SENTIR, verbe trans.
Étymol. et Hist. I. Trans. et intrans.
A. 1. Ca 1100 « percevoir, saisir quelque chose par intuition » (
Roland, éd. J. Bédier, 1952: Oliviers
sent que a mort est feruz);
2. a) déb.
xiies. « connaître, saisir, comprendre en faisant usage de la raison, du jugement » (
St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 72);
b) 1774-76 « penser, juger, être d'avis » (
Guernes de Pont-
Ste-
Maxence,
St Thomas, 846 ds T.-L.);
ca 1470
faire sentir « faire connaître, faire comprendre » (
Chastellain ds
Dochez d'apr.
FEW t. 12, p. 471a);
cf. 1580
je lui ferai sentir que c'est temerité (
R. Garnier,
Antigone, IV, 2302 ds
Les Tragédies, éd. W. Foerster, t. III, p. 80);
3. 1555 « prendre conscience de quelque chose d'une façon plus ou moins claire ou explicite » (
Ronsard,
Odes, XVIII, 9 ds
Œuvres compl., éd. P. Laumonier, t. 7, p. 102); 1690
se faire sentir « se manifester de façon sensible, apparente » (
Fur.);
4. a) 1694 « avoir l'appréciation de ce qui est beau dans une œuvre » (
Sévigné,
Corresp., éd. R. Duchêne, t. 3, p. 1068);
b) 1769
senti part. passé adj. « rendu, exprimé avec vérité »
raccourci mal senti (
Diderot,
Salon de 1769 ds
Œuvres compl., éd. J. Assézat, t. 11, p. 391).
B. 1. a) 1121-34 « percevoir par l'odorat » (
Philippe de Thaon,
Bestiaire, éd. E. Walberg, 406); 1530 « humer » (
Palsgr., p. 722); d'où 1671 fig.
sentir qqn de loin (Th.
Corn.,
Comt. d'Orgueil, IV, 8 ds
Littré); 1788
ne pas pouvoir sentir qqn (
Fér.); 1819
ils ne peuvent pas se sentir (
Boiste);
b) ca 1135 « recevoir une impression par le moyen des sens » (
Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, rédaction AB, 1670);
2. a) 1135 « subir quelque chose, en supporter les effets » (
Wace,
Vie Ste Marguerite, 338 ds T.-L.);
b) ca 1220
faire sentir « faire éprouver »
fist ... sentir son pooir et sa force (
Jean Renart,
Lai Ombre, éd. F. Lecoy, 122-123).
C. 1. a) 1160 « éprouver un sentiment, ressentir » (
Enéas, 1828 ds T.-L.); 1662 absol. « réagir de manière affective » (
Pascal,
Pensées, éd. L. Lafuma, n
o44, p. 504);
b) 1672
ne rien sentir pour qqn (Th.
Corn.,
Ariane, I, 1 ds
Littré);
2. fin
xiie-déb.
xiiies. « ressentir un fait qui touche ou heurte la sensibilité » (
Chastelain de Couci,
Chansons, éd. A. Lerond, XI, 12); 1689
sentir de + inf. « éprouver du déplaisir, de la peine de » (
Sévigné,
op. cit., p. 582).
II. Trans. et intrans.
A. 1225-50 « exhaler, répandre l'odeur de » (
Venus, 186c ds T.-L.); 1530
sentir bon (
Palsgr., p. 722); 1656 fig.
sentir le bâton (
Molière,
Dépit amoureux, III, 3); 1594
sentir le fagot (
Satyre Menippée, 87 [Charpentier] ds
Quem. DDL t. 15,
s.v. fagot).
B. 1. 1450
sentir ... son lieu sauvaige « avoir le caractère du lieu d'où l'on vient » (
Mist. vieux Testament, éd. J. de Rothschild, 11660);
2. 1635 « avoir le goût, la saveur de » (
Monet).
C. 1527 « avoir le caractère, les manières, l'air de quelqu'un, de quelque chose » (d'apr.
FEW t. 12, p. 469a); 1558 avec un poss. (
B. des Périers,
Nouv. récréations et joyeux devis, éd. K. Kasprzyk, p. 165).
III. Pronom.
A. 1. Ca 1100 « avoir conscience de son propre état »
quant se sent abatut (
Roland, 2083);
2. 1580 « percevoir en soi la présence d'une inclination, d'un état physique, affectif ou moral »
se sentant encore quelque reste de vie (
Montaigne,
Essais, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, II, III, p. 356);
3. 1662 « avoir conscience de soi, de son existence, de ses possibilités » (
Molière,
École des femmes, V, 4, 1504); 1668
ne pas se sentir de (
La Fontaine,
Fables, I, 2, 10 ds
Œuvres, éd. H. Régnier, t. 1, p. 63).
B. Déb.
xiies. « se ressentir de quelque chose »
del freid ... me sente (
St Brendan, 1396).
C. 1. 1637 « (d'une chose) être éprouvé, perçu par les sens » (
Descartes,
Météores, Discours premier ds
Œuvres philos., éd. F. Alquié, t. 1, p. 723);
2. 1662 « être perçu par l'esprit ou appréhendé par la sensibilité, l'intuition » (
Pascal,
op. cit., n
o110, p. 512). Du lat. class.
sentīre « percevoir par les sens (les sons, les sensations de plaisir, de douleur, etc.) et par l'intelligence », sens largement maintenu dans toute la Romania: ital.
sentire, esp.-cat.-port.
sentir (v.
FEW t. 11, p. 472a); le sens de « sentir », qui ne semble pas att. en lat. mais bien celui de « goûter, savourer » qui lui est très proche, est très bien représenté en gallo-rom. et se présente aussi bien sous la forme active au sens de « percevoir une odeur » que passive, au sens de « exhaler une odeur », se comportant en cela comme son concurrent
fragrare, v.
flairer; au sens de « exhaler une odeur »
sentir a éliminé l'a. fr.
oloir,
ca 1165 (
Benoît de Ste-
Maure,
Troie, 12894 ds T.-L.) du lat.
olere «
id. », d'où aussi l'esp.
oler.