctrine qui regarde l'homme comme composé de trois principes : le corps, le principe vital et l'esprit. (...) Cependant elle [cette théorie] ne fut pas longtemps tolérée par l'Église. (...) Le concile d'Éphèse et le cinquième concile général tenu à Constantinople déclarèrent que le Christ avait pris une chair animée par une âme raisonnable; le concile de Vienne définit que l'âme raisonnable anime le corps, (...).
Bible1912, col. 459. 39. ... la question se pose de savoir quelle est la relation de l'âme aux idées (l'âme étant conventionnellement définie comme sujet de ce devenir, de cette création de soi qui est l'esprit; l'âme serait en quelque sorte la matière de l'esprit, ce que l'esprit trouve en soi). L'âme apparaît ici comme la base du vouloir, l'esprit comme l'unité transcendante et achevée du vouloir ou encore comme une fin idéale qui se veut elle-même et par suite s'affirme comme réelle : l'âme ne serait donc qu'un moment abstrait de ce complexe dynamique et autonome qui est l'esprit, ce moment abstrait étant seul d'ailleurs pensable comme corrélatif du corps, ou de la machine physique.
G. Marcel, Journal métaphysique,1914-1923, p. 120. 40. Dieu qui pour illuminer l'argile et la rendre capable du paradis et de l'enfer. Y a joint, hors du temps et du lieu par elle-même, mais dans un rapport substantiel avec notre chair, Cette âme connaissante en nous qui fait le corps, ainsi qu'un appareil de désir Continuellement occupé à respirer pour ne pas mourir, Permit, à cause du péché antique dans l'Éden, que ce feu inextinguible Restât, pendant que nous rongeons la vieille pomme, lui-même sans aucun aliment accessible.
P. Claudel, Feuilles de Saints,Sainte Thérèse, 1925, p. 616. 41. ... « l'âme », comme réalité spéciale, n'existe pas; ce n'est qu'un mot qui désigne l'ensemble des reflets, dans le domaine de nos images conscientes, des instincts innombrables de notre corps, ...
R. Ruyer, Esquisse d'une philosophie de la structure,1930, p. 187. 42. Ce dont le christianisme affirme la valeur et la pérennité, ce n'est pas seulement l'âme, mais l'être concret fait de corps et d'âme que l'on appelle l'homme, parce que c'est l'homme et non pas seulement l'âme que le Christ est venu sauver. Ce que Pascal affirmera au xviiesiècle, les auteurs chrétiens l'avaient affirmé déjà dès la fin du iieou le début du iiiesiècle, et ils avaient marqué avec la même force la connexion nécessaire qui lie à la foi en la résurrection des corps la thèse philosophique de l'unité substantielle du composé humain...
É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 1, 1931, p. 176. 43. Saint Augustin nous dit que l'homme n'est ni une âme à part, ni un corps à part, mais une âme qui se sert d'un corps. Lorsque nous lui demandons par ailleurs de nous définir l'âme en elle-même, il répond qu'elle est « une substance rationnelle apte à gouverner le corps ». L'homme n'est donc finalement que son âme ou, si l'on préfère, c'est l'âme même qui est l'homme. Sans doute, saint Augustin ne serait pas entièrement désarmé contre ce reproche. Il répondrait peut-être qu'une âme n'est âme que si elle a un corps dont elle puisse user et qu'un corps n'est corps que s'il est au service d'une âme, auquel cas, en effet, la définition de l'âme seule est équivalente à celle de l'homme tout entier.
É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 1, 1931p. 179. 44. L'âme n'est pas une substance distincte qui vient s'ajouter à la mécanique du corps, l'âme est la forme « en soi » du corps.
R. Ruyer, La Conscience et le corps,1937, p. 101. 45. ... Carus recourt volontiers à l'image de la création artistique : l'œuvre d'art existe, d'une existence intérieure et complète, dans l'esprit du poète ou du musicien, avant d'être œuvre réalisée. De même l'âme : elle existe avant son incarnation dans un corps; mais, d'autre part, elle n'atteint à son entier épanouissement que par sa vie dans la nature organique. Et l'âme se définit : « l'idée divine qui vit d'une existence individuelle dans la nature ».
A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 131. 46. L'alcool prête à tous ces visages jeunes ou vieux une sorte d'éclat, une animation étrange, d'où l'âme est absente. Ils sont vidés de toute substance spirituelle, en apparence du moins; car l'âme demeure, tout de même, garrottée au plus secret de ces êtres, bâillonnée. Parfois, elle se libère : un sourire fugitif éclaire divinement cette jeune figure penchée sur une épaule, puis s'éteint.
F. Mauriac, Journal 2,1937, p. 177. 47. ... nous donnons le nom d'âme à ce qui est toujours autre chose sans être jamais chose; l'âme résume ce je-ne-sais-quoi d'impalpable, ce reste ou résidu invisible que le mécanisme des esprits forts peut bien négliger, mais qui manquera toujours pour expliquer totalement la vie et la pensée.
V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 68. Rem. Syntagmes l'âme humaine; l'existence, l'origine, la nature, la spiritualité de l'âme; l'union, les rapports de l'âme et du (avec le) corps. − Principe de nature spirituelle opposé au corps matériel : 48. Comment ne pas attendre, après cela, que des philosophes chrétiens portent tout leur effort sur la partie spirituelle de l'homme, qui est l'âme, et négligent cet élément caduc, opaque à la pensée, aveugle à Dieu, qu'est le corps? Pourtant, (...) c'est le contraire qui est arrivé. Saint Bonaventure, saint Thomas, Duns Scot, je dirai même saint François d'Assise, sont des hommes qui ont chéri la matière, respecté leur corps, célébré sa haute dignité et n'ont jamais voulu séparer sa destinée de celle de leur âme.
É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 1, 1931, p. 174. 49. « L'âme est une nature qui n'a aucun rapport à l'étendue ni aux dimensions ou autres propriétés de la matière dont le corps est composé. » (Passions, 1, 30). Telle est la définition que donne Descartes. Avec elle nous voilà revenus au dualisme platonicien. Mais d'une manière qui déroulera ses conséquences dans une direction diamétralement opposée.
Bouyer1963. − Corps et âme. Tout entier, totalement. Se donner corps et âme à qqn, à qqc.; être à qqn corps et âme : 50. − Cette nuit encore, il a parlé des heures. Il raconte sa vie, posément, le vrai et le faux mêlés, si bien mêlés que je m'y laisse prendre chaque fois, c'est comme un rêve. (...) Oui, à ces moments-là, vous ne le croiriez pas, je lui appartiens corps et âme, je veux tout ce qu'il veut, je monterais avec lui sur l'échafaud.
G. Bernanos, Monsieur Ouine,1943, p. 1504. 51. « Corps et âme » : le langage du dévouement, le plus central de tous, pour désigner l'acte suprême dont nous soyons capables, a fondu dans une expression indissociable ces deux termes dont les psychologies formelles ne gardaient que deux abstractions stériles. Corps et âme, c'est ainsi que l'homme complet avance chaque geste et chaque pensée.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 114. − Âme pour âme. ,,Sans réserve``. ,,Répondre de qqn corps pour corps et âme pour âme.`` (Lar. 19eet Nouv. Lar. ill.). − Avoir l'âme (bien) chevillée au corps. Être doué d'une grande résistance physique et morale. − Avoir l'âme sur les lèvres. Être sur le point d'expirer. Rem. Fam. selon Littré et Rob. − Littér. Rendre l'âme. Mourir : 52. Que signifie donc ce mot : mourir? Quand mourrons nous? − Un homme ne peut en effet être dit mourant ni une fois qu'il est mort ni lorsqu'il est encore vivant. « Nul n'est donc mourant s'il n'est vivant, car en cette extrémité même à laquelle sont réduits ceux que nous disons rendre l'âme, celui que son âme n'a pas encore quitté vit encore. Il est donc tout à la fois mourant et vivant, c'est-à-dire qu'il s'approche de la mort et s'éloigne de la vie...
J. Vuillemin, Essai sur la signification de la mort,1949. − Littér. Arracher l'âme. ,,Tuer.`` (Rob.). ♦ Fig. ,,Parler à un avare de vous aider de son argent, c'est lui arracher l'âme.`` (Ac.1835-1932). Rem. Voir également Littré et Rob. − Corps sans âme. Personne que toute vie semble avoir désertée, la laissant abattue et sans aucune capacité de réaction. Être (comme) un corps sans âme : 53. Elle était retournée à l'église, elle errait comme un corps sans âme; et, son angoisse devenait si forte, qu'elle ne s'arrêta même pas à causer. − Je ne peux plus tenir, je vas à leur rencontre.
É. Zola, La Terre,1887, p. 459. Rem. Se dit notamment de ,,Celui qui a perdu une personne qui lui était chère, qui tenait une grande place dans sa vie. Depuis la mort de sa femme, de son ami, c'est un corps sans âme.`` (Ac. t. 1 1932). Attesté ds les autres dictionnaires. ♦ P. anal. S'emploie en parlant d'un corps organisé (parti, armée...) qui a perdu son animateur, son chef. − Par métaph. ,,On dit qu'une étoffe n'a que l'âme, quand elle n'a ni consistance, ni solidité; elle manque de corps.`` (Guérin 1892). Rem. Attesté ds Ac. 1835-1932 (,,fam.``), Besch. 1845, Lar. 19e, Nouv. Lar. ill. et Littré. − P. compar. : 54. V La constitution est l'ordre intrinsèque, et comme l'âme de la société; l'administration en est l'ordre extrinsèque, et peut en être regardée comme le corps.
L.-G.-A. de Bonald, Législation primitive,t. 2, 1802, p. 34. 2. L'être humain appréhendé dans son essence : 55. ... le désordre, mais mon ami c'est la belle essence de votre vie même! de tout votre être physique et métaphysique! Mais c'est votre âme Ferdinand! Des millions, des trillions de replis... intriqués dans la profondeur, dans le gris, tarabiscotés, plongeants, sous-jacents, évasifs... illimitables! Voici l'harmonie Ferdinand! toute la nature! une fuite dans l'impondérable! et pas autre chose!
L.-F. Céline, Mort à crédit,1936, p. 414. − P. méton. Personne, en tant qu'être humain vivant; habitant : 56. La population entière de Macao peut être évaluée à vingt mille ames, dont cent Portugais de naissance, sur deux mille métis ou Portugais indiens...
Voyage de La Pérouse autour du monde,t. 2, 1797, p. 324. 57. Une heure sonna, c'était l'heure du café, pas une âme ne se montrait aux portes ni aux fenêtres.
É. Zola, Germinal,1885, p. 1217. B.− PHILOS. Principe de vie qui anime l'homme et les êtres organisés, animaux et plantes : 58. L'ame n'est que le principe vital qui résulte des propriétés de la matière, et du jeu des éléments dans les corps où ils créent un mouvement spontané.
C.-F. de Volney, Les Ruines,1791, p. 204. 59. « Une même sorte d'ames, dit Marc-Aurele, a été distribuée à tous les animaux qui sont sans raison, et un esprit intelligent à tous les êtres raisonnables... »
Ch.-F. Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes,1796, p. 55. 60. La grande fiction de la métempsycose, répandue dans tout l'Orient, tient au dogme de l'ame universelle et de l'homogénéité des ames, qui ne different entre elles qu'en apparence, et par la nature des corps auxquels s'unit le feu-principe qui compose leur substance; car les ames des animaux de toute espece, suivant Virgile, sont un écoulement du feu éther, et la différence des opérations qu'elles exercent ici bas, ne vient que de celle des vases ou des corps organisés qui reçoivent cette substance...
Ch.-F. Dupuis, Abrégé de l'origine de tous les cultes,1796p. 491. 61. Si nous trouvons en nous quelque répugnance à croire l'ame matérielle, ne seroit-ce point, en partie, parce que nous avons de la matière une idée trop circonscrite et fausse? (...) Mais s'il existe une matière subtile et active, principe de mouvement, d'organisation et de vie, agent universel de la nature, un feu élémentaire, tel que nous en pouvons concevoir une idée imparfaite d'après la subtilité et la surprenante activité de la lumière; alors nous supposerons sans peine que le principe qui meut la nature est aussi celui qui nous anime, et nous aurons levé les principales difficultés : celle entre autres de la différence entre la raison de l'homme et celle des autres êtres animés (...); car, l'instinct des animaux opère les fonctions de notre ame, et si nous voyons notre raison s'élever à un degré supérieur à celle de l'éléphant et du chien, du moins la conformité de leurs opérations plus ou moins parfaites n'annonce nullement une nature essentiellement différente...
É. de Senancour, Rêveries,1799, pp. 167-168. 62. Ceux qui ont voulu que l'ame fût une substance particulière, un être réel autre qu'une matière subtile et active, ont été réduits à affirmer des assertions contradictoires, ou bien à admettre les deux ames, l'une sensitive et l'autre raisonnable; celle-ci absolument spirituelle, mais l'autre matérielle, afin que l'on conçoive du moins comment nos organes produisent nos sensations. Mais, même en adoptant ces deux ames, il restera toujours à expliquer comment la pensée, principe immatériel, ame raisonnable, est unie à la sensibilité, principe subtil mais matériel, ame sensitive.
É. de Senancour, Rêveries,1799p. 173. 63. « Ce qui est essentiel au corps d'un homme, dit Malebranche après Descartes, est une certaine partie du cerveau à laquelle l'âme est immédiatement unie ». L'âme est une lumière enfermée dans un verre, qu'elle use par son activité. Les matérialistes n'y voient qu'un verre lumineux. « Brisez le verre, disent-ils, et vous n'y verrez plus rien; brisez le verre, disent les chrétiens, et vous y verrez beaucoup mieux ».
L.-G.-A. de Bonald, Législation primitive,t. 1, 1802, p. 271. 64. Les philosophes anciens avoient senti la nécessité d'une cause particulière excitatrice des mouvements organiques; mais n'ayant pas assez étudié la nature, ils l'ont cherchée hors d'elle; ils ont imaginé une arché-vitale, une âme périssable des animaux; en ont même aussi attribué une aux végétaux...
J.-B. Lamarck, Philosophie zoologique,t. 2, 1809, p. 3. 65. Depuis le lombric ou ver de terre, tout nu, qui n'a pas l'industrie de se revêtir d'un fourreau, jusqu'à Newton, qui forma un système du monde, nous distinguons cinq genres d'ames : l'élémentaire, la végétale, l'animale, l'intelligente et la céleste. Les quatre premières appartiennent au plus petit insecte, et la cinquième à l'homme seul.
J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 271. 66. L'âme, c'est ce qui anime le corps, c'est le principe de la vie individuelle des animaux. Ne m'objectez pas que j'ai pris d'abord pour exemple la graine d'un végétal; vous savez que la philosophie grecque distinguait trois sortes d'âmes : l'âme végétale, placée dans le bas du corps, près de la terre; l'âme passionnelle ayant son siège dans la poitrine, et l'âme raisonnable, qui réside dans la tête, la partie de notre corps la plus voisine du ciel. Ces trois âmes sont associées dans l'unité de la personne humaine (...). On s'est habitué à réserver le nom d'âme à la faculté directrice de nous-mêmes, et il faut remonter à l'étymologie pour oser parler de l'âme des animaux et des plantes. Mais ne soyons pas trop aristocrates : l'intelligence est partout, même dans le règne inorganique.
L. Ménard, Rêveries d'un païen mystique,1876, pp. 108-109. 67. ... de ce qu'une âme est simple et distincte de la matière, il ne s'ensuit pas qu'elle soit spirituelle. En effet, les âmes des bêtes sont simples, suivant la doctrine de saint Thomas d'Aquin. Néanmoins elles ne sont point spirituelles, parce qu'elles sont incapables d'opérations à proprement parler intellectuelles, et qu'elles ne sont point immortelles.
Bible 1912, col. 456. 68. Tous les biologistes (...) se rattachent à l'une ou à l'autre de ces deux thèses. Depuis l'Antiquité, elles s'affrontent, « l'une cherchant à réduire les phénomènes de la vie aux lois de la chimie, de la physique et de la mécanique, l'autre voulant au contraire les distinguer et les placer sous la dépendance d'un principe particulier, d'une puissance spéciale, quel que soit le nom qu'on lui donne, d'âme, d'archée, de psyché, de médiateur plastique, d'esprit recteur, de force vitale, ou de propriétés vitales » (Claude Bernard).
J. Rostand, La Vie et ses problèmes,1939, pp. 135-136. ♦ Dans un contexte poét. ou panthéiste : 69. ... le symbolisme communément attribué à Nerval est au vrai un animisme, ou un panthéisme. Le « panthéisme moderne » qu'il a saisi dans Gœthe, il y entre en 1845 dans les vers admirables de son credo pythagoricien, frappés en sentences où passe une frayeur :
Respecte dans la bête un esprit agissant :
Chaque plante est une âme à la nature éclose;
Un mystère d'amour dans le métal repose...
Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t'épie :
À la matière même un verbe est attaché...
Ne la fais pas servir à quelque usage impie!
(...)
Souvent dans l'être obscur habite un dieu caché.
M.-J. Durry, Gérard de Nerval et le mythe,1956, pp. 54-55. ♦ Par métaph. : 70. ... peut-on douter que la chaleur, cette mère des générations, cette âme matérielle des corps vivans, ait pu être le principal des moyens qu'emploie directement la nature, pour opérer sur des matières appropriées une ébauche d'organisation, une disposition convenable des parties; en un mot, un acte de vitalisation analogue à celui de la fécondation sexuelle?
J.-B. Lamarck, Philosophie zoologique,t. 2, 1809, p. 82. − Fig. Ce qui est ou donne à une chose l'équivalent de ce que l'âme est ou apporte au corps qu'elle habite. ♦ Personne chose, idée... qui anime et dirige une activité, un groupe, un corps organisé... : 71. ... il avait beaucoup plu. Dans les cabarets, on faisait cercle autour de lui, on l'applaudissait. Il était la vie, l'âme, le boute-en-train de tout le monde.
E. Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,1883, p. 96. 72. ... la vérité et la vie chrétienne doivent pénétrer au dedans de mon activité, être l'âme vivifiante et rectrice de tout le matériel de connaissances et de moyens de réalisation que je mettrai en œuvre; ...
J. Maritain, Humanisme intégral,1936, p. 314. 73. Gracian, décrivant son despejo, parle d'une éminence transcendante sans laquelle toute est fade et qui est la « perfection des perfections ». Elle donne sa grâce à la grâce. Elle est la « vie des grandes qualités, le souffle des paroles, l'âme des actions, le lustre de toutes les beautés ... ». N'y a-t-il pas une maïeutique du charme qui facilite la naissance des actions? Comme la charité selon saint Paul est l'esprit de la lettre et ce qui fait vertueuses les autres vertus, ainsi le charme est l'âme animatrice de la beauté paresseuse, ...
V. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, pp. 97-98. ♦ Ce qui constitue l'essence ou est à l'origine de quelque chose : 74. La manière dont ces divers renoncements se sont réalisés laisse sur la personnalité une structure résiduelle; elle se répétera ensuite dans son schéma essentiel sur tout comportement qui sollicite le sacrifice de la multiplicité des possibles à la solidité du réalisé, cette âme de l'action adulte.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 428. 75. Mais si l'espérance est l'âme du consentement, c'est le consentement qui lui donne un corps. Espérance n'est pas illusion.
P. Ricœur, Philosophie de la volonté,1949, p. 451. Se vider de son âme : 76. Le jugement ne conquiert ses choix qu'à travers une dramatique qui met en jeu toute l'expression du composé humain, depuis l'instinct inconscient jusqu'à la fine pointe de l'esprit. Un relâchement imperceptible de l'une des forces en jeu, et voilà cette vérité naissante qui se durcit, se déforme, se vide de son âme, se dresse contre les vérités complémentaires, arrive à dire le faux sous le vêtement du vrai.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 675. ♦ Ce qui donne le sentiment ou l'illusion de la vie : 77. Voilà les vrais habitants du désert et qui en sont l'âme : les fourmis travaillant le sable, les carriers travaillant le grès. Les uns et les autres de même génie, des hommes fourmis en dessus, des fourmis presque hommes en dessous.
J. Michelet, L'Insecte,1857, p. XXXV. 78. Le remuement de la terre, sous son caparaçon de gel ou de neige, il me conseilla d'y prêter l'oreille. L'âme et le corps de la campagne me devinrent si familiers, mon vocabulaire rustique si aisé dans les deux langues, que je pus servir d'interprète dans un camp de remonte...
J.-E. Blanche, Mes modèles,1928, p. 88. Dans le domaine de la création artistique.Donner de l'âme à une matière. Lui donner l'aspect de la vie. ,,La sculpture donne de l'âme au marbre.`` (Ac. 1835-1932). C.− Usuel 1. Principe de la pensée, de l'action, de la sensibilité ou de la conscience. a) [En parlant d'une seule pers.] Principe et siège de l'activité psychique, consciente et inconsciente : 79. Combien d'idées dans notre esprit que nous ne saurions exprimer ... Il y a en effet dans les profondeurs de l'âme, ou au fonds de l'homme intérieur, un monde d'idées ou de sentiments, dont tout ce qui est à la surface, tout ce qui peut se nommer ou se peindre, n'est qu'une ombre fugitive; c'est dans ce fonds que nous trouvons ce qui est et ce que nous sommes réellement ou substantiellement, tout autre que ce qui paraît. On peut trouver une autre âme au fonds de cette âme qu'on analyse et qu'on peint par le dehors.
Maine de Biran, Journal,1815, p. 86. 80. ... tout le monde croit à l'existence de son ame, c'est-à-dire à l'existence de quelque chose en nous qui sent, qui veut, qui pense. Ceux mêmes qui ne croient pas à l'existence spirituelle de ce sujet, n'ont jamais mis en question l'existence de ses facultés, l'existence de la sensibilité par exemple, celle de la volonté, celle de la pensée.
V. Cousin, Hist. de la philosophie du XVIIIes.,2, 1829, p. 348. 81. Telle est la noble immortalité, nécessairement immatérielle, que le positivisme reconnaît à notre âme, en conservant ce terme précieux pour désigner l'ensemble des fonctions intellectuelles et morales, sans aucune allusion à l'entité correspondante.
A. Comte, Catéchisme positiviste,1852, p. 71. 82. ... je veux désigner cet enseignement de la métaphysique moderne exhortant l'homme à tenir en assez faible estime la région proprement pensante de son être et à honorer de tout son culte, la partie agissante et voulante. On sait que la théorie de la connaissance, dont l'humanité reçoit ses valeurs depuis un demi-siècle, assigne un rang secondaire à l'âme qui procède par idées claires et distinctes, par catégories, par mots; qu'elle porte au grade suprême l'âme qui parvient à se libérer de ces mœurs intellectuelles et à se saisir en tant que « pure tendance », « pur vouloir », « pur agir ».
J. Benda, La Trahison des clercs,1927, p. 184. 83. Pour désigner l'individualité propre d'un être libre, on dit que c'est une personne. Ainsi l'essence de la personnalité se confond avec celle de la liberté; d'autre part, la liberté tient à la rationalité, et comme c'est sa rationalité même qui fonde la subsistance de l'âme et celle de l'homme, il faut dire qu'en nous le principe de l'individualité et le principe de la personnalité se confondent. L'actualité de l'âme raisonnable, en se communiquant au corps, détermine l'existence d'un individu qui est une personne, si bien que l'âme individuelle possède la personnalité comme par définition.
É. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale,t. 1, 1931, p. 209. 84. Il n'y avait que l'amplitude silencieuse et disproportionnée des bois, mêlée à des sons de prière et de sommeil. (...) elle faisait entrer en vous une douce confiance dont on s'apercevait seulement qu'elle était là sans qu'on l'eût sentie venir. Elle allait chercher au fond de vous, pour le caresser et l'assoupir, quelque chose qui était peut-être bien votre âme, tant c'était profond.
J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 1, 1933, p. 42. 85. ... nous n'observons ni âme, ni corps, mais seulement un être composite dont nous avons divisé arbitrairement les activités en physiologiques et mentales. Certes, on continuera toujours à parler de l'âme comme d'une entité (...). L'âme est cet aspect de nous-mêmes qui est spécifique de notre nature et nous distingue de tous les autres êtres vivants.
A. Carrel, L'Homme, cet inconnu,1935, p. 138. 86. Une œuvre réussie a toujours quelque chose de secret, d'insaisissable, fait appel « en nous à des yeux qui ne sont pas encore ouverts ».
La poésie est représentation de l'âme, du monde intérieur dans sa totalité. Le sens poétique a bien des points communs avec le sens mystique ... Il représente l'irreprésentable. Il voit l'invisible, sent l'insensible, etc ... Le poète est littéralement insensé, − en échange, tout se passe « en lui ». Il est, au pied de la lettre, sujet et objet à la fois, âme et univers.
A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 207. 87. Ce qui compte, je le sais bien, c'est l'âme qui est au fond; ce fond que l'élan de l'amour consiste à vouloir atteindre. Mais la forme n'est pas complètement transparente. L'enveloppe a une épaisseur. Tout se passe comme si « de l'âme » était à votre recherche, essayait de venir vers vous, était attirée par vous, vous attirait. Cela circule le long du temps et des circonstances, en quête d'une transparence plus grande, ou d'une fissure plus large, pour qu'enfin la rencontre puisse avoir lieu. « De l'âme. » De l'âme qui vous concerne, vous, et que vous concernez.
J. Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 205. 88. L'âme humaine (et pourquoi craindre d'employer ce mot pour désigner ce faisceau d'émotions, de tendances, de susceptibilités dont le lien n'est peut-être que physiologique) reste de contours vaporeux, changeants, insaisissables, constamment modifiés et modifiables au gré des circonstances, des climats, des saisons, de toutes les influences, de sorte que la volonté la plus tendue et la plus vigilante a bien du mal à y maintenir un semblant de cohésion.
A. Gide, Journal,1942, p. 132. 89. ... l'obstination de Klages à vouloir toujours rejeter l'« esprit », qui est raison et volonté claires, pour découvrir l'« âme » obscure et instinctive le conduit souvent à un subjectivisme touffu.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 205. 90. ... mettez-vous à la place de ce petit garçon, à la plus haute fenêtre d'un vieux château, tous les poils de son corps en érection, en train de se mettre plein l'âme, plein les yeux, plein le cœur, plein tout, de cet océan extatique que j'essaye de vous décrire, de ce déballage sous lui de montagnes, de forêts, de moissons et de vignobles...
P. Claudel, La Lune à la recherche d'elle-même,1949, p. 1281. 91. Au propriétaire, les biens de ce monde reflètent ce qu'il est : ils m'enseignaient ce que je n'étais pas : je n'étais pas consistant ni permanent; je n'étais pas le continuateur futur de l'œuvre paternelle, je n'étais pas nécessaire à la production de l'acier : en un mot je n'avais pas d'âme.
J.-P. Sartre, Les Mots,1964, p. 71. Rem. 1. Dans ce sens, la notion d'âme recouvre à la fois la notion d'esprit (« principe et siège des facultés intellectuelles »), la notion de cœur (« principe et siège des facultés affectives ») et la notion de conscience (« principe et siège des facultés morales »). 2. Syntagmes usuels les facultés, les opérations, les phénomènes de l'âme; la vie, l'histoire, l'étude de l'âme; l'intérieur, les profondeurs, les mystères de l'âme; découvrir, analyser, connaître l'âme; une âme simple, obscure, ouverte. − En partic. La partie la plus intime de l'être. ♦ Du fond de l'âme. Du plus profond de soi-même. Jusqu'à l'âme, jusqu'au fond de l'âme. Profondément, tout au fond de son être. Être ému jusqu'à l'âme, jusqu'au fond de l'âme : 92. Il lui souriait du fond de l'âme; à ses yeux elle était douée d'un prestige qui m'échappait, absolument.
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 215. ♦ De toute son âme. De tout son être, en engageant toutes ses ressources. Avec toute son âme : 93. Bergson enseigne que l'homme doit philosopher « avec toute son âme », c'est-à-dire, non pas seulement avec sa raison, mais avec ses passions, ses instincts, son vouloir-vivre.
J. Benda, La France byzantine,1945, p. 51. ♦ Dans l'âme [En parlant de la manière d'être, d'agir] Fondamentalement : 94. J'étais devenue journaliste dans l'âme ... j'aime ce métier-là.
G. de Maupassant, Bel-Ami,1885, p. 202. b) P. ext. [En parlant d'un groupe humain] Ensemble de dispositions subjectives communes aux membres d'un groupe et caractéristiques de ce groupe. L'âme d'un peuple, d'une nation, de la patrie; l'âme d'une époque; l'âme collective : 95. Dois-je montrer que cette conception inspire toute la pensée moderne? Qu'elle existe chez tout un groupe de critiques littéraires, lesquels, devant un ouvrage et de leur propre aveu, cherchent bien moins s'il est beau que s'il est expressif des « volontés actuelles », de l'« âme contemporaine »? Qu'on la voit chez toute une École d'historiens-moralistes qui admirent une doctrine, non pas parce qu'elle est juste ou bonne, mais parce qu'elle incarne bien la morale de son temps, l'esprit de science de son temps...
J. Benda, La Trahison des clercs,1927, pp. 124-125. 96. Il avait connu ce « miracle », cette communauté mystique des troupes au feu, cette épuration de l'individu, cette formation soudaine d'une âme collective et fraternelle, sous le poids d'une même fatalité.
R. Martin du Gard, Les Thibault,Épilogue, 1940, p. 830. c) Au fig. − [En parlant de 2 ou de plusieurs pers.] Être une âme, n'être qu'une âme, ne faire qu'une âme. Être si étroitement unis, que l'on semble ne plus faire qu'un seul être : 97. violaine. − Qui a pris une épouse, ils ne sont plus qu'une âme en une seule chair et rien ne les séparera plus.
P. Claudel, L'Annonce faite à Marie,1948, II, 3, p. 173. 98. Le seul sujet définitivement capable de la transfiguration mystique est le groupe entier des hommes ne formant plus qu'un corps et qu'une âme dans la charité. Et cette coalescence des unités spirituelles de la création sous l'attraction du Christ est la suprême victoire de la foi sur le monde.
P. Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 184. − Se sentir une âme de + subst. de l'animé. Se sentir animé, habité par des aspirations, des idées, des convictions identiques à celles d'une autre personne : 99. La propriété est maintenant complètement enclose de barbelés. Devant quoi je me sens une âme de communiste. Je n'ai jamais eu celle d'un possesseur.
A. Gide, Feuillets d'automne,1949, p. 1087. 100. ... je rôdais dans l'appartement avec une âme d'incendiaire; hélas, je n'y mis jamais le feu : docile par condition, par goût, par coutume, je ne suis venu, plus tard, à la rébellion que pour avoir poussé la soumission à l'extrême.
J.-P. Sartre, Les Mots,1964, p. 138. d) P. méton. − Personne, chose qui anime la vie de quelqu'un en lui donnant une raison d'être, un contenu, un sens : 101. Adieu, femme, tourment, bonheur, espérance et âme de ma vie, que j'aime, que je crains, qui m'inspire des sentiments tendres qui m'appellent à la nature, et des mouvements impétueux aussi volcaniques que le tonnerre.
Napoléon Ier, Lettres à Joséphine,1796, p. 21. 102. Elle entrerait au Carmel ou dans un de ces Ordres qui vont en Polynésie, soigner les lépreux. Elle sacrifierait cette vaine beauté, cette vie sans but et sans âme.
Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire?1934, p. 170. − Âme sœur. Personne qui a de profondes affinités de goûts, de sentiments... avec une autre personne (particulièrement avec une personne du sexe opposé), qui est faite pour s'entendre, pour vivre en harmonie avec elle : 103. Tant que sa fortune immense a suffi à ces bienfaits, il a réussi à rester ignoré. Mais il a fallu, pour continuer ce rôle sublime, qu'il établît des relations avec des âmes sœurs de la sienne et qu'il formât une association...
G. Sand, Lélia,1839, p. 378. − Vieilli. Chère âme, ma chère âme, mon âme. Terme de tendresse, usité en particulier pour désigner la femme aimée : 104. − Chère âme, je vous aime... on m'a dit ce que vous souffriez, et je suis accouru... me voici, je vous aime.
É. Zola, Le Rêve,1888, p. 172. 2. En partic. a) Principe de la vie affective; siège des sentiments : 105. C'est une grande imprudence que d'appliquer sans cesse son jugement à la partie aimante de son être, de porter l'esprit raisonneur dans les passions. Cette curiosité conduit peu-à-peu à douter de toutes les choses généreuses; elle dessèche la sensibilité, et tue, pour ainsi dire, l'ame : les mystères du cœur sont comme ceux de l'antique Égypte; tout profane qui cherche à les découvrir, sans y être initié par la religion, est subitement frappé de mort.
F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme, t. 1, 1803, p. 372. 106. − Il y a au-dedans de nous un être immatériel, qui est comme exilé dans notre corps auquel il doit survivre éternellement. Cet être, d'une essence plus pure, d'une nature meilleure, c'est notre âme. C'est l'âme qui enfante tous les enthousiasmes, toutes les affections, qui conçoit Dieu et le ciel.
V. Hugo, Lettres à la fiancée,1821, p. 53. 107. Le sentiment est « une coloration particulière de l'âme consciente », qui s'incorpore à la vie inconsciente et participe de toutes ses qualités : immédiat et sans liberté, ne connaissant ni lassitude ni éducation, il est soustrait à la volonté et insondable. Par lui, l'âme touche à ces régions profondes où toutes les âmes sont en rapport avec leur unité commune. L'amour, qui en est la forme la plus haute, est la « première délivrance de l'existence séparée, le premier pas du retour dans le tout ».
A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 137. Rem. Dans ce sens, âme est d'une part mis en synonymie avec cœur (conçu comme le principe de l'affectivité), d'autre part mis en opposition avec esprit (conçu comme le principe des facultés intellectuelles, de la raison) : 108. ... même en se rendant aux raisons que je lui exposais, son âme restait froide, quoique son esprit parût convaincu.
N.-E. Restif de La Bretonne, Monsieur Nicolas,1796, p. 153. 109. − Mère, dis-je, (...) tu sais comme il est tranquille. (...):
− Tranquille! on ne sait jamais. Il faudrait être à l'intérieur, pour savoir. Oui, dans son âme, dans son cœur.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier,Le Jardin des bêtes sauvages, 1934, p. 176. − [En position de compl. déterminatif] :
110. Je crois de plus en plus que ce que nous appelons tristesse, angoisse, désespoir, comme pour nous persuader qu'il s'agit de certains mouvements de l'âme, est cette âme même, que, depuis la chute, la condition de l'homme est telle qu'il ne saurait plus rien percevoir en lui et hors de lui que sous la forme de l'angoisse.
G. Bernanos, Journal d'un curé de campagne,1936, p. 1183. 111. Élisabeth, elle, offre un autre aspect de l'âme, est en quelque sorte la sensualité de l'âme, j'entends par là tout ce qui se rapporte à la partie affective de l'âme; elle est tout cœur et tout sentiment, et elle se donne par sentiment.
J. Green, Journal,1949, p. 236. 112. ... Leibniz avait entrevu un au-delà de la pensée perceptible. (...) Mais c'est un peintre, Karl Gustav Carus, qui aborda de front le problème et précisa l'existence de cette région de l'âme, nourricière de la sensibilité et du rêve.
R. Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 305. Rem. Syntagmes usuels mouvement, disposition, transport, élan de l'âme; affections, agitation, émotion, sentiment, passion de l'âme; délicatesse, sensibilité, insensibilité, sécheresse de l'âme; santé, maladie, plaie de l'âme; plaisir, douleur, souffrance, angoisse, tristesse de l'âme. ♦ État d'âme. Ensemble d'impressions, de sentiments ressentis dans une circonstance donnée : 113. Je songe à cette sorte de roman qui s'interdit, dans l'ordre des états d'âme, le rêve, la rêverie, les pressentiments...
J. Paulhan, Les Fleurs de Tarbes,1941, p. 167. 114. ... il s'est promené tout le jour, il avait quelque chose à tuer, il ne sait pas s'il y est arrivé : quand on ne fout rien, on a des états d'âme, c'est forcé.
J.-P. Sartre, La Mort dans l'âme,1949, p. 245. 115. La forêt est un état d'âme. Les poètes le savent. Les uns l'indiquent d'un trait comme Jules Supervielle qui sait que nous sommes dans les heures paisibles habitants délicats des forêts de nous-mêmes.
G. Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 171. 116. J'appréciais son amour de la vérité, sa rigueur; il ne confondait pas les sentiments avec les idées et je me rendis compte, sous son regard impartial, que bien souvent mes états d'âme m'avaient tenu lieu de pensée.
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 246. P. ext. [En parlant d'un groupe humain] :
117. ... maintenant qu'il embrassait par le souvenir, à vol d'oiseau, ces tas d'estaminets et de rues. Il comprenait la signification de ces cafés qui répondaient à l'état d'âme d'une génération tout entière, et il en dégageait la synthèse de l'époque.
J.-K. Huysmans, À rebours,1884, p. 230. ♦ Vague à l'âme. État de mélancolie, de vacuité, plus ou moins maladif, dû p. ex. au désœuvrement, à l'ennui, à la solitude. Avoir du vague à l'âme : 118. René avait du « vague à l'âme »; à présent « il s'embête à crever ». René n'était malade que d'esprit : à présent il est névropathe. Son cas était surtout moral : il est aujourd'hui surtout pathologique. Vous trouverez la plupart de ces traits chez des Esseintes. Il représente en plus d'un endroit « l'ennuyé » d'aujourd'hui.
J. Lemaître, Les Contemporains,1885, p. 325. ♦ La mort dans l'âme. Faire quelque chose la mort dans l'âme. Contre son gré, avec détresse. Avoir la mort dans l'âme. Être désespéré : 119. ... le surmoi se fait tour à tour autoaccusateur dans la mélancolie jusqu'à jeter la mort dans l'âme, persécuteur par projection au dehors dans la paranoïa, ségrégateur et obsédant dans l'automatisme mental.
E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 704. − [Qualifié par un adj.] :
120. J'ai fait des économies! s'écria-t-il tout d'un coup. − Ce mot de génie changea la physionomie du vieillard et la position de Julien... voilà donc l'amour de père! se répétait-il l'âme navrée...
P. Bourget, Essais de psychologie contemporaine,1883, p. 243. Rem. Syntagmes fréq. âme sensible, délicate, poétique, tendre, douce; âme tranquille, sereine, ardente, enthousiaste, passionnée, exaltée; âme agitée, émue, bouleversée, troublée, tourmentée, inquiète, indignée; âme heureuse, ravie, triste, endolorie, souffrante, blessée, déchirée, malade, flétrie, brisée, fatiguée, épuisée; âme éprise, solitaire; âme pleine, vide. − [Dans des loc. verbales] :
121. Nos ames, comme je l'ai dit, s'étaient épanchées sans réserve sur les confins de la Touraine.
J. Dusaulx, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées,t. 1, 1796, p. 33. 122. ... il a néanmoins beaucoup d'agrément dans la physionomie, surtout lorsqu'il est animé par quelque doux sentiment. Son âme passe alors dans ses yeux, et fait disparaître l'air froid et même un peu sombre qu'il a naturellement...
J. Guéhenno, Jean-Jacques,Roman et vérité, 1950, p. 160. Rem. Syntagmes fréq. avoir de l'âme, être tout âme, faire quelque chose avec âme; envahir, (r)emplir l'âme, s'emparer de l'âme, habiter l'âme, jaillir de l'âme; faire vibrer l'âme; atteindre, remuer, bouleverser, ébranler, chavirer, agiter, tourmenter, blesser, percer, déchirer, dévaster, obscurcir l'âme; livrer, ouvrir son âme à quelqu'un; gagner l'âme de quelqu'un. ♦ Avoir de l'âme. Avoir une grande sensibilité; avoir du cœur, être bon et humain. [En parlant d'une œuvre] Être plein d'âme. Être animé par une grande bonté, une grande humanité. Manquer d'âme, n'avoir pas d'âme, être sans âme. Manquer, n'avoir pas de cœur, être insensible et dur. [En parlant d'une chose] Sans âme. Froid, figé : 123. Les paroles sont devenues des actions, et tous les cœurs sensibles vantent avec transport un mémoire que l'humanité anime, et qui paraît plein de talent parce qu'il est plein d'âme.
G. de Staël, Lettres de jeunesse,1786, p. 67. 124. ... vous êtes bon, vous, délicat, sensible; mais Armand n'a point d'âme.
J.-F. Collin d'Harleville, Le Vieux célibataire,1792, p. 27. 125. ... pour ces guerres démentes où sont sacrifiés les hommes non pas même à des chimères, non pas même, peut-être, expressément aux intérêts de quelques-uns... mais à un système sclérosé, inhumain, sans âme, qui tourne en rond, qui tourne en vrille, conduisant le monde à quelle inimaginable tuerie, à quelle rage hagarde et comme vide − pour ces guerres-là, qui me convaincra d'être un fou ou d'être un lâche, si je dis : non!
A. Gide, Journal,1933, p. 1181. 126. « Il y a les hommes... » Il vient de se peindre tout entier, ce tendre. − Oui mais il ne sait pas bien dire ça. Il a de l'âme plein les yeux, c'est indiscutable, mais l'âme ne suffit pas. J'ai fréquenté autrefois des humanistes parisiens, cent fois je les ai entendu dire « il y a les hommes », et c'était autre chose!
J.-P. Sartre, La Nausée,1938, p. 145. 127. Un petit fêtard imbécile, un petit carnassier dur et sans âme, une petite brute tout juste bonne à aller plus vite que les autres avec ses voitures, à dépenser plus d'argent dans les bars.
J. Anouilh, Antigone,1946, p. 187. ♦ Être tout âme. Être doué d'une sensibilité aiguë, toujours en éveil. Fendre l'âme. Fendre le cœur, toucher au point le plus sensible. ♦ Retrouver son âme de + subst. de temps. Revivre l'état d'âme, éprouver à nouveau les sentiments de (tel moment du temps) : 128. Nous nous taisions. La guerre était encore si proche que nous retrouvions brusquement, comme si elle fût restée attachée au terrain, notre âme des soirs de relève, cette angoisse active qui tenait tous les sens à l'affût, cette impression d'une présence hostile et cachée, qui guettait notre montée.
R. Vercel, Capitaine Conan,1934, p. 197. − Principe de la sensibilité, de l'imagination, de la création artistique : 129. ... la poésie, c'est l'âme, le génie, c'est l'âme, ce qu'on appelle mon talent n'est autre chose que mon âme...
V. Hugo, Lettres à la fiancée,1821, p. 81. 130. ... pour une simple image poétique, il n'y a pas de projet, il n'y faut qu'un mouvement de l'âme. En une image poétique l'âme dit sa présence. Et c'est ainsi qu'un poète pose le problème phénoménologique de l'âme en toute clarté. Pierre-Jean Jouve écrit : « la poésie est une âme inaugurant une forme. » L'âme inaugure. Elle est ici puissance première. Elle est dignité humaine.
G. Bachelard, La Poétique de l'espace,1957, p. 6. ♦ Dans le domaine de l'expression orale, musicale.Chanter, jouer, parler, lire avec âme. Avec beaucoup de sentiment, avec une puissance d'émotion qui révèle une sensibilité délicate. Par ell. Avec âme : 131. Philippe, avec âme
Mais s'il y croit, Madame, s'il y croit!
Madame Fernat
Alors je le plains beaucoup.
Philippe, gravement
Moi aussi, je le plains.
H. de Montherlant, L'Exil,1929, II, 4, p. 60. 132. Les musiciens disent : jouer ou chanter avec âme, c'est-à-dire avec expression, chaleur, mouvement, parce que l'âme est l'imitation de la vie.
Rougnon1935. Mettre de l'âme dans quelque chose : 133. Ils reprirent la scène; elle essayait de mettre de l'âme dans chaque réplique et ce fut beaucoup plus mauvais que la première fois.
− Vous en faites trop, dit-il. Soyez plus simple.
S. de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 274. − Au fig. Psychisme que la sensibilité de l'homme perçoit surtout dans les choses, en s'y projetant; psychisme spécifique ainsi prêté à chaque chose, l'homme y projetant des états affectifs différents; ce qui est ressenti comme étant la nature propre et intime d'une chose : 134. ... (...) Dans les jours lointains je vois ton fils Orphée, (...)
(...), tenant la lyre, il chante.
(...)
La tigresse tournait une prunelle d'or
Vers ses regards voilés par ses longues paupières,
Et sa voix éveillait des âmes dans les pierres.
T. de Banville, Les Cariatides,La Voie lactée, 1842, p. 13. 135. C'est l'intuition des harmonies cosmiques qui constitue la part de « vérité » contenue dans la poésie, quand elle exprime l'harmonie entre un homme et son milieu, ou qu'elle dégage « l'âme » d'un paysage ou d'une province, l'âme, c'est-à-dire son unité cosmique. Ce qui donne à l'univers sa couleur, ce qui le rend capable de déclencher des sentiments en nous ce n'est pas ce qu'il contient de mécanismes bien déterminés. Mais ces mécanismes se sont peu à peu harmonisés entre eux pour former des mondes, pourvus d'une sorte de rythme auquel nous nous accordons spontanément, parce que nous sommes nous-mêmes créés par la même lente formation.
R. Ruyer, Esquisse d'une philosophie de la structure,1930, p. 81. 136. Descendre dans la rue pour juger un pays, c'est une habitude latine. Si je cherchais l'âme, le secret de Paris, c'est aux rues de Paris que je le demanderais.
P. Morand, Londres,1933, p. 110. 137. ... « Je veux dire : ce n'est pas une pièce de musée... vos meubles, on ne dit pas : voilà des merveilles... non ... mais cette pièce a une âme. Toute cette maison a une âme ».
Vercors, Le Silence de la mer,1942, p. 41. 138. Breton (dans le Second Manifeste) écrivit : « il est clair que le Surréalisme n'est pas intéressé à tenir grand compte de tout ce qui se produit à côté de lui sous prétexte d'art, voire d'anti art, de philosophie ou d'anti philosophie, en un mot de tout ce qui n'a pas pour fin l'anéantissement de l'être en un brillant intérieur et aveugle, qui ne soit pas plus l'âme de la glace que celle du feu. »
G. Bataille, L'Expérience intérieure,1943, p. 228. 139. « L'or léger qu'elle murmure
Sonne au simple doigt de l'air
Et d'une soyeuse armure
Charge l'âme du désert ».
Valéry rejoint Cézanne au sein du même cristal, éblouissant de lumière et vibrant de mélodie.
R. Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 94. ♦ Littér. L'âme des choses. ,,Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?`` (A. de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, Milly,1830, pp. 15-16). ♦ Dans le domaine de la création artistique.La vie, en particulier la vie intérieure, la personnalité que l'artiste imprime à sa création : 140. Le peintre donne une âme à une figure, et le poète prête une figure à un sentiment et à une idée.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 72. 141. Souvent, en contemplant des ouvrages d'art, non pas dans leur matérialité facilement saisissable, dans les hiéroglyphes trop clairs de leurs contours ou dans le sens évident de leurs sujets, mais dans l'âme dont ils sont doués, dans l'impression atmosphérique qu'ils comportent, dans la lumière ou dans les ténèbres spirituelles qu'ils déversent sur nos âmes, j'ai senti entrer en moi comme une vision de l'enfance de leurs auteurs.
Ch. Baudelaire, Paradis artificiels,Le Génie enfant, 1860, p. 443. 142. Antoine lui-même (mais un Antoine qui succombe), il [Flaubert] a perdu son âme − je veux dire l'âme de son sujet, qui était la vocation de ce sujet à devenir chef-d'œuvre. Il a manqué l'un des plus beaux drames possibles, un ouvrage du premier ordre qui demandait à être. En ne s'inquiétant pas sur toute chose d'animer puissamment son héros, il a négligé la substance même de son thème : il n'a pas entendu l'appel à la profondeur.
P. Valéry, Variété 5,1944, p. 205. b) Principe de la volonté et de l'action, principe et siège de la conscience et de la vie morale : 143. En courant les rues en voiture, je réfléchissais sur la conscience morale que je distingue de la conscience personnelle (base de toute philosophie) et d'une autre conscience qu'on pourrait appeler rationnelle. Ce sont trois points de vue ou comme trois faces de l'âme humaine ...
Maine de Biran, Journal,1818, p. 122. − [En position de compl. déterminatif] :
144. Les souffrances physiques (et les privations) sont souvent pour les hommes courageux une épreuve d'endurance et de force d'âme.
S. Weil, La Pesanteur et la grâce,1943, p. 44. 145. Elle crie qu'elle n'a rien su, rien ressenti, qu'il me reste la grandeur de son âme, sa fidélité! Aujourd'hui je suis un mari, je ne me contente pas des mots de prétoire. J'appelle fidélité pour le corps...
J. Giraudoux, Pour Lucrèce,1944, III, 5, p. 180. 146. La vie et la ferveur et la tendance vers, créent l'ordre. Mais l'ordre ne crée ni vie, ni ferveur, ni tendance vers. Et ceux-là seuls se trouveront grandis qui, par bassesse d'âme, accepteront le petit bazar d'idées qui est du formulaire du gendarme, et troqueront leur âme contre un manuel.
A. de Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 806. Rem. Syntagmes usuels grandeur, force, égalité, simplicité, bonté, générosité d'âme; beauté, pureté, noblesse de l'âme; les yeux sont le miroir de l'âme. − [Suivi, parfois précédé, d'un adj. ou accompagné d'un compl. déterminatif à valeur méliorative ou péj.; s'emploie p. méton. pour désigner une pers.] :
147. Il n'est pas rare de voir des âmes faibles qui, par la fréquentation avec des âmes d'une trempe plus vigoureuse, veulent s'élever au-dessus de leur caractère.
Chamfort, Maximes et pensées,1794, p. 35. 148. À l'exposition du boulevard des Italiens, devant cette école, cette peinture pourrie, ces tableaux d'éventail, ces dentelles et ces bergerades, il me vient l'idée que c'est pourtant de ce temps qu'est sortie cette ventrée d'âmes de bronze et de corps de fer, les hommes de la Convention et de l'Empire.
E. et J. de Goncourt, Journal,oct. 1860, p. 828. 149. Jérôme Paturot désirait un peu vivement une position sociale. C'est d'une petite âme.
M. Barrès, Un Homme libre,1889, p. XIX. 150. Ces vertus bien françaises dont je ne voudrais cependant pas trop médire, sont parmi les plus dangereuses; elles ne supportent pas d'être pratiquées de façon constante; elles sont à la structure d'une âme virile ce que les tons neutres sont à un tableau coloré : des éléments régulateurs. Mais, de même qu'on n'actionne pas un véhicule à coups de frein, de même une grande âme ne s'élève pas sans un embrasement considérable, un délire profond...
A. Lhote, Peinture d'abord,1942, p. 118. 151. Je suis fatigué de vous, Soubrier, affreusement fatigué de vous. Vous êtes une âme pénible. Cruelle, et d'autant plus cruelle qu'elle est plus faible. Vous êtes pesant (...), mon pauvre petit. soubrier. − Pourquoi dites-vous « pauvre »? Je ne suis pas à plaindre. l'abbé. − Orgueilleuse petite âme d'esclave que vous êtes, avec vos points d'honneur toujours si mal placés. Pas à plaindre!
H. de Montherlant, La Ville dont le prince est un enfant,1951, I, 1, p. 857. 152. ... sur bien des points je restais dupe des sublimations bourgeoises; eux, ils dégonflaient impitoyablement tous les idéalismes, ils tournaient en dérision les belles âmes, les âmes nobles, toutes les âmes, et les états d'âme, la vie intérieure, le merveilleux, le mystère, les élites; ...
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 336. Rem. Syntagmes usuels grande, petite, belle âme; pauvre âme; âme noble, vulgaire; sublime, vertueuse; forte, faible, irrésolue, pusillanime; transparente, pure, sale, noire; innocente, simple, perverse; fière, élevée, supérieure, haute, basse; courageuse, lâche; honnête; charitable, généreuse, bienfaisante, magnanime, intéressée, vénale; égale, sereine; âme de bronze, de fer, de héros, d'élite, de boue, de laquais, de valet. − Loc. En mon âme et conscience. Formule de serment. En toute sincérité, en toute honnêteté : 153. Soyons juste, au point de vue du modernisme, tout cela se vaut, et j'affirme en mon âme et conscience, que je ne vois pas bien la différence qui existe entre certains dessins de bals, gravés dans des feuilles à images, et le bal en couleur que M. Béraud nous expose.
J.-K. Huysmans, L'Art moderne,1883, p. 172. − P. méton. Bonne âme. Personne d'une nature bonne et simple, personne charitable. ♦ Par antiphrase : 154. ... le roi nomma l'inventeur chevalier de la légion d'honneur. Nouvelle rumeur dans la petite ville. Eh bien! C'est la croix qu'il voulait! Le Père Madeleine refusa la croix. Décidément cet homme était une énigme. Les bonnes âmes se tirèrent d'affaire en disant : après tout, c'est une espèce d'aventurier.
V. Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 203. − [Dans des loc. verbales] Forger, fortifier, retremper une âme : 155. ... il n'est point à distinguer ce qui te ravage de ce qui te fonde, car c'est le même vent qui sculpte les dunes et les efface, le même flot qui sculpte la falaise et l'éboule, la même contrainte qui te sculpte l'âme ou l'abrutit, le même travail qui te fait vivre et t'en empêche, le même amour comblé qui te comble et te vide.
A. de Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 740. III.− TECHN. et TECHNOL., par métaph. [Sert à désigner ce qui, dans un obj., constitue l'élément central, vital, la partie intérieure (en partic. lorsqu'il s'agit d'un évidement permettant une circulation d'air); est notamment utilisé dans le cadre de l'oppos. corps/âme (cf. p. ex. hérald.)] − ARM. Âme d'un canon, d'un fusil. Évidement intérieur où se place le projectile : 156. ... je veux trahir, je lèche le canon de mon fusil et son âme à l'intérieur, son âme, seuls les fusils ont des âmes ...
A. Camus, L'Exil et le royaume,1957, p. 1586. − CH. DE FER. Âme du rail. Partie médiane joignant le patin au champignon. Rem. Attesté ds Ch. Bricka, Cours de chemins de fer, 1894, p. 299; Nouv. Lar. ill. et Lar. encyclop. − CHIM. ,,Partie centrale d'un fil, d'un charbon pour électrodes, etc., lorsqu'on doit les utiliser dans des buts spéciaux.`` (Duval 1959). Rem. Voir d'autre part Lar. encyclop. et son Compl. (métall. Âme d'une électrode de soudure, âme d'une cathode). − ÉLECTR. Âme d'un câble isolé. ,,Partie centrale et métallique d'un câble électrique, conduisant le courant`` (Siz. 1968). Âme câblée. ,,âme formée de plusieurs brins conducteurs, assemblés en toron `` (Siz. 1968). Âme massive. ,,âme constituée par un conducteur unique.`` (Siz. 1968). Rem. Mention (plus ou moins complète) ds Littré, Nouv. Lar. ill.-Lar. Lang. fr. et Quillet 1965. − HÉRALD. Âme d'une devise. ,,... paroles qui servent à expliquer la figure représentée dans le corps d'une devise`` (Ac. 1835-1932). La devise avait pour corps un arbre abattu, entouré d'un lierre, et pour âme ces paroles : Je meurs où je m'attache.`` (Ac. 1835-1932). Rem. Attesté ds la plupart des dictionnaires. − MAR. Âme d'un cordage. ,,Fil intérieur autour duquel on tresse les torons.`` (DG). Synon. mèche d'un cordage. Rem. Attesté ds la plupart des dictionnaires. ♦ P. ext. [En parlant d'un câble en acier] :
157. Les câbles [en acier] sont constitués par une « âme » sur laquelle s'enroule[nt] un nombre variable de « torons » ...
J. Guillemin, Précis de construction, calcul et essai des avions et hydravions,1929, p. 16. − MUS. Âme d'un instrument à cordes. Petite pièce de bois interposée, dans le corps de l'instrument, entre la table et le fond, les maintenant à la bonne distance et assurant la qualité, la propagation comme l'uniformité des vibrations. L'âme d'un violon, d'une contrebasse, d'un violoncelle : 158. ... dans un violon, la tâble et l'âme sont faites en Épicéa...
L. Plantefol, Cours de botanique et de biologie végétale, t. 1, 1931, p. 205. − PAPET. ,,Feuilles de carton moulé qui sont couvertes d'une ou de plusieurs couches de papier.`` (Lar. 19e-Lar. encyclop.). Rem. Lar. 19eet Nouv. Lar. ill. ajoutent : ,,On donne encore ce nom à la bande de carton qui, dans une boîte, forme la gorge et porte le dessus.`` − SCULPT. Âme d'une figure, d'une statue. ,,L'espèce de massif, de noyau sur lequel on applique le stuc, le plâtre, etc., dont on forme une figure, une statue. Les statues d'or et d'ivoire des anciens Grecs avaient une âme ou noyau de cèdre, sur lequel s'appliquait par compartiments le revêtement de la sculpture. Il se dit également du noyau sur lequel on coule une figure, une statue, et qu'on en retire après l'opération de la fonte.`` (Ac. 1835-1932). Rem. Attesté ds la plupart des dictionnaires. − TECHNOLOGIE ♦ Âme d'une fusée. ,,Trou conique dans le corps d'une fusée volante.`` (Ac. Compl. 1842). Rem. 1. Attesté ds la plupart des dictionnaires. 2. Lar. encyclop. ajoute : ,,Dans un artifice ayant une enveloppe tubulaire, partie intérieure qui est garnie de poudre. Filet axial de matière explosive, dans un cordeau détonant ou non détonant.`` ♦ Âme d'un soufflet. ,,... morceau de cuir qui, formant soupape, laisse pénétrer l'air dans l'instrument et l'y retient.`` (Chesn. 1857). Rem. Attesté ds la plupart des dictionnaires. ♦ ,,... petites feuilles de tabac qui remplissent le dedans des andouilles de tabac. Âme d'un rôle de tabac, Le bâton autour duquel le tabac cordé est monté.`` (Lar. 19eet Nouv. Lar. ill.). Rem. Attesté ds Ac. Compl. 1842, Besch. 1845 et Littré. ♦ Âme d'un fagot. ,,Le menu bois, les menues branches qui sont au milieu d'un fagot. Allumer le feu avec l'âme d'un fagot.`` (Ac. 1835). Rem. 1. Attesté ds les dict. du xixes. sauf Ac. 1878 et DG. 2. ,,Pop.`` selon Ac. 1835 et Besch. 1845. − TEXT. ,,Noyau d'un gland de passementerie.`` (Lar. 19e-Lar. encyclop.). Rem. 1. Lar. encyclop. ajoute : ,,Partie centrale d'un câble, constituée le plus souvent de plusieurs fils de caret non ou peu retordus, et qui sert de support aux torons constitutifs du câble. Âme d'un filé, fil de coton ou de soie sur lequel le métal est enroulé.`` 2. Seul Besch. 1845 mentionne : ,,Âme du métier à bas. Assemblage des pièces qui contribuent à la formation des mailles.`` Confirmé par Chesn. 1857. − ZOOL. Âme d'une plume. Tissu que renferme le tuyau de la plume : 159. Lorsque la tige et toutes ses barbes sont sorties de la gaîne, l'intérieur de celle-ci se dessèche, et on n'y voit plus que des cônes membraneux enfilés les uns dans les autres, qui sont semblables à ceux dont le développement avoit poussé les barbes au dehors et qu'on nomme l'ame de la plume.
G. Cuvier, Leçons d'anatomie comparée,t. 2, 1805p. 606. Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [ɑ:m]. Grammont Prononc. 1958, p. 29 fait remarquer que ,,a devant consonne non allongeante est postérieur et long lorsqu'on l'écrit avec un accent circonflexe : pâte, hâte (...), âme, blâme, pâme, etc., sauf dans les formes verbales comme mangeâmes, donnâtes, où il est antérieur et bref``. 2. Forme graph. − Fér. 1768 écrit le mot sans accent circonflexe. Fér. Crit. t. 1 1787 fait observer qu',,il convient de mettre sur l'â l'accent circonflexe``. Ac. 1798 : âme; Ac. abr. 1832 : ame, sans accent circonflexe. L'emploi de l'accent circonflexe est rég. à partir d'Ac. 1835. Étymol. ET HIST. − 1. Fin ixes. relig. anima « principe spirituel de l'homme » (Eulalie, P. Meyer, Rec. II, 1, 2 ds Gdf. Compl. : Bel avret corps, bellezour anima); 2. 1181 philos. « un des deux principes composant l'homme (oppos. au corps) » (G. D'Amiens, Rom. d'Escanor, éd. Michelant, 6682 ds T.-L. : sont tuit conme cors et ame); 3. 1637 « manifestation de l'individu comme être pensant » (Descartes, Méth., IV ds Rob. : Je connus par là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui pour être n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle; en sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps); 4. a) xiiies. (?) rendre l'âme « mourir » [âme principe de vie chez l'homme]; le terme rendre révèle la conception, à l'orig. relig., du retour à son auteur, de l'âme, créature de Dieu (Mir. de N. D., III, 123, v. 1530 ds Gdf. Compl. : Amis je te di de ta femme, Pour verite rendue a l'amme, Trepassee est en l'abbaie); 1632 (P. Corneille, Clitandre, 226, éd. Marty-Laveaux : La peur de sa mort ne me laisse point d'âme); b) av. 1630 « principe de la vie végétative (d'un inanimé) » (d'Aubigné, III, 55, éd. Beaume, de Caussade, Lex. : soleil, âme du monde); av. 1630 « id. (d'un animal) » (Id., III, 392 ibid. : âme sensitive [des animaux] vive Et mouvente); 1690 « id. (des plantes) » (Fur. : l'âme vegetative est dans les plantes); c) d'où emploi fig. âme d'une pers. : 1616-20 (d'Aubigné, Hist., II, 10 ds Littré : Considerez que la Roine-mere est l'âme de l'Estat, elle qui est sans âme), âme d'un inanimé : 1656 (Pascal, Prov. 5, ibid. : La charité qui est l'âme et la vie de la grâce); d) 1718 « imitation de la vie, expression de vie » (Ac. : On dit donner de l'âme à un ouvrage pour dire : exprimer vivement les choses qu'on y représente, y mettre beaucoup de feu ... cela se dit soit en parlant des orateurs et des poètes soit en parlant des peintres et des sculpteurs); 5. 1669 « principe de la vie affective, source des passions » (Molière, G. Dand. III, 5 ds Rob. : De quel coup me percez-vous l'âme); 1672 en parlant des relations amoureuses (Racine, Andr. II, 2 ds Littré : L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme); 6. xvies. « ensemble des facultés morales » (Ronsard, 635 ibid. : Âme couarde en un beau corps logée) d'où 1636 « cœur, courage » (Corneille, Cid, II, 2 ds Rob. : Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, La valeur n'attend pas le nombre des années); 7. p. ext. de 4 1177 « personne, être vivant » (Chrétien de Troyes, Chev. au Lyon, éd. Foerster, 3035 ds T.-L. : regarde par la forest, S'il verroit nule ame venir); d'où 1633 terme d'affection « ma chère âme » (Corneille, Mélite, 1567 ds Marty-Laveaux, Lex. des Œuvres de Corneille); 1637 « objet de son amour » (Id., Gal. du Palais, 305, ibid. : Célidée est son âme); 8. av. 1695 « ensemble des états de conscience communs aux membres d'un groupe » (La Fontaine, IX, 15, éd. Gohin : Le conte m'en a plus toûjours infiniment : Il est bien d'une âme Espagnole); 9. « partie essentielle vitale d'une chose » a) 1430 d'un moulin (1430, Béthune, ap. La Fons, Gloss. ms., Bibl. Amiens ds Gdf. : Un arbre de moulin tout neuf, roie, bras, courbes, ames, gatilles, coyaulx et rayere); b) 1470 « parole, explication (d'une lettre) » (Lettres de Louis XI, IV, 110 ds Barb. Misc. 27. 1944-52, p. 218 : j'ay receu voz lettres et veu bien à plain le contenu en icelles, aussi en la petite ame qui était dedans); d'où 1680 « id., (d'une devise) » (d'Aubigné,
Œuv., IV, 327 ds Gdf. Compl. : ... lui fit présent d'un bouquet d'olive, de laurier et de cypres joignant au corps de cet emblesme, l'ame qui s'ensuit); c) 1611 « évidement d'une bouche à feu » (Cotgr. : ame [...] also the mould that within the bore of artillerie when tis cast) d'où 1752 artificier (Trév. : Âme. On appelle ainsi le trou conique qu'on pratique dans le corps d'une fusée volante le long de son axe, pour que la flamme s'y introduise d'abord assez avant pour le soutenir); d) 1676 sculpt. (Félibien, Principes d'arch., 468 ds Barb., Op. cit., p. 219 : Âme ... on appelle ainsi la première forme que l'on donne aux figures de stuc lorsqu'on les esbauche grossièrement avec du plastre ...); e) 1680 lutherie (Rich. : Âme. Petit morceau de bois droit, qu'on met dans le corps de l'instrument de musique directement sous le chevalet pour fortifier le son [Ame de poche, de viole et de violon]); f) 1680 (Ibid. : Ame. Ce mot se dit en parlant du fagot. Le bois du milieu du fagot); g) 1771 « moelle d'une plume » (Trév. : On appelle âme ce qui est enfermé dans le creux d'un tuyau de plume); h) 1771 (Ibid. : Ame chez les boisseliers. C'est un morceau de cuir qui forme dans le soufflet une espèce de soupape, qui y laisse entrer le vent, lorsqu'on écarte les deux palettes du soufflet, et l'y retient lorsqu'on les comprime l'une contre l'autre); i) 1797 mar. (Lescallier, Vocab. des termes de mar., ii, 34 ds Barb., Op. cit., p. 220 : Âme ou mèche d'un cordage, c'est un faisceau ou toron ordinairement de fils blancs et de chanvre médiocre, ou du second brin, sur lequel, comme sur un axe, on commet et tortille les torons qui doivent composer un cordage à mèches); d'où 1816 (Beaunier, Loire, Annales des Mines ds Quem. t. 1 1959 : les cables goudronnés par fils et ayant une âme, sont plus durables dans les puits humides); j) 1863 text. (Littré : On dit qu'une étoffe n'a que l'âme quand elle n'a ni forme ni consistance); k) 1894 ch. de fer (Bricka, Cours de chemins de fer, p. 293 : âme du rail).
Du lat. anima proprement « souffle, air » (dep. Ennius), attesté au sens 4 « principe de vie, d'où vie » dep. Ennius (Ann. 210 ds Oxford lat. dict., s.v., 132, col. 2 : ut pro Romano populo... prudens animam de corpore mitto); au sens 2 « esprit par oppos. au corps » dep. Pacuvius (Trag. 93, ibid. : mater terrast : parit haec corpus, animam aether adiuget); au sens 4 a âme de l'homme : animam efflare, emittere, proflare, expirare, dimittere... d'emploi très fréq., TLL s.v., 70, 59 et sq. b âme des plantes (Pline, Nat., 31, 3, ibid., 73, 12 : in caelum migrare aquas amimamque etiam herbis vitalem inde deferre); c âme des animaux (Virgile, Georg. 3, 495 ds Gaff. : dulces animas reddunt vituli); au sens 5 [sens aussi présenté par animus] (Sénèque, Benef., 4, 37, 1 ds TLL s.v., 73, 38 : hominem venalis animae); au sens 7 (Horace, Sat., 1, 5, 41 ds Oxford lat. dict., s.v., 132, col. 3 : Plotius et Varius Sinuessae Vergiliusque... animae qualis neque candidiores terra tulit); comme terme de tendresse (Cicéron, Fam., 14, 14, 2 ibid. : Vos meae carissimae animae [de même animus : Plaute, Asin., 664 ds Gaff. : mi anime]). Les sens suiv. sont empr. au lat. animus : 3 (Plaute, Poen, 1250 ds Oxford lat. dict., s.v., 134, col. 2 : ita stupida sine animo asto); 5 (Plaute, Capt., 782, ibid. 134, col. 3 : tanto mi aegritudo auctior est in animo); d'où sentiment amoureux. (Id., Asin., 141, ibid., 135, col. 1 : amans ego animum meum isti dedi).
Le lat. anima est apparu sous cette forme en fr.; voir 1 (Eulalie); puis sous les formes suiv. : xies. aneme (Alex., str. 67bds Gdf. Compl. : Deseivret l'aneme del cors sainz Alexis); ca 1100 anme (Rol., éd. Bédier, 2396 : L'anme del cunte portent en pareïs) avec a nasal; ame par assimilation n/m, d'où [m], avec a postérieur, (Fouché, p. 84 Phonét. 1952, p. 808); fin xiies. arme (Garin, 2echanson XVIII ds Gdf. Compl. : Il chiet a terre et l'arme s'en parti); ca 1170 alme (Ben., D. de Norm., I, 165 ibid. : Ne dotent mort, ne lor survient que alme seit ne qu'el devient), par dissimilation du n changé soit en r soit en l dans le groupe -nm- (Nyrop t. 1 1938, § 330). STAT. − Fréq. abs. litt. : 41 800. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 79 021, b) 50 623; xxes. : a) 65 032, b) 44 096. BBG. − Allmen 1956. − Bach.-Dez. 1882. − Bailly (R.) 1969 [1946]. − Bar 1960. − Barb. Misc. 27 1944-52, pp. 218-223. − Barb.-Cad. 1963. − Barber. 1969. − Barbier (P.). Noms de poissons. R. Lang. rom. 1915, t. 58, pp. 270-280. − Bél. 1957. − Bénac 1956. − Bible 1912. − Boiss.8. − Bonnel-Tassan 1966. − Bouillet 1859. − Bouyer 1963. − Bruant 1901. − Canada 1930. − Chabat t. 1 1875. − Chesn. 1857. − Cohen 1946, p. 8, 11. − Daire 1759. − Dheilly 1964. − Dup. 1961. − Duval 1959. − Esn. 1966. − Fér. 1768. − Foulq.-St-Jean 1962. − Franck 1875. − Fromh.-King 1968. − Goblot 1920. − Gottsch. Redens. 1930, p. 130, 280, 355; pp. 357-358; p. 381, 404, 461. − Gruss 1952. − Guizot 1864. − Julia 1964. − Lacr. 1963. − Laf. 1878. − Laf. Suppl. 1878. − Lafon 1963. − Lal. 1968. − Lav. Diffic. 1846. − Le Clère 1960. − Le Roux 1752. − Littré-Robin 1865. − Marcel 1938. − Millepierres (F.). L'Âme chez les poètes du xixesiècle. Vie Lang. 1968, no198, pp. 542-548; no199, pp. 615-621. − Miq. 1967. − Mots rares 1965. − Nelli 1968. − Noter-Léc. 1912. − Nysten 1814-20. − Piguet 1960. − Poignon 1967. − Pollnow (H.). Corps, âme, esprit. Problèmes de structure. Recherches philosophiques. 1936/37, t. 6, pp. 124-143. − Pope 1961 [1952], § 371, 442, 639, 643, 686, 719. − Prév. 1755. − Romeuf t. 1 1956. − Rougnon 1935. − Sardou 1877. − Siz. 1968. − Sommer 1882. − Synon. 1818. − Théol. bibl. 1970. − Théol. cath. t. 1, 1 1909. − Timm. 1892. − Tournemille (J.). Au jardin des locutions françaises. Vie Lang. 1964, no151, p. 614. − Viollet 1875. − Will. 1831. − Yvon (H.). Les Expressions négatives dans la Queste del Saint Graal. Romania. 1959, t. 80, no1, p. 75, 77. |