| AGENOUILLEMENT, subst. masc. A.− Action de se mettre à genoux, résultat de cette action. 1. [Attitude physique] :
1. Lorsqu'il revint, sa sœur se trouvait dans une position singulière. Un de ses bras entourait sauvagement le berceau, l'autre tombait le long d'elle. Affaissée à même le parquet, son attitude tenait de l'agenouillement et de l'écrasement, comme ces corps de guerriers morts, traînés par des vainqueurs antiques.
J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 2, 1933, p. 342. 2. ... tu passais royal parmi les bêtes, flattant l'une, gourmandant l'autre, t'aidant du genou pour serrer un peu telle courroie de cuir, et t'enorgueillissant, une fois hissé le chargement, de ne le voir glisser ni vers la droite ni vers la gauche, connaissant que les bêtes, te le balançant durement dans le roulis de leur démarche et le trébuchement parmi les pierres et l'agenouillement pour les haltes, te le tiendront cependant suspendu dans un équilibre élastique, à la façon de l'oranger qui balance au vent sans menacer sa cargaison d'oranges.
A. de Saint-Exupéry, Citadelle,1944, p. 929. − Spéc., vocab. du ski. ,,Action de plier les genoux (...) avec l'intention bien profane de modifier sa direction ou de ne pas tomber.`` (Gautrat Ski 1969) : 3. La rotation du corps (dans le Christiania) est précédée d'un appel (...) et s'accompagne d'un agenouillement ou accentuation de l'avancée par fléchissement des genoux.
Dauven, Technique du sport,p. 118, [Q. S., no63, 1948] (Rob. Suppl. 1970). Rem. ,,Le terme agenouillement est certainement exagéré; il risque de faire croire aux novices que l'on doit se mettre à genoux sur les skis, ce qui n'est pas possible. (...) Le mouvement n'est donc qu'une vague tentative d'agenouillement, qui s'arrête bien avant que les genoux ne reposent sur les planches. L'agenouillement permet de passer de la position intermédiaire à la position d'avancée en flexion.`` (Gautrat Ski 1969). 2. [Attitude physique ayant une signification] a) Domaine relig. (en signe d'humilité et d'adoration à l'égard de Dieu, d'un être divin) : 4. Je la suppliais de chercher dans une religion tendre et nourrissante, dans l'ombre des églises, dans la foi mystérieuse de ce Christ, le dieu des larmes, dans l'agenouillement et dans l'invocation, les espérances plus rapprochées, les consolations et les douceurs que j'y avais goûtées moi-même dans mon enfance.
A. de Lamartine, Raphaël,1849, p. 242. 5. Elle apprenait aussi par cœur les psaumes dans l'Ancien Testament, les épîtres de saint Paul dans le Nouveau. Le père Sibilla lui retrancha ces exercices, les remplaçant par des invocations, des oraisons, des prosternements, des agenouillements d'une demi-heure, toute une basse et mécanique pratique, un entraînement de piété matériel et physique.
E. et J. de Goncourt, Madame Gervaisais,1869, p. 230. 6. Les oraisons balbutiées, les agenouillements, les salutations, ces paroles et ces gestes vagues sans cesse répétés, la berçaient, lui semblaient l'unique langage, toujours la même passion, traduite par le même mot ou le même signe. Elle avait le besoin de croire, elle était ravie dans la charité divine.
É. Zola, Une page d'amour,1878, p. 922. 7. ... les versets de la messe alternaient avec les agenouillements ou les relèvements de l'assistance...
É. Estaunié, Bonne dame,1891, p. 53. 8. − Le Moyen Âge, mon enfant, c'était une immense Église comme on n'en verra plus jusqu'à ce que Dieu revienne sur terre, − un lieu de prières aussi vaste que tout l'Occident et bâti sur dix siècles d'extase qui font penser aux dix commandements du Sabaoth! C'était l'agenouillement universel dans l'adoration ou dans la terreur. Les blasphémateurs eux-mêmes et les sanguinaires étaient à genoux, parce qu'il n'y avait pas d'autre attitude en la présence du crucifié redoutable qui devait juger tous les hommes...
L. Bloy, La Femme pauvre,1897, p. 121. 9. Et c'étaient des répétitions ininterrompues, des salutations médiocres ou profondes, des agenouillements, sur la première ou sur la dernière marche de l'autel...
J.-K. Huysmans, L'Oblat,t. 2, 1903, p. 17. 10. Désormais Racine se fortifie dans la dévotion. Peut-être en a-t-il d'abord accompli surtout les gestes; ce n'est pas hypocrisie que d'incliner « l'automate », comme le veut Pascal. Il dépendait de lui de prendre une attitude pieuse, et ainsi qu'il arrive la piété fut en lui le fruit de l'agenouillement.
F. Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 156. 11. Cet hérétique me disait un jour que Dieu n'a nul souci de nos agenouillements d'esclaves et qu'il veut que nous rejetions cette croix imaginaire dont la tradition nous charge les épaules.
J. Green, Journal,1933, p. 160. b) Domaine de l'amour profane (avec un sentiment de soumission envers une pers. aimée passionnément) : 12. Ces Orientaux donnaient, (...) l'idéal de ce qu'ils cherchent chez la femme : un joli petit animal, qu'on enveloppe avec la caresse tombante d'une main. En effet, n'avons-nous pas vu les Japonaises de la Grande Exposition expliquer la phrase du Japonais viennois avec leurs rampements, leurs agenouillements, leurs gracieuses attaches au sol, leurs mouvements de jolis quadrupèdes, leur habitude enfin de se faire toutes ramassées, toutes pelotonnées, toutes exiguës?
E. et J. de Goncourt, Journal,août 1873, p. 943. 13. Croyez-vous, monsieur, qu'on puisse toujours résister, toujours lutter, toujours refuser ce que demande avec des prières, des supplications, des larmes, des paroles affolantes, des agenouillements, des emportements de passion, l'homme qu'on adore, qu'on voudrait voir heureux en ses moindres désirs, qu'on voudrait accabler de toutes les joies possibles et qu'on désespère, pour obéir à l'honneur du monde?
G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, L'Attente, 1883, p. 407. 14. − Pas ici! se dirent en souriant les amants. Ils se le dirent la bouche sur la bouche, dans des embrassements, des enlacements et des agenouillements. Ils se le disaient encore quand Hippolyte Cérès entra dans le salon.
A. France, L'Île des pingouins,1908, p. 369. B.− Au fig. Attitude intérieure de soumission. Stylistique − 1. Agenouillement appartient à la lang. littér. de même que son synon. rare agenouillage; prosternation indique une inclination plus profonde, génuflexion désigne un mouvement réglé et rituel de caractère strictement relig. 2. L'ex. 8 montre jusqu'à quel point un subst. verbal formé à l'aide du suff. -ment se prête au haut lyrisme visionnaire. 3. Dans ses emplois profanes traditionnels, agenouillement garde le souvenir de son emploi relig. Dans le lang. sportif, agenouillement semble au contraire une création nouvelle refaite directement sur le verbe s'agenouiller, et indépendamment des emplois traditionnels du mot.1. Domaine relig. ou profane.[Attitude de soumission aimante ou suppliante] :
15. Oh! les aveux! Au fond, elle [Mmede Burne] ne les aimait pas beaucoup (...) Ce qu'elle adorait, c'étaient les manifestations délicates, les demi-confidences, les allusions discrètes, l'agenouillement moral...
G. de Maupassant, Notre cœur,1890, p. 328. 16. Cet air que je ne connais pas, c'est aussi une prière, une supplication au bonheur de ne pas être trop cruel, un salut et comme un agenouillement devant le bonheur...
Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes,1913, p. 280. 17. Augustin restait immobile, en une sorte de recueillement. Ses paupières semblaient abaissées sur ce qu'il lisait. Agenouillement, prosternement intérieur? les deux, sans doute, et des pleurs qu'il fallait cacher.
J. Malègue, Augustin ou le Maître est là,t. 2, 1933, p. 95. 2. Péj. [Attitude de soumission servile et dégradante à l'égard d'un être humain ou d'une valeur sociale considérés comme importants] :
18. Nous avons vu à Port-Royal les directeurs bien honorés et placés bien haut, mais rien de cet agenouillement, rien de cette sorte de bassesse superstitieuse à l'égard de l'homme; le tout était bien plus rapporté en droiture à Dieu et au Christ.
Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 3, 1848, p. 71. 19. Elle peint sa déférence servile pour les gens riches, son agenouillement devant le succès, ses ménagements pour arriver à l'Académie.
E. et J. de Goncourt, Journal,1890, p. 1234. Prononc. [aʒnujmɑ
̃]. − Rem. Littré précise qu'il faut prononcer l mouillé et non yod : ,,a-je-nou-lle-man, ll mouillées, et non a-je-nou-ye-man``. Enq. : /aʒnujmã/. Étymol. ET HIST. − Ca 1327 [éd. 1531] « action de se mettre à genoux » (J. de Vignay, Mir. hist., 24, 64 ds Quem. t. 1 1959 : Et trois agenouillemens tout après le souper); xives. (?) « id. » (Trad. de Beleth, Bibl. nat. 1. 995 fo47 rods Gdf. Compl. : l'agenollement). − 1561, Calvin, ibid.; semble repris seulement au xixe: 1866, Lar. 19e, qui le qualifie de peu usité.
Dér. de (s')agenouiller*; suff. -ment1*. STAT. − Fréq. abs. litt. : 64. BBG. − Bar 1960. − Bél. 1957. − Gautrat Ski 1969. |